Les marches anti-IVG à Bruxelles ou Bucarest ne font pas recette. Mais dérapent

Mille cinq cent personnes à Bruxelles, à peine deux mille à Bucarest, les marches "pro-life" - "pour la vie", organisées année après année en Europe sur le modèle américain, en cette fin mars 2017, ne drainent pas les foules. Et ce n'est pas une mauvaise nouvelle quand on écoute certain-es militant-es anti IVG énoncer des "faits alternatifs" qui feraient éclater de rire s'ils n'étaient pris au sérieux par certain-es...
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Manifestants anti avortements Bruxelles
Quelques uns des manifestants anti-avortements dont Stéphane Mercier au centre, pour l'heure suspendu de ses fonctions de chargé de cours à l'UCL de Louvain pour ces propos : "Si l’avortement est un meurtre, n’est-il pas encore plus grave que le viol ?"
capture d'écran RTBF
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Ce dimanche 26 mars 2017, les quelque 1500 Belges, femmes et hommes, descendus dans les rues de Bruxelles étaient bien décidés à donner de la voix, pour la 8ème édition de la "marche pour la vie" dans leur capitale. Un événement calqué sur ceux des activistes ultra-conservateurs américains, beaucoup plus puissants outre-Atlantique que sur le vieux continent, à l'exception de la Pologne menée par des catholiques, fervents de la naissance à n'importe quel prix, même au risque de la santé des mères putatives. 

Parmi ces quelques centaines d'irréductibles réunis à Bruxelles, armés de poussettes,  porteurs de ce qu'ils appellent "la culture de vie contre la culture de mort" (ils incluent dans leurs slogans le refus de mourir dans la dignité, un droit accordé en Belgique depuis 2002), on a pu entendre des arguments stupéfiants.

Mauvaise foi

Constance Du Bus
Constance Du Bus qui sait de source sûre qu'une Belge "a avorté la veille de son accouchement parce qu'il manquait un doigt à son bébé" (sic)
 
capture d'écran RTBF

Le journaliste de la RTBF-radio, embarqué dans la manifestation, a tout naturellement interviewé Constance Du Bus, porte-parole du mouvement. Cela donne le dialogue suivant :

Contance Du Bus : "Vous prenez (entendez ici 'avortez', ndlr) un enfant à trois mois de grossesse, à sept mois, même à neuf mois moins un jour, le jour avant sa naissance. Il se fait avorter le jour avant sa naissance".
Fabrice Gérard, le journaliste, lui montre son scepticisme...
"Et bien oui", répond Constance Du Bus sans perdre son aplomb. "Moi j'ai deux témoignages comme ça, parce qu'on a estimé que c'était une atteinte grave à la santé de l'enfant parce qu'il était sourd. Et un autre (témoignage, ndlr): j'ai une amie qui a travaillé dans un centre de planning familial et elle m'a dit qu'une femme avait avorté le jour avant la naissance parce que son enfant avait un doigt en moins. Je l'ai entendu cela".

Oui oui, vous avez bien lu. Aussitôt, déferlement de réactions ironiques sur les réseaux sociaux, telle celle-ci...

Jusqu'au rédacteur en chef de la RTBF qui commente, en un jeu de mots autour de fantasme et fanatisme :

L'immoral contre le légal

Constance Du Bus se retrouve certainement dans la parole imprégnée de citations bibliques de Stéphane Mercier lors de la marche du 26 mars 2017 : « Nous ne devons pas avoir peur, nous menons le bon combat, celui pour la vie. Saint Paul nous le dit : nous ne devons pas nous rendre complice des ténèbres. » Un enseignant qui n'hésite pas à porter la bonne parole auprès de ses étudiants, pendant ses cours à l'Université catholique de Louvain (ouverte à tous bien sûr), ce qui lui a valu d'être suspendu par l'établissement.

L'avant veille de la marche, afin de les mobiliser, le chargé de cours avait  distribué un plaidoyer de 15 pages anti IVG à ses élèves parce que selon lui : «  L’ IVG, c’est un euphémisme qui dissimule un mensonge : la vérité, c’est que l’avortement est le meurtre d’une personne innocente ». Avant d'ajouter : "Si l’avortement est un meurtre, n’est-il pas encore plus grave que le viol ? Le viol est immoral et heureusement il est aussi illégal. " CQFD. Un argumentaire qui n'est pas sans rappeler celui de l'archevêque de Madrid, Antonio María Rouco Varela qui estimait pour sa part que "le viol était pire que le nazisme."

