Fil d'Ariane
Son père, qui digère mal le divorce de son ex, attribue ses colères et son malaise au fait qu’elle habite avec deux femmes. A l’école, son professeur principal lui dit : « Tu as le droit de grandir dans une famille normale ».
Avec humour, la réalisatrice filme le glissement des conflits du quotidien à une violente querelle légale pour la garde des deux filles. Inspirée de la vie de Karen Atala, juge chilienne publiquement discriminée pour avoir parlé ouvertement de son homosexualité, cette histoire raconte « avant tout le divorce, la famille et la façon dont on résout les conflits. On les désamorce avec un sourire et une pizza», affirme Pepa San Martín.
J’aime l’histoire des femmes et j’ai envie de la raconter
Pepa San Martín, cinéaste chilienne
Primé à la Berlinale 2016, Rara a conquis un jeune public. « Les enfants comprennent très bien que ce n’est pas un pamphlet sur la discrimination ou l’étroitesse d’esprit. Après la projection, ils me posaient surtout des questions sur le sort du chat, sur les excentricités des jeunes filles… Les tout-petits n’ont pas de préjugés. La juge Atala a été jugée car lesbienne mais surtout car elle est femme».
Mais qu’on ne s’y méprenne pas. « Je fais de la politique pour les enfants, sourit-elle. Pour moi, réaliser un film n’est pas neutre. Un réalisateur est un communicant. Lesbienne, j’ai grandi avec les personnages des films, je m’identifiais avec eux. Pourquoi on ne s’identifierait pas à mes personnages ? »
C’est un vent frais sur le cinéma de son pays que veut souffler la réalisatrice passée par le théâtre, qui s’étonne d’apprendre que la représentation des lesbiennes a aussi du progrès à faire dans un pays comme la France : « Mon combat aujourd’hui est de faire que ce film, comme à Berlin, soit montré au public le plus large. Je ne veux pas qu’il soit interdit au moins de 14 ans. Je mets à l’épreuve les politiques de projection de mon pays et des pays latino-américains. Le Chili reste un pays très conservateur où l’on a conservé la Constitution de l’époque de la dictature ».
Cette trentenaire souriante ne craint pas les aléas de la production cinématographique. Il a fallu cinq ans pour que Rara arrive dans une salle de cinéma. « Ce n’est pas très important, dit-elle, enthousiaste. J’aime l’histoire des femmes et j’ai envie de la raconter. La conquête de nos droits sera longue ».
Montréalaise d’origine mexicaine, Karina García Casanova, connaît bien le défi de porter un projet de longue haleine. Pendant une dizaine d’années elle a tourné et monté son premier long-métrage documentaire : Juanicas, le portrait de sa famille.
Le déclic se fait le jour où – après un épisode psychotique – le trouble bipolaire de sa mère est enfin diagnostiqué. «Un vrai choc pour moi », se souvient-elle. Alors, elle se saisi de sa petite caméra. Au départ, sa mère et sa relation avec elle devaient être au cœur du propos. Mais le retour au Québec de son frère, Juanicas, disparu depuis longtemps va tout bouleverser. Il avait passé des années au Mexique où lui et la réalisatrice son nés. Atteint aussi de de trouble bipolaire, son frère sera le personnage principal.
La réalisatrice fait aussi le portrait d’une famille mexicaine immigrée au Canada. Et par la même occasion, se penche sur le système de santé canadien qui laisse sur le bord de la route les personnes atteintes de troubles mentaux.
« C’est un film très personnel. Mais j’ai trouvé important de partager cette histoire pour montrer cette réalité. La société a beaucoup de travail à faire pour prendre en charge les personnes atteintes de maladie mentale. Souvent, les familles sont laissées à elles-mêmes. Mon frère a mis fin à ses jours en prison. L’hôpital psychiatrique avait refusé de l’admettre après une très grave crise. Est-ce qu’on veut continuer à fermer des hôpitaux psychiatriques ? Le film pose ces questions, sans forcément y répondre », explique-t-elle.
La réalisatrice a hésité à donner une tournure plus politique au film. Mais son énorme implication « l’empêchait d’avoir le recul nécessaire ». Des photos de famille et des conversations enregistrées complètent le puzzle d’une heure et dix huit minutes où l’on découvre deux personnages attachants. Un frère bien trop humain qui souffre et une mère qui n’est à sa place ni au Mexique ni au Canada.
«Pour moi c’est l’environnement qui joue un grand rôle dans le développement de la maladie. L’immigration a exacerbé la problématique. Ma mère est venue pour des raisons arbitraires au Canada, sans travail sans parler ni l’anglais ni le français. Elle a élevé deux enfants seule », confie encore García Casanova. Cette mère est pourtant issue d’une famille mexicaine favorisée. Mais le tabou de la maladie et le poids des conventions liées au statut social l’étouffent. Et de poursuivre : « C’est un exil intérieur. Elle voulait conquérir une certaine liberté pour elle et pour nous ».
Le Mexique est alors idéalisé par Juanicas et l’auteure: « Quand on y retournait on avait l’impression que notre famille était riche, on découvrait des cousins des oncles des tantes. Alors que nous avons grandi isolés et sans beaucoup d’argent. Enfants, on a eu du mal à comprendre cet isolement. » Le Mexique était devenu un fantasme désacralisé par la suite grâce au recul de l’âge adulte.
Comme réalisatrice, il n’est pas toujours aisé de trouver sa place. Ce déséquilibre est lié à notre manque de confiance en nous
Karina García Casanova, réalisatrice Québec-Mexique
La puissance de ce film écrit avec les tripes, et paradoxalement aussi avec une distance salutaire, a séduit à Toulouse. Juanicas a remporté le prix du documentaire aux rencontres de Toulouse et le prix lycéen du documentaire. Au Québec, ce film a aussi collectionné de nombreuses récompenses où les documentaires réalisés par les femmes sont loin d’être rares.
Plus de la moitié des films documentaires financés par l’Etat sont faits par des réalisatrices. « Mais ces belles statistiques ne doivent pas cacher la réalité. On ressent une certaine forme de sexisme. Il n’est pas toujours aisé de trouver sa place. Je vais peut-être émettre une idée polémique. Ce déséquilibre est lié à notre manque de confiance en nous. Les réalisateurs ont tendance à s’affirmer plus facilement, sans doute parce qu’ils apprennent dès le plus jeune âge ».
Karina García Casanova estime que mettre en place un système de coaching pourrait contribuer à trouver un certain équilibre. « Nous avons le droit de faires des films aussi ». Une revendication qui raisonne haut et fort du nord au sud du continent. Ces jeunes réalisatrices font partie d’une génération qui emboîte le pas de leurs grandes soeurs telles que l’Argentine, Lucrecia Martel, nommée à Cannes, ou encore la Péruvienne Claudia Llosa, lauréate de l’Ours d’Or à Berlin.