Les "mauvaises filles" du château de Cadillac

Nées en 1922, 1926 ou 1930, Félicie, Irma, Jeanne étaient accusées de vol, vagabondage, outrage à l'ordre public... Pour les remettre dans le droit chemin, elles étaient envoyées à l'école de préservation pour jeunes filles de Cadillac, dans un château qui fut la première prison pour femmes jusqu'en 1891. 

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Ecole de préservation pour les jeunes filles

L'Ecole de préservation pour les jeunes filles de Cadillac, vers 1929-1931

JL Paillé/Centre des monuments nationaux
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Bâti pour le duc d'Epernon au XVIe siècle dans le sud-ouest de la France, le château de Cadillac fut la première prison pour femmes de France de 1818 à 1891. Il abrita ensuite une école de préservation pour jeunes filles – l'équivalent des maisons de correction pour garçons, jusqu'en 1951. 

Les détenues des écoles de préservation sont des jeunes filles qui s'éloignent des normes de genre. Véronique Blanchard

C'est dans cette bâtisse, au sud de Bordeaux, que vagabondes, orphelines, avortées, voleuses, bagarreuses étaient enfermées jusqu'à l'âge de 21 ans, jusqu'à leur majorité. La plupart étaient issues de classes populaires. "Les détenues des écoles de préservation sont des jeunes filles qui s'éloignent des normes de genre", explique Véronique Blanchard, historienne et co-autrice du livre Mauvaises filles

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"Ce qui inquiète, c'est le corps et la sexualité des jeunes filles, ajoute l'autrice. L'administration est hantée par la peur de la prostitution", constate Cyril Olivier, coordinateur des recherches et des expositions aux archives départementales de la Gironde. 

Sous contrôle permanent

A la fin du XIXe siècle, trois écoles de préservation pour jeunes filles voient le jour, des établissements publics gérés par l'administration pénitentiaire. A Cadillac, l'escalier central du château ducal, ses cheminées sculptées et ses appartements luxueux contrastent avec les cellules sous les combles, véritables "cages à poule". Les graffitis sur les murs et les lourdes portes en bois témoignent du temps de la prison, après que les quartiers de la duchesse ont été reconvertis en dortoirs. "Ce bâtiment a traversé des choses extrêmement contradictoires : d'un côté, un palais fastueux et tape-à-l'œil, et de l'autre un passé carcéral dont on a conservé les traces", décrit Olivier du Peyrat, administrateur du château. 

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"Cadillac incarne un lieu disciplinaire à la Michel Foucault, où l'on impose une discipline du corps et du temps aux détenues, soumises à un contrôle permanent", explique Véronique Blanchard. 

Révoltes et punitions

Les archives départementales conservent des traces des révoltes de détenues. En 1941, six jeunes femmes tentent de s'évader. Rattrapées, elles sont sanctionnées par trente jours de cachot et un régime de pain sec et d'eau. Les filles, selon les procès-verbaux des gendarmes, sont "de nature violente", ont une "moralité déplorable" et une "conduite légère". Elles se rebellent contre leurs surveillantes, les agressent, leur lancent des seaux d'urine au visage. Les perturbatrices sont envoyées à l'isolement, tondues, parfois soumises à la camisole de force, relate Véronique Blanchard. 

On fait entrer les filles dans un univers carcéral et on les endette de manière à ce qu'elles puissent difficilement en sortir. Cyril Olivier

Les punitions sont également financières. Certaines détenues travaillent comme blanchisseuses, couturières et domestiques à l'extérieur. En cas de mauvaise conduite, leur pécule est prélevé par l'administration. "C'est un système de dette : on fait entrer les filles dans un univers carcéral et on les endette de manière à ce qu'elles puissent difficilement en sortir", commente Cyril Olivier. 

Impossible réforme

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, on essaye de "tourner la page des bagnes d'enfants et de favoriser leur éducation", explique Olivier du Peyrat. L'école de préservation devient alors un "institut public d'éducation surveillée" que la psychologue Dominique Riehl est chargée de réformer. 

Elle met en place des cours de sport, des ateliers de théâtre, supervise la scolarité des filles, dont le niveau à Cadillac est très faible. Les détenues deviennent des "pupilles" divisées en petits groupes autour d'une éducatrice, afin de reproduire un semblant de cellule familiale. 

Mais l'expérimentation, lancée en octobre 1944, échoue. Le passé carcéral du château est trop lourd, le bâtiment inadapté. Cadillac est le dernier institut public d'éducation surveillée à fermer ses portes en 1951, après les suicides de deux pupilles.

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Le château est restitué au secrétariat des Beaux-Arts en 1956. Des travaux sont effectués, mais l'extérieur et les cheminées restent en mauvais état. Une rénovation globale a lieu dans les années 2000. En 2019, Olivier du Peyrat ouvre les combles à la visite. "On a essayé de donner à voir ce que le château a abrité de manière particulièrement marquante et sombre. Le public ressort saisi par le passé carcéral du lieu, un passé beaucoup plus fort, proche et sensible que les fastes du palais", affirme-t-il. 

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