On ne peut pas la rater, Giedré, dans son manteau pingouin et ses vêtements bariolés. Elle a 28 ans, des boucles d’oreille cerises, un air faussement candide et des textes souvent qualifiés de politiquement incorrects, voire trash, et teintés d’humour noir. Elle a sorti fin janvier son sixième album, autoproduit comme les cinq précédents, et le 6 mars, la voici, pour la première fois sur la scène de l’Olympia.
Giedré est chanteuse. Mais elle dit l’être devenue par hasard. La jeune femme se destinait à une tout autre carrière. Si elle a bien pris des cours de piano enfant et quelques uns de guitare adolescente, « pour faire cool », c’est vers la comédie qu’elle se tourne le bac en poche. Passée par le cours Florent puis l’Ensatt, les difficultés financières du métier d’actrice lui font franchir la porte d’un bistrot pour y fredonner des chansons « bricolées ». Pour elle, c’était « une manière rigolote de gagner son pain ».
Remarquée par Raphaël Mezrahi, puis découverte par un plus grand nombre grâce à Laurent Baffie, elle assure alors les premières parties de l’humoriste. « Je n’avais jamais envisagé que je pourrai chanter devant des gens, hormis quatre copains courageux et saouls, confie-t-elle sans plaisanter. Je n’avais même pas l’espoir secret que cela prenne cette ampleur ». Quand elle converse, Giedré prend le temps de former ses mots et ses phrases ont parfois des allures de proverbes. « Quand on n’attend rien, on n’est jamais déçu ».
Un concert au Sexodrome
Chaque album est une petite révolution dans l’univers musical. Le premier, sorti en 2011, intitulé fort à propos « Mon premier disque » : 2 000 copies personnalisées. Le deuxième, l’année suivante : « Mon premier album genre Panninni » ne contient rien si ce n’est des autocollants à gratter qui permettent de télécharger ses chansons. « Giedré est très décidée et sait où elle va, explique le chanteur Oldelaf qui a participé à son dernier album. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi autonome dans son travail. Elle est en avance sur son époque et invente une nouvelle forme de production musicale. »
L’artiste affiche plusieurs centaines de concerts au compteur, dont un mémorable silencieux au Sexodrome à Pigalle, et passe le plus clair de son temps sur les routes. En 2012, elle ouvre le Printemps de Bourges. Elle est la même année lauréate du Fair, bourse qui récompense des jeunes talents ; on y compte Emily Loizeau, Moriarty ou encore Olivia Ruiz. « Son nom est revenu plusieurs fois, se souvient Frédérique de Almeida, du Fair. Giedré propose quelque chose de frais, de complètement atypique, elle est unique dans le paysage musical. »
La jeune femme vapote devant son grand café au lait et parle avec ses mains, dessinant avec la bague fleur qui orne son doigt des formes imaginaires. Giedré est née en Lituanie, « sous une dictature », quelques années avant la chute de l’URSS, et arrive en France à l’âge de 7 ans. Son prénom, choisi par son père, signifie « éclaircie », « quand il fait moche et qu’il commence à faire beau », se sent-elle obligée de préciser. Sa mère, quant à elle, voulait l’appeler Audra, « la tempête ».
Le goût du mauvais goût
Sur scène, c’est la caverne aux trésors. Elle s’entoure de tout un tas de bric-à-brac : nains de jardins, peluches, guirlandes lumineuses, canards en plastique. Des « copains », sortes de grigris qui l’accompagnent tout au long de son spectacle au décor volontairement kitch. « Si les gens s’ennuient, ils ont au moins quelque chose à regarder », remarque-t-elle. Si elle porte des robes à jupon bien convenables, affiche un sourire de jeune première et colle des coccinelles sur sa guitare, elle n’a pour autant rien d’une chanteuse pour enfants. Ou bien « pour enfants sourds ».
« Elle surfe sur un univers visuel enfantin et nous ramène par ses textes à la dureté et à la cruauté de la vie, toujours avec humour. J’aime ce mélange des genres qui ne vont pas forcément ensemble », ajoute Oldelaf. Dans ses textes parfois crus, elle aborde homosexualité, handicap (elle est la marraine du festival Handicaps, sexe et sexualité), viol, pédophilie et sexisme. Mais conteste l’étiquette d’artiste engagée. Responsable, « oui ».
Si elle ne souhaite pas être qualifiée de féministe, elle questionne pourtant dans ses chansons le statut que l'on accorde aux femmes. Et détourne avec ironie les modèles prédéfinis que l'on réserve aux petites filles.
« Giedré est totalement ovniesque, s’enthousiasme Nicolas Pellet, parrain de la chanteuse au Fair et directeur marketing et artistique chez Polydor. Malgré la provocation évidente et le goût du mauvais goût, elle a une véritable démarche artistique, des mélodies très réussies et un grand talent d’écriture. Si elle rend tout ludique, étonnant et insolent, elle a une liberté de ton presque jusqu’au-boutiste, ne faisant aucun compromis. »
« Moisie » pour premier nom de scène
Giedré considère qu’elle ne fait que raconter des histoires et retranscrire la réalité. Et s’offusque presque que certains la trouvent provocante. « Je n’apprends rien aux gens, ils n’ont pas attendus mes chansons pour être au fait de ces choses-là. On dit que je chante des horreurs mais ce n’est que la vraie vie. » Elle refuse le statut d’humoriste, car pour elle le rire est « un moyen, pas un but ». Le rire a selon elle « cette magie de dédramatiser, alors que le pathos est un frein à la réflexion ». Un cynisme loin d’être gratuit. « Elle prend des risques avec ce côté too much et hors normes, analyse Oldelaf. C’est quelqu’un qui souffre du monde qui l’entoure et veut en chanter l’horreur pour faire réagir. Elle oblige le public à réfléchir. »
Elle apprécie Boris Vian, George Brassens ou Jean Yann. Dans son sac à main, un livre de David Dodge, du maquillage, son passeport, des cartes de visite « qu’on me donne et que je perds », du papier d’Arménie et de la tisane. « Dans la vie elle est délicate et poétique, ajoute encore Oldelaf. C’est quelqu’un d’une grande intelligence. En cela elle se distingue de son personnage rentre dedans et un peu bête et méchant. »
Chanteuse de comptines irrévérencieuses, Giedré n’a aucun tabou et pas peur de se mettre en danger. Elle s’était choisi pour premier nom de scène Moisie, « ça montre ma grande ambition dans le showbiz », s'amuse-t-elle. Devant l’objectif, elle pose un rouleau de papier toilette autour du cou. Et se présente comme une Alice au pays des poubelles. Son signe de ralliement lors de ses concerts : un anus formé avec deux doigts. « Ce n’est pas parce que l’on ne se prend pas au sérieux que l’on fait les choses à la légère ». Amuseuse qui chante des grossièretés, Giedré va bien au-delà de ça. « Ce n’est pas de la provocation pour la provocation, ajoute Nicolas Pellet. C’est bien plus subtil, comme l’est le personnage. »