Convaincre à pas de velours...

Pourtant d'autres chefs de file du mouvement, avaient incité leurs ouailles à séduire les pénitentes, via un discours plus policé et édulcoré. Un tournant "communicationnel" qui n'a pas échappé à Sylvie Lausberg, porte parle de la plate-forme "pro-choice" (pro-choix) en Europe, c'est à dire pour la liberté des femmes à disposer de leur corps, dans le reportage, télé cette fois, de la RTBF : « Il est évident que quand on s’attaque aux femmes, à des millions de femmes à travers le monde en édictant qu’elles n’on pas droit de recourir à l’IVG, on se met ces femmes à dos. Leur objectif c’est donc de récupérer toutes ces femmes qui ont accès au droit à l’avortement, à des IVG médicalisées, en leur montrant qu’ils ne sont pas contre elles, mais qu’ils leur offrent une autre solution. »

Une autre éminente militante féministe, Hafida Bachir – Présidente de "Vie Féminine", l'une des plus ancienne organisations belges de défense et promotion des droits des femmes, se demande où ces militants extrémistes trouvent donc le temps de manifester ici où là-bas contre des droits existants, plutôt que pour en obtenir de nouveaux...

A l'Est rien de nouveau

Là-bas justement, c'est en Roumanie, à l'autre bout, oriental, du continent européen, où ce week-end aussi, les anti-IVG s'étaient donné rendez vous. Beaucoup moins nombreux que les manifestants contre la corruption il y a peu, ils ont défilé la veille du rassemblement de Bruxelles, le 25 mars 2017, dans plusieurs villes de Roumanie et de Moldavie... Avec la bénédiction de l'Eglise orthodoxe.

La septième édition de cette marche était organisée par l'Association "étudiants pour la vie" sous l'intitulé prometteur "Aide la mère et l'enfant, ils dépendent de toi !" et s'est tenue dans près de 300 villes selon les organisateurs. 

"Les femmes méritent mieux que l'avortement. Vie pour la femme et vie pour la famille. L'avortement n'est pas une décision commune !", pouvait-on lire sur les pancartes.

A Bucarest, le cortège composé de jeunes, de parents avec enfants et de personnes âgées, comptait aussi de nombreux prêtres orthodoxes.

"Ce mot, 'avortement', ne devrait pas exister. Il ne rime qu'avec horreur et mort. On doit le bannir. Beaucoup de gens savent tout ça mais se laissent influencer. Surtout les jeunes, vu le libertinage qui est toléré aujourd'hui", a déploré un manifestant, Alexandru Darie.

Durant la période 1966-1989, sous le régime du dictateur communiste Nicolae Ceauşescu, l'avortement était interdit en Roumanie et de nombreuses femmes sont décédées lors d'opérations clandestines. Depuis sa légalisation en 1990, le nombre d'IVG en Roumanie est parmi les plus élevés des pays européens même s'il décroît régulièrement.

"Je ne crois pas qu'il faille, comme durant le communisme, mettre en place une loi anti-avortement mais plutôt favoriser l'éducation et la prévention. Pour prévenir des grossesses non-voulues", expliquait Iulia Tapardel, une manifestante. 

Vice România est allé à la rencontre de ces Roumains qui veulent contrôler le corps des femmes.

Avant de donner la parole à de jeunes homosexuels qui se demandent ce qu'auraient fait ces parents potentiels anti-droits à l'avortement s'ils avaient su que leur enfant allait devenir gay...

Homosexuels et femmes, un même combat

C'est que comme en Belgique, ces opposants à l'un des droits fondamentaux des femmes avaient un deuxième fer au feu. Ils étaient sur le pied de guerre pour un autre combat, celui contre le mariage des homosexuels. Ils viennent d'ailleurs de lancer une procédure pour obtenir un référendum visant à inscrire l'interdiction de ce type d'union dans la Constitution. Le sujet divise fortement la société roumaine.


#yaduboulot comme nous disons toujours dans Terriennes

Pour suivre Sylvie Braibant sur twitter : @braibant1