Les Ginks refusent la maternité au nom de l’écologie

En 2015 nous sommes 7 milliards d'humains. En 2050 nous serons plus de 9 milliards sur Terre. Et après-demain ? Pour les plus radicaux des écologistes, c’en est trop. Des femmes ont décidé de ne pas procréer pour soulager Mère Nature. Une solution toute relative derrière laquelle se cache aussi un combat féministe.
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Lucy Wild
Lucy Wild, 22 ans, GINK assumée, lors de la Marche pour le Climat, le 21 septembre 2014 à Paris
©GaliFreund
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On les surnomme les « Croisées de la dénatalité ». Leurs slogans : « Si tu aimes tes enfants ne les mets pas au monde, c’est une poubelle » ou « Faites l’amour, mais pas de bébé. C’est mauvais pour la planète ! ». La Terre, cette bonne vieille Mère Nature, elles l’aiment tellement que pour la soulager d’un poids humain devenu trop lourd à porter, les GINKS (« Green Inclination ; No Kids » - Engagement vert, pas d’enfants) ont renoncé à la fécondité. « La reproduction est sensée perpétuer l’espèce. Or, aujourd’hui, le fait même de procréer menace l’humanité, les animaux sauvages, et la biodiversité dans son ensemble, s’alarme Lucy Wild, française et Gink de 22 ans et fervente militante écologiste depuis sa plus tendre enfance. L'homme est le cancer de la Terre et j'aime bien trop Gaïa (déesse terre, ndlr) pour lui infliger un parasite de plus. »

Certaines Ginks sont d’ailleurs si déterminées à ne pas avoir d’enfant, qu’elles se font stériliser. Marianne Jäger a 27 ans et vit à Los Angeles. Elle n’a pas encore sauté le pas, mais l’envisage : « Je n'ai pas peur du syndrome du retour en arrière. Mes positions éthiques sont trop ancrées. Néanmoins, c'est plus la pratique qui m'effraie, car je n'aime pas les opérations. Et puis, l'homme peut très bien en passer par là lui aussi, surtout que la vasectomie est une opération moins lourde. » Lucy, quant à elle, est absolument certaine de son choix : « J’ai déjà avorté une fois. Les infirmières ont halluciné lorsque je leur ai dit que cela m’était égal, qu’il fallait absolument me l’enlever. Désormais, j’ai un implant. Je passerai ensuite au stérilet et enfin à la stérilisation définitive. »

Enfanter, un choix qui doit aussi prendre en compte l’intérêt de tous
Lisa Hymas

Lisa Hymas Ginks
Lisa Hymas lors des 31ème Global Media Awards organisés par l’association Population Institute. A l’issue de la cérémonie, la chroniqueuse s’est vue décernée le prix du Meilleur Blog
©PopulationInstitute

D'où vient ce nouveau mouvement écologiste pour le moins inattendu ? L’Américaine Lisa Hymas, éditorialiste au Huffington Post et co-fondatrice du site politico-écolo grist.org,  en est son instigatrice. Selon elle, « la maternité devrait être mieux réfléchie. Il s’agit d’un choix qui va au-delà d’un besoin personnel, voire égoïste, mais qui doit aussi prendre en compte l’intérêt de tous. »

Les Ginks évoquent ainsi de nombreuses études démographiques pour justifier leur démarche « humaniste ». Sur son blog, Lisa Hymas  cite par exemple un récent rapport élaboré par la London School of Economics (LSE) à la demande de l'Optimum Population Trust (OPT) - une ONG britannique militant pour réduire la population mondiale - qui estime que le moyen le moins coûteux de résoudre le problème du réchauffement planétaire serait de réduire la population mondiale de 500 millions d'individus d'ici 2050.

J'adore les enfants, mais je préfère faire ce sacrifice
Stefanie Iris Weiss

Des ouvrages viennent également corroborer la thèse de la chroniqueuse. Dans son livre « Eco-sexe : Devenez écolo sous les draps et Optez pour une vie amoureuse durable », Stefanie Iris Weiss  explique pourquoi la maternité va à l’encontre du respect de l’environnement : « Même s'il s'agit d'un renoncement énorme, on ne peut nier que la surpopulation contribue au changement climatique. Avoir un enfant augmenterait mes émissions de gaz à effet de serre. J'adore les enfants, mais je préfère faire ce sacrifice. »

Et pour celles qui changeraient d’avis ? Les Ginks ont trouvé « la solution humainement responsable » : l’adoption. « Il y a assez de malheureux n'ayant pas demandé à vivre dans les orphelinats pour me laisser aller à enfanter par pur égoïsme. Si un jour la tentation devenait trop forte, j'en passerais probablement par là », confie Marianne Jäger.

Penser la modestie démographique

« On ne peut pas reproduire à l’infini dans un espace fini ». Les Ginks ne sont pas les seules à le dire. De pays en pays, les cercles prônant la décroissance démographique font des petits. En Angleterre, ils s’appellent « Optimum Population Trust » ; aux Pays-Bas, « le Club des Dix Millions »  ; en Italie « Rientrodolce »  et en Belgique « One Baby ! » .

En France, l’ancien ministre de l'Environnement dans le gouvernement de Lionel Jospin, Yves Cochet a été l’un des premiers à parler de « néomalthusianisme modéré ».  Car pour lui, un enfant européen ayant « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York », il faudrait faire voter une directive baptisée « grève du troisième ventre » qui inverserait l’échelle des prestations familiales à partir du troisième enfant. En d’autres termes, dissuader financièrement les familles qui envisageraient de concevoir un trop-plein d’enfants.

