"Les hommes, moi, je les déteste", un éloge à la misandrie qui dérange ?

Véritable manifeste misandre, l'essai de Pauline Harmange appuie là où ça fait mal. Choqué, un fonctionnaire de l'Etat a même réclamé son interdiction, ce qui a eu l'effet contraire au résultat souhaité. L'ouvrage s'est vendu aussi vite qu'il a suscité le débat. Une grande maison d'édition française a décidé de le rééditer. Alors pourquoi l'autrice déteste-t-elle donc les hommes ? Terriennes lui a posé la question. 
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collage misogynie
A gauche, l'essai de la militante féministe Pauline Harmange, réédité au Seuil, à droite, un des nombreux collages qui recouvrent les murs des villes de France, pour dénoncer les féminicides et les violences faites aux femmes. 
©Seuil/collage feministes Lyon
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C'est l'histoire d'un essai d'une centaine de pages, qui aurait pu rester confiné au seul réseau féministe. Publié l'été dernier à 2500 exemplaires, il s'est vendu comme des petits pains, épuisé en quelques jours à peine. La polémique qu'il a provoquée, alimentée par l'intervention surprenante d'un fonctionnaire de l'Etat appelant à l'interdire, y est pour beaucoup, sans nul doute. Ce chargé de mission au ministère délégué à l’Egalité femmes-hommes avait même menacé les éditeurs de saisir la justice si l’ouvrage n’était pas retiré de la vente. L'affaire a été jusqu'à faire l'objet d'un article dans The Guardian, c'est dire... 

Edité dans un premier temps par Monstrograph, c'est désormais Le Seuil qui a repris la main et qui va republier le texte à 15 000 exemplaires, ce 2 octobre.

Il est vrai que le titre de l'essai de Pauline Harmange, militante féministe, a de quoi interpeller ... Moi les hommes, je les déteste - tout est dit, mais tout reste à comprendre. Avec dès les premières pages, un maître-mot qui revient comme un refrain, un slogan, une revendication : "misandrie". "Je vois dans la misandrie une porte de sortie. Une manière d’exister en dehors du passage clouté, une manière de dire non à chaque respiration. Détester les hommes, en tant que groupe social et souvent en tant qu’individus aussi, m’apporte beaucoup de joie – et pas seulement parce que je suis une vieille sorcière folle à chats", écrit l'auteure. 

Dans son essai, Pauline Harmange s'insurge contre ces hommes qui s'affichent aujourd'hui comme féministes : "Nous sommes nombreuses à penser que les hommes ne peuvent pas être féministes, qu’ils n’ont pas à s’approprier un terme forgé par des opprimées." "Réservons-nous le droit d’être moches, mal habillées, vulgaires, méchantes, colériques, bordéliques, fatiguées, égoïstes, défaillantes…", écrit aussi Pauline Harmange, revendiquant le droit d'"avoir la confiance d'un homme médiocre", parce que "les standards sont très bas pour les hommes, mais pour les femmes, ils sont bien trop hauts".

Violences sexuelles, injonctions, charge mentale, patriarcat hétérosexuel, sur le ton de la confidence, sur la base de son expérience personnelle, Pauline Harmange fait se rejoindre l'intime et le politique, pour conclure sur un manifeste sororal, un appel aux soeurs à la rejoindre dans ce combat pour la liberté.

Dans un contexte de #Metoo en série, et à l'heure ou certain.e.s accusent les féministes d'en faire trop, de "pêcher" par excès de radicalisation, Terriennes a voulu en savoir plus sur l'origine de cet essai en s'entretenant avec l'autrice.  

 
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Pauline Harmange, photo de son blog
©DR/Pauline Harmange

Terriennes : pourquoi ce livre et pourquoi ce titre ? 
Pauline Harmange :
 c'est la maison d'édition Monstrograph qui m'a contactée pour écrire à ce sujet, à la suite d'un article sur mon blog parlant du "burn-out" féministe, dans lequel je parlais d'une certaine lassitude vis-à-vis des hommes même les mieux intentionnés. En cherchant d'autres titres plus factuels, comme par exemple Eloge de la misandrie, on a finalement trouvé celui-ci, plus piquant. 

Vous attendiez-vous à un tel succès, mais aussi à tant de réactions ? 
Non, pas du tout. Comme Monstrograph est une petite maison d'édition qui n'a pas vraiment de force de frappe en termes de communication, on pensait que cela allait rester dans un cercle assez restreint, celui des gens qui suivent mon blog et de ceux qui connaissent cette maison d'édition. J'ai été très surprise. Quand au monsieur qui voulait faire interdire le livre, nous n'avons plus eu de nouvelle. Le jour de la sortie du livre, il avait envoyé un mail, avec son adresse officielle du ministère, à Monstrograph. Des avocats se sont renseignés et depuis, sur Médiapart, il a réïtéré sa volonté de porter plainte, mais pour l'instant il ne l'a pas fait.  

