Ces femmes ont aussi souvent fait preuve d’un courage hors norme. Au péril de leur vie, elles sont allées chercher leurs enfants au fin fond de la Tchétchénie pour les soustraire à leurs ravisseurs. En cela, on les a comparées aux mères de la place de mai en Argentine qui depuis trois décennies continuent à réclamer leurs disparus. Une rencontre en 2003 a d’ailleurs eu lieu, en France, initiée par une université. Pourtant entre elles, le courant n’est pas passé et elles sont restées durant cet échange à « se regarder en chiens de faïence ».
« Les mères de soldats russes ne veulent rien avoir à faire avec les activistes argentines. Les mères de Buenos Aires sont dans une revendication de justice liée à un deuil, une commémoration. Les Russes se veulent médiatrices entre des individus et l’institution militaire, une démarche qui ne laisse pas place aux larmes. »
Des mères sur tous les fronts
Pourtant ces mères ne peuvent empêcher d’être reliées, malgré elles, à ce mode d’action qui s’est développé récemment sous beaucoup de latitudes : mères fracassées des dictatures sud-américaines, mères endeuillées des cités de France ou d’ailleurs qui ont vu mourir leurs fils dans des règlements de compte, mères immigrées aux Etats-Unis en quête d’une vie meilleure pour leurs enfants,
mères mexicaines à l’assaut des « narcos », mères brésiliennes en lutte contre la drogue, les mères de jeunes gens égarés dans les arcanes du terrorisme ou les mères de leurs victimes, mères japonaises contre le nucléaire, etc…
« Elles n’ont peur de rien. Et en même temps ça rigole toute la journée au comité. Cet univers féminin donne une ambiance émotionnelle assez particulière. On mange des gâteaux à la crème, on discute de la coupe d’une jupe, de maquillage, on lit des magazines… Il y a une espèce de combinaison fascinante du fort, douloureux, important avec une légèreté… Ce sont de ‘sacrées bonnes femmes’, dont on n’attendrait pas qu’elles s’attaquent à un officier gradé, et pourtant, quand elles y vont, c’est un carnage ! Et avec quelle jubilation ! ». Anna Colin Lebedev s’amuse et ne cache pas, après des années passées dans leur compagnie, l’admiration qu’elle éprouve pour ces mères courage qui se battent avec succès contre des citadelles, en apparence, imprenables.