Quelle est cette instance de l’ONU qui condamne la France pour sa loi sur le voile ?
Non l’O.N.U. à proprement parler ni même son Haut commissariat – précédemment dirigé par le Jordanien
Zeid Ra’ad Al Hussein, depuis le 1er septembre par l’ex-présidente chilienne
Michèle Bachelet – mais son « Comité des droits de l’homme ».
Le Comité des droits de l’homme est un organe composé d’experts indépendants qui surveille la mise en œuvre du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dérivé onusien conclu en 1966 de la Déclaration des droits de l’homme.
Il ne doit pas être confondu avec le
Conseil des droits de l'homme, organe intergouvernemental des Nations Unies, composé de 47 États qui ont la responsabilité de "
renforcer la promotion et la protection des droits de l'homme autour du globe", dont le siège est à Genève.
Le comité est composé de dix-huit membres, ressortissants des États signataires du Pacte, élus mais «
siégeant à titre individuel », non-soumis, donc, en théorie, à leurs gouvernements respectifs. Ils doivent être «
des personnalités de haute moralité et possédant une compétence reconnue dans le domaine des droits de l'homme ».
Il examine à intervalles réguliers des rapports sur la mise en œuvre des droits consacrés par le Pacte et fait part de ses préoccupations ou de ses recommandations à l’État partie sous la forme d’«
observations finales ».
Est-ce la première fois que ce comité critique la France ?
Non. Le Comité a déjà épinglé la France à différentes reprises. En juillet 2015
sous forme de « recommandations », entre autres à mieux considérer le droit des minorités et singulièrement ceux des gens du voyage, moins abuser de l’appellation de «
terrorisme », mieux respecter le droit d’asile, intensifier la lutte contre le racisme … Il lui a aussi demandé de remédier à la surpopulation carcérale.
Il est intervenu en août dernier dans le
conflit de la crèche Baby-Loup, qui oppose depuis 2008 à sa direction une de ses ex-collaboratrices licenciée pour avoir refusé d’abandonner le voile dans le cadre de son travail.
Contrairement à la Cour française de cassation qui
avait validé le licenciement, et jugé la mesure d’interdiction du voile dans cette fonction, en l’espèce, justifiée et proportionnée, le Comité a estimé que «
l’interdiction qui lui a été faite de porter son foulard sur son lieu de travail constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté de manifester sa religion ».
Que dit cette fois ce comité ?
Ce 23 octobre, il «
condamne » la France pour avoir verbalisé deux femmes qui portaient le voile islamique intégral, demandant à Paris de «
compenser » les plaignantes et de réviser sa loi. Dans un communiqué de presse, le Comité a jugé que «
l'interdiction du niqab viole la liberté de religion (et) les droits humains » de ces deux musulmanes.
Plus généralement, «
Le Comité reconnaît que les États peuvent exiger des individus qu'ils découvrent leur visage dans des circonstances spécifiques dans le cadre de contrôles d'identité, mais il a été d'avis que l'interdiction généralisée du niqab était une mesure trop radicale », poursuit le communiqué.
Il considère que l’«
interdiction généralisée à caractère pénal (...) a porté atteinte de manière disproportionnée au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion ». Il a également reproché à cette loi de «
marginaliser » ces femmes «
en les confinant chez elles et en leur fermant l'accès aux services publics ».
La fermeté de la résolution - qui concède peu au point de vue français -, cache pourtant des interrogations ou nuances de plusieurs des membres du comité onusien. Son président, l'Israélien Yuval Shany, souligne qu'il considére à titre personnel, comme «
nombre » des dix-sept autres experts, que le niqab est «
une forme d'oppression contre les femmes ».
Dans une interview à l'AFP, sa membre lettone Ilze Brands-Kehrisa reconnaît que le voile islamique est «
une très grande question qui suscite aussi beaucoup d'émotion et de réactions, et donc qui peut être politisée et manipulée ». Mais, rappelle-t-elle
, «
ce n'est pas le rôle du comité. Nous, on fait une analyse strictement juridique de la situation ».
Quelles conséquences pratiques ?
Sans doute aucune. Le Comité demande à la France de lui envoyer un «
rapport de suivi » dans un délai de 180 jours sur les mesures prises pour «
compenser les plaignantes » et «
éviter que des cas similaires se reproduisent à l'avenir, y compris en révisant la loi incriminée ».
En réalité les experts ne font que rendre des avis et n'ont aucun pouvoir de contrainte sur les États.
Appelée à statuer, la
Cour européenne des droits de l'homme a de surcroît toujours validé les lois encadrant le port du voile.
Selon Ilze Brands-Kerish, Paris est, malgré tout, «
dans l'obligation » de se conformer aux recommandations du Comité, en tant que signataire du Pacte sur les droits civils et politiques. C’est une opinion, mais la France, dans le passé, s’ en est peu soucié.
L’avis ne concerne-t-il que la France ?
Non. En raison du recours spécifique de plaignantes dans un contexte particulier, c’est la France qui est nommée dans l’avis du comité des experts. Elle est aussi le pays qui, le premier, a adopté en 2011 une loi restreignant le port du voile et la dissimulation de visage dans l’espace public. Emblématique en la matière, elle n’est cependant plus isolée.
Plusieurs pays européens l’ont suivie :
Belgique,
Bulgarie,
Autriche et plus récemment le
Danemark. L'
Allemagne et la
Suisse partiellement.
A l’inverse, le monde anglo-saxon y est réticent, s’inscrivant souvent dans une culture et tradition plus « communautaristes » et reconnaissantes des religions, réservant à chacune de ses communautés ethniques et religieuses des droits spécifiques.
Entre deux, le
Québec a pourtant
à son tour adopté en 2017 une loi proscrivant le port du voile intégral dans les administrations et les transports publics.
Chacun de ces pays se trouve implicitement concerné par l’« avis » rendu aujourd’hui par le comité des droits de l'homme de l’ONU. Et chacun peut l’ignorer.