Fil d'Ariane
Publié le 1er novembre 2016, le livre UN/MASKED : Memoirs of a Guerrilla Girl on tour (dé-masquée, mémoires d’une guerilla girl on tour) dévoile « L’histoire d’une femme devenue survivante puis féministe radicale, qui a décidé d’enlever son masque, et qui en fusionnant ses deux identités, révèle tout », selon les propres mots de l’autrice, Donna Kaz.
Le livre relate deux périodes de la vie de l’écrivaine, presque deux identités. La première est celle de Donna Kaz, jeune femme pleine d’ambition qui rêve de devenir actrice. A 23 ans, en 1977, elle quitte Long Island pour s’installer à New York, où les troupes de théâtre pullulent. Peinant à se faire une place dans le monde artistique, elle accepte un travail de serveuse dans un café proche du « Lincoln center for the performing arts » (centre culturel autour des « performances » artistiques). Elle y rencontre Bill, star de cinéma (William Hurt, qu'elle désigne nommément et que l’on retrouve par exemple dans Into the wild, de Sean Penn - 2007) avec qui elle entame une relation qui tourne rapidement au cauchemar. Pendant trois années, elle subira les coups de son compagnon.
Survivante de violences domestiques, elle intègre les « Guerrilla Girls » bien plus tard, à 43 ans. Aujourd’hui, elle occupe le poste de directrice artistique des « Guerrilla Girls On Tour ! », troupe avec laquelle elle a tourné dans plus de 17 pays, délivrant des performances dans les théâtres, les lycées, les galeries d’arts, les cafés ou les manifestations. Elle a également reçu plusieurs distinctions dont le « prix du courage pour les arts Yoko Ono », remis par la chanteuse veuve de John Lennon pour récompenser « les artistes qui à travers leur travail font preuve de courage, d’ingéniosité et risquent leurs carrières pour défendre l’intérêt local ou national malgré la pression commerciale et politique. »
Bien que l’anonymat représente l’une des règles d’or du groupe, Donna Kaz a accepté de nous rencontrer, au café de la Wallace Collection de Manchester Square, à Londres. La soixantaine, souriante, drôle, naturelle, elle lève le masque sur son passé, son expérience au sein des « Guerrilla Girls » et décrypte avec nous l’actualité féministe.
Rencontre avec une Guerrilla Girls, @donnakaz pour la sortie de son livre UN/MASKED @GuerrillaGsOT. Article coming soon pour @TERRIENNESTV5 pic.twitter.com/qXgXYGh1kC
— Margot Cherrid (@MargotCherrid) 4 janvier 2017
Il n’y a pas de bon ou mauvais moyen de faire du féminisme
Quand avez-vous pris conscience que vous étiez féministe ?
Aphra Behn : En deuxième année d’études supérieures. Je venais de commencer à prendre la pilule et mon corps réagissait très mal. Pour trouver des alternatives et comprendre ce qu’il m’arrivait, j’ai lu « Our Bodies, Ourselves » (Notre corps, nous-mêmes) du Boston Women’s Health Book Collective http://www.ourbodiesourselves.org/. C’est la première fois que j’ouvrais un livre écrit par, pour et à propos des femmes. Je me suis alors recentrée sur ma condition de femme et j’ai analysé les événements de ma vie à travers le prisme féministe.
Quel est le problème dans le monde de l’art ?
Aphra Behn : Le monde de l’art est sexiste et dominé par les hommes blancs. En 1997, seulement 17% des pièces produites aux Etats-Unis étaient écrites par des femmes. Vingt ans plus tard, ce chiffre n’atteint pas plus de 20%. Les institutions sont responsables, mais les spectateurs aussi.
Pourtant, les pièces de théâtre écrites par des femmes ne manquent pas. Si Shakespeare est sur toutes les lèvres, on a oublié le nom de grandes auteures comme Hrotsvita de Gandersheim. Cette nonne allemande fut la première femme auteure de pièces de théâtre. Beaucoup de femmes artistes n’ont pas l’opportunité de développer leur travail. C’est également dommage pour le public parce qu’elles ont une plume différente de celle des hommes. Les rôles féminins ne sont par exemple pas les mêmes, ils sont revalorisés.
Le choix de l’anonymat nous permet de concentrer l’attention sur les problèmes et non sur les militantes
Comment s’est passée votre première rencontre avec les Guerrilla Girls ?
