Fil d'Ariane
Un nouveau Code pénal est entré en vigueur début juillet 2024 en Inde. Il renforce les lois relatives aux agressions sexuelles, mais les Indiennes voudraient aussi être protégées du viol conjugal : si l'épouse à plus de 18 ans, il reste légal.
Manifestation à la veille de la Journée internationale des droits des femmes à Ahmedabad, en Inde, le 7 mars 2024. Les manifestantes réclament des sanctions sévères pour tous les crimes commis envers des femmes.
Le Code pénal indien est un héritage du colonialisme britannique, avec son lot d'anachronismes. L'article 375, écrit en 1860, stipule cette clause d'exception au crime de viol : "les actes sexuels d'un homme avec sa propre femme, celle-ci n'étant pas âgée de moins de quinze ans, ne constituent pas un viol". Autrement dit, un homme qui contraint sa femme à avoir une relation sexuelle n'est pas considéré comme un violeur, du moment que l'épouse a plus de 15 ans.
Avec la réforme de 2024, l'âge minimum auquel un homme peut abuser de sa femme passe de 15 ans à 18 ans. Mais la clause d'exception demeure.
Pour l'avocate Karuna Nundy, représentante devant la Cour suprême du groupe de défense des droits de l'All India Democratic Women's Association (AIDWA), cette clause ressortit du "colonialisme issu d'une mentalité victorienne". Elle a déposé un recours devant la Cour, qui a fixé le début de l'audience au 13 août 2024. Karuna Nundy nourrit un "fervent espoir" de changement, en citant quelques-uns des plus de 50 pays qui ont interdit le viol conjugal.
Comment le mariage peut-il changer la définition du viol ? Se marier n'enlève pas les droits sur son corps Monika Tiwary
Pour le président de la Cour suprême, D. Y. Chandrachud, il s'agit là d'une "question importante" cette année. Mais l'affaire, qui dure depuis dix ans, n'a progressé que très lentement. Selon Monika Tiwary, coordinatrice et conseillère de Shakti Shalini, une ONG de défense des droits qui soutient les victimes de violences sexuelles, le mariage ne devrait pas servir de bouclier à un crime. "Comment le mariage peut-il changer la définition du viol ? Se marier n'enlève pas les droits sur son corps", lance-t-elle.
Violée par son mari lors de sa nuit de noces à 17 ans, Divya a maintes fois décrit les souffrances endurées dans sa vie conjugale. Une expérience répandue en Inde, favorisée par cette terrifiante lacune juridique. "Je lui ai dit que je n'avais jamais eu de rapports sexuels et je lui ai demandé si nous pouvions y aller doucement, raconte Divya (son nom a été modifié pour protéger son identité), 19 ans. Il a répondu : 'Non, la première nuit est très importante pour nous, les hommes'". Il l'a alors giflée violemment, lui a arraché ses vêtements et l'a forcée à avoir un rapport sexuel.
Parfois, il me mettait un couteau sous la gorge et me mettait au défi de dire non. Divya
Le mariage de Divya a été arrangé en 2022, comme c'est souvent le cas en Inde. Mais sa famille n'a pas versé au mari la dot habituelle, qui est très élevée, ce dont il s'est servi contre elle. "Ce n'est pas comme si tes parents avaient donné une dot, je peux au moins faire ça", aurait-il justifié selon Divya. S'en sont alors suivi dix-neuf mois d'agressions sexuelles et physiques. "Parfois, il me mettait un couteau sous la gorge et me mettait au défi de dire non. (Il disait) 'Tu es ma femme, j'ai tous les droits sur toi'".
En Inde, 6% des femmes mariées âgées de 18 à 49 ans font état de violences sexuelles de la part de leur conjoint, selon la dernière enquête nationale sur la santé des familles menée par le gouvernement. Dans le pays le plus peuplé du monde, cela signifie que plus de 10 millions de femmes ont été victimes de violences sexuelles de la part de leur mari. Près de 18% des femmes mariées estiment qu'elles ne peuvent pas dire non si leur mari veut avoir des relations sexuelles, selon l'enquête sur la santé.
Beaucoup de filles endurent encore ce genre de choses, jour et nuit Ces hommes doivent être punis. Divya
Swati Sharma, 24 ans, mère de deux enfants, dit avoir épousé un homme par amour. Mais lorsqu'il était en colère, il s'en prenait à elle. Si elle refusait les rapports sexuels, il l'accusait d'avoir une liaison. Le point de non-retour s'est produit le jour où l'a déshabillée devant leurs enfants, en attendant qu'ils dorment. "Ensuite, il a commencé à avoir des relations sexuelles avec moi, se souvient-elle. Il ne m'a pas quittée avant d'avoir eu ce qu'il voulait". Elle a fait ses valises, pris ses enfants et est partie.
Malgré les agressions, certaines femmes retournent auprès de maris violents, craignant pour leurs enfants et subissant une forte pression sociale. Swati Sharma est retournée auprès de son mari, après que celui-ci a suivi une thérapie et l'a persuadée de revenir. Divya, elle, s'est échappée mais vit toujours dans la peur. Son mari a envoyé un message à sa mère pour la menacer de ne pas la laisser vivre.
Elle se dit cependant "fière" d'être partie. "Beaucoup de filles endurent encore ce genre de choses, jour et nuit, dit-elle. Ces hommes doivent être punis".
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