Logo démographie responsable
Le logo de l'association Démographie Responsable
DR

Une solution étonnante qu’il a proposée en 2009 et réitéré en 2015, lors d’une conférence-débat « La COP21 peut-elle ignorer la question démographique ? », organisée en novembre à Paris, quelques jours avant le début de la COP21 par l’association Démographie Responsable. « Notre but est d’imposer cette question dans le débat écologique. Car, à l’aube de la COP21, aucun programme n’y fait référence », s’indigne son porte-parole Didier Barthès.

Ce dernier préconise de « limiter les naissances à deux enfants par femme ». Mais parler de natalité est selon lui « un tabou en France ». Cette année, les politiques comme les médias se sont « félicités » du fait que le pays se soit hissé à la première place du classement européen des naissances devant l’Irlande (2,2 enfants par femme en France contre 2,1 selon un récent rapport de l’Insee). Ils devraient plutôt « s’en inquiéter ».

Avec ses 150 membres, Démographie Responsable s’engage donc pour promouvoir et rendre accessible à tous la contraception. D’où leur logo : une Terre chapeautée d’un préservatif. « Nous avons envoyé des préservatifs en Afrique à des associations écologistes. C’est encore relativement modeste mais c’est une façon de montrer l’exemple. »

Une fausse bonne idée ?

L’Afrique avec ses 1 148 246 135 habitants et ses 5 enfants par femme en moyenne a de quoi mettre en alerte les promoteurs de la dénatalité. Pourtant des études ont prouvé que les problèmes environnementaux étaient plus dus à la surconsommation des pays riches qu’à l’explosion de la démographie.

Une étude comparative publiée en 2009 dans la revue Environment and Urbanization a montré que l’Afrique subsaharienne qui a connu une croissance démographique mondiale de 18,5% en quinze ans n’a émis que 2,4% de CO2. A l’inverse, l’Amérique du Nord a produit 4% de la population mondiale mais a été responsable de 14% des gaz à effet de serre. En 2012, une étude de l'université de l’Oregon l’a souligné : chaque bébé qui voit le jour aux Etats-Unis est responsable de l'émission de 1 644 tonnes de CO2 soit 5 fois plus qu'un bébé venant au monde en Chine et 91 fois plus qu'un enfant qui naît au Bangladesh.

Empreinte carbonne par habitant
WWF

Entretenir l’angoisse populationnelle est une façon de ne pas remettre en cause la structure de la consommation des pays les plus riches
Hervé Le Bras, démographe

Pourquoi alors incriminer ces foyers de peuplement qui sont moins responsables du réchauffement climatique que les grandes puissances occidentales ? Le directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) Hervé Le Bras esquisse une réponse dans un entretien donné en 2011 à la revue Sciences Humaines : « Les pays développés se servent de l’argument démographique pour rejeter la responsabilité sur des pays peuplés et en croissance démographique comme la Chine ou l’Inde. Entretenir l’angoisse populationnelle est une façon de ne pas remettre en cause la structure de la consommation des pays les plus riches. »

Pour ce démographe et auteur de l’essai « Vie et mort de la population mondiale » (Le Pommier, 2009), le seul moyen de résoudre le problème serait « un changement drastique du type de consommation d’énergie au Nord (de même qu’un changement du type d’alimentation), car alors le Nord pourra dire au Sud : faites comme nous. »

Une lutte féministe

Le combat des Ginks serait-il donc vain ? Peut-être pas. Car derrière l’étendard de l’écologie se cache une réelle revendication, le non désir d’enfant. Un choix que la créatrice du mouvement Lisa Hymas assume pleinement. « Nos relations amicales, notre famille, nos amours remplissent déjà suffisamment notre vie, explique-t-elle sur son blog Childfreefeminist. Sans oublier les avantages personnels à une vie sans enfant : aucun horaire, une carrière professionnelle plus épanouissante, l'occasion de développer nos talents propres, (…) d’avoir du temps pour soi et pour les autres (…) ».

Ces propos qui se veulent altruistes, dérangent et suscitent les plus vives critiques. C'est qu’on ne touche pas au sacro-saint droit de procréer sans être montré du doigt ou sans provoquer l’indignation. Une étude de l’INED, publiée en 2014 et réalisée par les sociologues Charlotte Debest et Magali Mazuy, montre que rester sans enfant demeure un choix de vie à contre-courant. En France, seul 5% de femmes et d’hommes n’en veulent pas. La plupart invoquant des raisons libertaires face à la pression du « faire famille ».

Mais dire qu’on ne veut pas d’enfant sans raison, la pilule a du mal à passer. Alors le respect de l’environnement, la survie de l’espèce, etc. ne serait-ce pas autant de justifications pour ces femmes lassées de devoir constamment se justifier ? Toujours est-il que pour Emilie Tixador, ancienne Gink et auteur du blog Green Girl, l’écologie a porté ses fruits. « Je choquais les gens quand je disais que je ne voulais pas d’enfant parce que j’avais envie de m’épanouir dans mon métier. Mais dès que j’ai parlé de limiter la surconsommation et la surpopulation, ma cause est devenue noble aux yeux de tous. »