Un mot revient souvent dans votre ouvrage, misandrie, comme un maître-mot ... C'est même un principe de précaution selon vous, pourquoi ? 
Un principe de précaution parce que nous sommes élevées en tant que femmes à faire confiance aux hommes parce qu'ils sont mis sur un certain piédestal du fait qu'ils sont des hommes. Quand on fait l'état des lieux des violences faites aux femmes, on se rend compte que les hommes peuvent être de potentiels agresseurs et les tenir comme ça à distance, en étant d'instinct méfiante vis-à-vis de la gente masculine, ça permet de limiter les interactions dangereuses avec eux. 

Se méfier des hommes, ce n'est pas les détester, alors pourquoi aller jusqu'à la détestation ? 
Pour moi, la méfiance est individuelle, dans le rapport de personne à personne. La détestation, elle, porte sur le groupe social des hommes, comme le présente le féminisme matérialiste. Il peut y avoir différents degrés de positionnement par rapport à eux, mais la misandrie, elle est envers les hommes d'une manière globale et sociétale. 

Les hommes ne peuvent pas être féministes ? 
Non ! Le féminisme est une lutte par les femmes et pour les femmes. Depuis que le féminisme existe, les hommes se sont beaucoup attachés à mettre des bâtons dans les roues de cette lutte. Globalement, ils ont été très peu aidants. Aujourd'hui, tous ces hommes qui se réclament féministes, c'est pour prendre le devant de la scène et faire un spectacle de leur engagement. C'est aux femmes de prendre le devant de la scène sur cette question-là. 

Ce parti-pris, n'est-ce pas reproduire ce qui a existé pour les femmes, et exclure une autre moitié de l'humanité ?  
En fait, les hommes ont des choses à faire pour que l'égalité soit acquise, ce n'est pas pour autant qu'ils doivent revendiquer le terme de féministe. Des choses peuvent être réalisées, mais dans l'ombre, pour permettre aux femmes d'être visibles. L'exclusion d'une moitié de l'humanité, c'est déjà ce que vivent les femmes au quotidien, et depuis longtemps. Je pense que si les hommes sont exclus de la lutte féministe, ils vont s'en remettre, sans problèmes (rires). Voilà ce que répond cette militante que je suis sur Instagram lorsqu'un homme lui demande ce qu'il peut faire pour aider les féministes : elle lui répond qu'il peut par exemple garder les enfants quand sa copine va aux manifs ! Ce n'est peut-être pas très glorieux, mais en même temps, c'est très utile 

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©Seuil

Dans votre ouvrage, vous écrivez que "Les femmes sont dans un processus de mise à jour permanent", qu'entendez-vous par là ?
On fait beaucoup comprendre aux femmes qu'elles ne sont jamais assez aimables, belles etc... Cela joue beaucoup dans leurs relations, intimes notamment, avec les hommes. Nous, les femmes, on va chercher à s'améliorer, à devenir une meilleure personne, ce qui est une belle chose en soi. Mais on ne demande pas du tout la même chose aux hommes qui, eux, vont plus se complaire dans des mécaniques fonctionnelles et laisser aux femmes la charge de faire en sorte que les relations se passent le mieux possible, sans faire leur part. 

La misandrie serait l'inverse de la misogynie, mais du coup, être misandre, c'est être sexiste ?
(Sourires) Mmmm, non ! Ce que j'explique, c'est que la misandrie est en réaction à la misogynie, et que s'il n'y avait pas cette ambiance misogyne dans la société en général, qui permet aux hommes de continuer à être agresseurs, il n'y aurait pas besoin d'être misandre en retour. C'est un processus d'autodéfense de pouvoir mettre les hommes de côté et d'éprouver de l'hostilité envers eux, parce que les hommes, en tant que groupe, le sont.

L'origine de votre détestation, elle vient d'un constat chiffré : 99% des violeurs sont des hommes... 
J'ai l'impression que les femmes sont plus en plus à même de voir que le problème des violences est systémique, et que si elles n'ont pas vécu ce genre de violences, et bien, elles ont eu de la chance, si l'on peut résumer ça comme ça. Les hommes, par contre, n'ont pas pris la mesure qu'ils font partie d'un groupe représentant la grande majorité des agresseurs. Les femmes ont de plus en plus la force de prendre la parole, mais c'est aussi pour ça que j'ai écrit ce livre et qu'il ne s'adresse pas aux hommes. Je n'attends pas grand chose d'eux en retour, car j'ai l'impression que c'est aussi très difficile pour eux de faire partie d'un groupe dominant et oppresseur et de le reconnaître.  

Vous parlez de colère, en citant votre mère, la colère ne peut être que masculine ? 
Je me suis rendue compte que ma mère avait cette capacité de se faire entendre dans des situations qui n'étaient pas liées à l'intime. Cela m'a frappé combien cela reste compliqué pour les femmes de s'imposer dans leurs relations intimes, au sein du foyer. 

Vous avez un compagnon, donc vous ne détestez pas tous les hommes !
Je suis très consciente de la chance que j'ai d'avoir rencontré mon compagnon, parce qu'à l'âge de 17 ans, j'aurais pu me mettre en relation avec n'importe quelle autre personne qui aurait pu être moins ouverte sur plein de questions, plus dans la domination, plus virile. On a pu avancer ensemble et on a eu cette chance de pouvoir se construire ensemble !