Fil d'Ariane
Sylvie Demers est médecin de famille et chercheuse depuis vingt-cinq ans, biologiste et docteure en médecine expérimentale, une sommité en matière d’hormonothérapie féminine, masculine et transgenre. Elle fournit tout d’abord dans son livre des chiffres qui font froid dans le dos : selon Statistique Canada, 31% des décès des Canadiennes sont causés par des maladies cardio-vasculaires. Même proportion chez nos voisins au sud de la frontière : un tiers des décès des femmes américaines est lié à des maladies cardio-vasculaires, selon l’American Hart Association. En Europe aussi, une femme sur trois meurt d'une maladie cardio-vasculaire, selon la Fondation recherche cardio-vasculaire, et c’est la première cause de mortalité féminine en France.
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Ainsi les femmes ont-elles 50 fois plus de risques de mourir d’une maladie cardiovasculaire que d’un cancer du sein. La croyance populaire selon laquelle les maladies cardiovasculaires ne concernent que les hommes est totalement erronée.
Sylvie Demers dénonce le fait que les hormones féminines, qui sont les plus complexes du corps humain, soient dans l’angle mort de la médecine depuis trop longtemps, alors qu’elles jouent un rôle essentiel dans notre organisme durant les premières décennies de nos vies de femmes et après, quand elles se raréfient à cause de la ménopause.
Je me bats contre les lignes directrices des sociétés savantes que je trouve très patriarcales et très paternalistes. On infantilise énormément les femmes.
Sylvie Demers
"Il y a quelque chose de très misogyne dans l’approche qu’on a de la santé des femmes, parce qu’on apprend aux femmes à avoir peur de leurs hormones. On leur dit que les hormones féminines donnent le cancer, causent des problèmes. C’est une vision négative, alors qu’on a une vision positive de la testostérone, l’hormone des hommes, fait-elle remarquer.
La meilleure façon de prévenir les problèmes, c’est d'avoir un bilan hormonal équilibré et de bonnes habitudes de vie, explique la clinicienne. De bonnes habitudes de vie, ça ne soulève aucune controverse. Mais avoir un bilan hormonal équilibré, oui. Le problème, c’est qu’on ne tient pas compte des hormones féminines en médecine et c’est un grave problème en médecine préventive, car il faut en tenir compte. Je ne dis pas que tous les problèmes de santé sont dû au manque d’hormones, mais on fait comme si cela n’avait aucune répercussion de manquer d’estrogène et de progestérone".
La docteure Demers a mis cinq ans à écrire ce livre et elle ne s’inquiète pas du tout de savoir comment il va être reçu par la communauté médicale, parce qu’elle ne se gêne pas pour ruer dans les brancards et défaire des paradigmes : "J’écris parce que j’ai des choses à dire, c’est une question d’intégrité, même si aucun livre n’est vendu, je serai contente de l’avoir écrit. Mais c’est tout simplement que je me rends compte qu’il y a des choses qui ne marchent pas, qui n’ont pas d’allure, alors je ne peux pas me taire," confie-t-elle.
En fait, la docteure Demers ne s’est jamais tue, et elle est l’une des spécialistes interviewées dans la série télé LOTO-MÉNO, de l’animatrice Véronique Cloutier, diffusée au printemps 2021 (cf chronique Terriennes). Une série qui a un impact majeur dans tout ce dossier : "Énorme ! C’est un MeToo des hormones, c’est un tsunami dans ma vie s’exclame la docteure Demers. C’est incroyable l’engouement que cela a suscité chez les médecins, les infirmières, j’avoue que je suis dépassée".
Mais l’impact le plus important a été au niveau gouvernemental : le 26 mai 2022, sous la pression du documentaire et d’une pétition initiée par Sylvie Demers et signée par près de 280 000 personnes, le gouvernement québécois a accepté que les coûts de l’hormonothérapie soient pris en charge par l’État. En France, les traitements hormonaux de substitution sont déjà entièrement pris en charge par la Caisse primaire d'assurance maladie. Ce fut une avancée majeure pour les femmes au Québec, où ces traitements étant assez coûteux, nombreuses étaient celles qui ne pouvaient pas se les permettre.
Je suis fière d’être une femme. On est avantagé, nous les femmes, sur le plan biologique. On est largement avantagé et il faut le dire !
Sylvie Demers
Une immense victoire pour la docteure Demers : "Je me bats pour les femmes qui veulent prendre des hormones et à qui leur médecin refuse de leur en prescrire. Je me bats contre les lignes directrices des sociétés savantes que je trouve très patriarcales et très paternalistes. On infantilise énormément les femmes. Je milite pour que, dans le cas de l’hormonothérapie, tout comme pour la contraception ou l’avortement, ce soit à la femme de décider ; le rôle du médecin, c’est de lui prescrire une hormonothérapie la plus sécuritaire possible sans jugement moral".
Le deuxième combat de Sylvie Demers, c’est assurer la formation du personnel médical pour pouvoir offrir de l’hormonothérapie aux femmes qui en désirent. Parmi les médecins et les infirmières qu’elle a déjà formés, plusieurs peuvent donner à leur tour cette formation.
Sylvie Demers se donne les deux prochaines années pour mettre en place une chaine de formation qui pourra fonctionner à plein régime et combler cette grave lacune de formation auprès du personnel médical. Après quoi, la médecin veut se consacrer à l’écriture pour compiler les résultats des recherches qu’elle mène depuis des décennies : "Parce qu’il faut publier, j’ai tout pris en note au cours de ma pratique dans ma clinique et j’ai découvert des choses incroyables que j’ai hâte de révéler".
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