Aphra Behn : Tout à fait par hasard. J’étais en Californie et je discutais avec une artiste du sexisme dans le monde de l’art. Elle m’a prêté un livre, le premier des Guerrilla Girls : « Confessions of the Guerrilla Girls ». Je l’ai lu, encore et encore, pour finalement me dire que c’était exactement ce dont le théâtre avait besoin. Mon amie m’a ensuite révélé être une Guerrilla Girl et a accepté de parler de moi au groupe. Un an après, j’ai reçu un appel pour les rejoindre.
Pourquoi décider d’agir sous un pseudonyme et pourquoi avoir choisi Aphra Behn ?
Aphra Behn : J’ai choisi mon surnom en référence à une auteure de pièces de théâtre et poète du 17eme siècle ayant eu une vie très riche. Aphra Behn a même été espionne pour Charles II, je trouvais ça très Guerrilla Girlish.
Le choix de l’anonymat nous permettait de concentrer l’attention sur les problèmes et non sur les militantes. Notre double identité était également nécessaire en raison de notre profession. Nous ne voulions ni être accusées de vouloir booster nos carrières personnelles, ni risquer d’être blacklistées par les compagnies de théâtre.
Seuls ma famille et quelques amis connaissaient ma double identité.
Quel est le mode opératoire des Guerrilla Girls ?
Aphra Behn : Concernant la branche du théâtre, nous nous réunissions pour discuter des nouveaux posters à éditer et du plan d’action à mettre en place. Le projet était ensuite présenté devant le groupe des Guerrilla Girls au complet pour statuer sur l’initiative par consensus.
On appliquait la technique de la « recherche de 5 minutes » qui consistait à ouvrir un journal et relever la programmation des théâtres. Pour les affiches, le but était d’utiliser des « punchlines » marrantes pour ne pas correspondre à l’image que certaines personnes avaient – et ont toujours - des féministes, à savoir celle de garces grincheuses et hystériques. En utilisant l’humour, on était accrocheuses, les gens voulaient savoir qui on était. Ca a vraiment marché.
Photo 3 ou 4 : affiches des Guerrilla Girls : « Oh, les joies d’être une femme auteure de pièces de théâtre » ou « Il se joue une tragédie à Broadway et ce n’est pas Electra » crédits : Guerrilla Girls on Tour !
Que pensez-vous des féministes comme les FEMEN qui exposent leurs corps pour faire passer leurs messages ?
Aphra Behn : Je ne pense pas qu’il y ait de bon ou mauvais moyen de faire du féminisme. Tout le monde a une approche féministe différente, le plus important c’est de se soutenir. Pour moi, on est féministe si on est en accord avec la définition de Roxane Gay : l’égalité pour les femmes et les filles. A partir de là, fais le féministe que tu souhaites tant que ça ne stoppe pas le mouvement.
Après l’élection de Trump, j’ai pleuré deux semaines, et un jour je me suis levée
Il y a quelques mois, les Américains élisaient Donald Trump comme président. Il était soutenu par 43% des électrices. Une réaction ?
Aphra Behn : On peut blâmer les femmes, les medias et qui on veut, mais on ne reviendra pas en arrière. J’ai pleuré deux semaines, et un jour je me suis levée en me disant que je devais être positive et dire la vérité en face de quelqu’un qui ment 99% du temps.
J’ai été choquée par les réactions après les accusations de harcèlement sexuel formulées contre Trump. Parler de ce que l’on a enduré lorsque l’on a été victime d’agression est très difficile. Cela prend du temps. On est dans le déni, on se répète que ça n’a pas de gravité… Dans tous les cas, il faut soutenir les victimes et les croire. Dans le cas de Trump, elles ont mis trente ans à trouver le courage de parler et on les accuse maintenant de vouloir se faire connaitre en portant ces affaires au grand jour. Je peux vous garantir qu’aucune femme n’apprécie une renommée due à un viol ou une agression.
Comment avez-vous réagi en apprenant le viol de Maria Schneider dans le "Dernier tango à Paris" ?
Aphra Behn : Ça m’a fait mal à l’estomac. C’est une terrible histoire. Nous devons éduquer nos enfants pour lutter contre la culture du viol. Aujourd’hui, l’école ne veut pas parler de sexe. C’est pourtant nécessaire. Au début des années 1970, à New York, personne ne parlait de harcèlement sexuel parce que presque personne ne parlait de sexe… C’est la même chose !
Le combat n’est pas fini, l’élection de Trump en est la preuve, les gens ne doivent plus être complaisants : l’homophobie, le sexisme, le racisme, les agressions sexuelles sont bien présents. Tout ca doit s’arrêter. Maintenant.