Et si la plus grande erreur des scientifiques eut été de ne pas s'intéresser aux femmes? Et pas uniquement aux femmes «sujettes», ces scientifiques pionnières oubliées ou plagiées, mais aussi et surtout aux femmes en tant qu'«objets» d'études.
Si la science - en particulier la médecine - s'était un peu plus penchée sur elles, les connaissances seraient aujourd'hui autrement plus avancées. Telle est du moins la thèse défendue dans le livre La Meilleure Moitié, sorti fin septembre aux éditions Kero.
Sharon Moalem, son auteur, est un généticien new-yorkais d'origine canadienne spécialisé dans les maladies rares: son historique de publication révèle un chercheur actif surtout au début des années 2000 et dont la dernière signature en tant que premier auteur remonte à 2015.
Selon lui, c'est simple : les femmes font à peu près tout mieux que les hommes. Elles se défendent mieux contre les microbes, ont un cerveau plus développé, voient mieux les couleurs et vivent significativement plus longtemps que les mâles, comme il s'échine à l'énumérer tout au long de son livre. Leur secret? Elles possèdent deux chromosomes X!
Les noyaux des cellules des femmes contiennent une paire de chromosomes X hérités l'un du père et l'autre de la mère. Chez l'homme, c'est un couple XY: le X de la mère et le Y - forcément - du père. Pour cette raison, X et Y sont appelés chromosomes sexuels.
Pour Sharon Moalem, cette différence est fondamentale, bien au delà de la détermination du sexe. Elle conférerait «aux femmes biologiques un avantage de diversité génétique, ce qui les aide à relever plus efficacement les défis de la vie» et qui appelle à une révolution médicale.
Il a longtemps été enseigné que chez la femme, l'un des chromosomes X est désactivé dès la vie embryonnaire, un processus permettant d'éviter une «cacophonie» entre les gènes présents sur celui-ci.
Depuis une vingtaine d'années, il apparaît toutefois qu'environ un quart des gènes du chromosome X échappent à cette mise sous silence. Ces resquilleurs («escapers» en anglais) offriraient aux cellules une solution de secours lors de maladies ou de traumatismes, là où les cellules masculines n'auraient pas le choix des armes. C'est sur ce point que s'appuie La Meilleure Moitié pour démontrer la supériorité biologique des femmes sur les hommes.
La thèse fait sourire Denis Duboule, professeur de génétique à l'Université de Genève et à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne: «C'est une théorie intéressante qui a le mérite d'ouvrir les discussions, mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Quand bien même certains gènes du chromosome X peuvent exister en deux versions chez les femelles, les cellules n'ont pas le 'choix' quant à celui qui sera exprimé». Et celui-ci d'ajouter: «Les deux sexes d'une espèce évoluent ensemble en génétique, c'est une vision erronée que de croire que l'un prendrait le dessus sur l'autre.»
Il est vrai que l'exposé de Sharon Moalem cède parfois beaucoup trop à la simplicité compte tenu de l'effroyable complexité des interactions entre les gènes et l'environnement.
L'autre aspect abordé dans le livre prend une dimension historique et sociologique. Appliquée et enseignée par les hommes au cours des siècles, la pensée médicale est le fruit de réflexions purement masculines qui ont fait bien peu de cas des particularités féminines pourtant dignes d'intérêt, les reléguant au rang de déviance par rapport à la norme masculine.
Sharon Moalem cite en exemple la perception des couleurs dont un des gènes, responsable de la fabrication des récepteurs visuels aux couleurs, est situé sur le chromosome X. C'est ce gène qui engendre le daltonisme lorsqu'il est altéré - une atteinte bien plus rare chez les femmes que chez les hommes - et c'est que l'on en retient souvent. Mais, fait valoir l'auteur, c'est aussi ce gène qui sous certaines conditions «peut conférer à la femme un superpouvoir visuel», la tétrachromatie: celles qui en bénéficient - de 5 à 15 % selon les estimations - peuvent voir jusqu'à 100 millions de nuances de couleurs, contre seulement dix pour le reste de la population. Un aspect, déplore-t-il, beaucoup moins connu.
Livre intrigant, La Meilleure Moitié a le mérite d'aborder des thèmes sans doute inconnus du public. Si les aspects sociétaux qu'il soulève méritent réflexion, on peut néanmoins regretter un propos simpliste concernant les mécanismes génétiques sur lesquels il s'appuie.