Pourquoi les plus jeunes semblent-ils moins imprégnés par le sexisme que leurs aînés ? C'est à cette question que cherchent à répondre le réalisateur Laurent Metterie et la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, dans un nouveau film
Les petits mâles, dans la suite de leur première enquête
Les mâles du siècle.
Pour y voir un peu plus clair sur ce constat, le plus simple est d'aller à la rencontre de ces garçons, de 7 à 18 ans, et c'est ce qu'a fait le réalisateur en les plaçant face à sa caméra. Au menu de leurs échanges : des sujets "corporels" qui sont au cœur des combats féministes actuels (apparence physique, relations amoureuses, sexisme, violences sexuelles, diversité des genres…). Par-delà la sortie en salle, prévue l'an prochain, ce
film d’éducation féministe sera diffusé lors de projections-débats.
Sexe, genre et féminisme chez les ados
Alors comment les garçons et adolescents d'aujourd'hui se voient-ils en hommes de demain ? Entretien croisé avec Camille Froidevaux-Metterie et Laurent Metterie.
Une campagne de financement participatif pour le film Les petits mâles a été lancée sur internet, sur la plate-forme Ulule jusqu'au samedi 18 juin 2022. Une partie des contributions sera reversée à Dans Le Genre Égales, une association de sensibilisation à l’égalité femmes-hommes et de prévention des violences sexistes et sexuelles, et qui intervient auprès d'enfants, de jeunes et d'adultes en organisant des ateliers de sensibilisation, des stages et des caravanes itinérantes.
Pour (re)voir en VOD Les mâles du siècle, rdv ici sur le site internet. Quand on est un garçon, encore aujourd'hui, on n'est pas autorisé à parler de ses émotions, ni de sa fragilité.
Laurent Metterie, réalisateur et militant féministe
Terriennes : À l'heure des nouvelles mobilisations féministes, le terme injonction est un peu mis à toutes les sauces, qu'en-est-il pour les injonctions à la virilité, est-ce que les jeunes garçons rencontrés savent de quoi on parle ?
Laurent Metterie : Eux ne parlent pas d'injonctions. C'est un terme qui, pour être utilisé, nécessite soit d'être féministe, soit d'être intéressé par la question, mais ils se plaignent du "Sois un homme mon fils" ou du "Pas le droit de pleurer". Parler de ses émotions, c'est compliqué pour eux. Les plus grands ont un peu de recul et le disent, "nos émotions, on ne peut pas en parler à nos potes, ni à nos parents". Certains nous confient qu'ils vont voir les filles pour parler de choses intimes, justement.
Quand on est un garçon, encore aujourd'hui, on n'est pas autorisé à parler de ses émotions, ni de sa fragilité. Oui, ce sont bien des injonctions, mais ils n'en ont pas conscience. Et tout ça à cause du patriarcat, d'un point de vue féministe, de l'éducation, des pères, des grands-pères. Il y a plein de moments où on nous dicte sans même le dire, comme une sorte de softpower du patriarcat, ce que l'on doit faire ou pas, avec les filles notamment. On est sans arrêt dirigés dans cette atmosphère, "un homme, c'est comme ça", "une fille faut que ça pleure", sous-entendu, "un homme ça ne pleure pas", pour citer mon grand-père.
Dans les vestiaires, où l'on est entre hommes, il y a un jeu de pouvoir qu'on se renvoie, à travers notamment des blagues grivoises, sur la taille du sexe par exemple. Toutes ces petites blagues mises bout à bout dans une vie, ça fait qu'à 40 ans, on peut être totalement enfermé là-dedans, et ça commence dès 5 ans.
Tous ces jeunes gens ont une forme de conscience de tout ça, et une forme de résistance aussi, y compris les plus jeunes, et pas seulement les ados – et ça c'est peut-être nouveau.
Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, militante féministe
Camille Froidevaux-Metterie : L'idée est de mener ces discussions sur le ton de la conversation et d'éviter justement des termes comme injonction, qui seraient un peu trop connotés. On veut recueillir la parole la plus libre possible, et c'est d'ailleurs toute la difficulté du travail d'enquête.
En revanche, ce qui est évident, c'est qu'en effet, tous ces jeunes gens ont une forme de conscience de tout ça, et une forme de résistance aussi, y compris les plus jeunes et pas seulement les ados – et ça c'est peut-être nouveau. C'est une génération qui dispose d'outils que les précédentes n'avaient pas,
via les réseaux sociaux notamment. Ils expriment des choses, qui, par certains aspects, nous montrent une forme de perpétuation, un peu inquiétante, de certains réflexes patriarcaux, mais en même temps, ils ont une forme de réflexivité parce qu'ils sont mieux éduqués à ces questions.
Avec une nuance à préciser, c'est que jusqu'à présent, les garçons que nous avons rencontrés sont essentiellement des Parisiens et des banlieusards. On voudrait maintenant aller en province, dans les campagnes... Sociologiquement, c'est important, ceux que nous avons vus baignent dans un climat global d'imprégnation à toutes ces questions.
Qu'est ce que Metoo a changé pour la nouvelle génération de garçons ? Comment l'ont ils vécu et compris ?
Laurent Metterie : Je ne sais pas s'ils ont compris cette vague Metoo, mais ils sont sensibilisés à ces questions, ce qui n'était pas le cas avant. Les garçons que j'ai filmés parlent de violences, de gestes qui les ont choqués, et ça, il y a 5 ou 10 ans, ce n'était pas le cas. Il y a une prise de conscience dans cette génération parce qu'ils entendent leur mère en parler, leur grande soeur, leur père, etc ... Cela fait partie des discussions. Ils ont des choses à dire.
Camille Froidevaux-Metterie : Avec cette petite nuance, on a pu observer que sur la question du harcèlement, la parole a encore du mal à s'exprimer.
Laurent Metterie : En effet, ils disent qu'ils ont entendu parler d'un garçon qui a pu faire des choses, ou d'une fille qui en a subies... Mais ça les gène un peu. Ils ont peur de passer pour une balance. Il y a un peu l'omerta patriarcale qui est encore là.
Pour les plus jeunes, comme pour les ados, les métiers d'hommes et de femmes, ça veut encore dire quelque chose ?
L. M : Honnêtement, pas du tout, d'après ce que j'ai vu. Tous sont unanimes pour dire qu'il n'y a pas de différence. Et ils le disent vraiment de manière sincère, ils ne comprennent pas qu'il puisse y avoir un problème. Je me souviens qu'avec un garçon de 8 ans, on parlait du fait qu'il y avait beaucoup de femmes de ménage et moins d'hommes de ménage. Pour lui, c'est parce qu'il n'y a pas assez de boulot, et que les femmes ne sont pas assez admises (dans les études supérieures, par exemple). Lorsque je lui demande pourquoi, on voit le garçon qui ne comprend absolument pas. Sur ce questionnement-là, il y a eu beaucoup de progrès.
C. F-M : Ce sont tout simplement des garçons dont les mamans travaillent, ils ont grandi dans un monde où les femmes ont des métiers et travaillent. Et aussi, il y a de plus en plus de modèles de femmes qui font des métiers dits masculins. La question de la féminisation du monde professionnel, ce n'est pas un souci. Maintenant, il leur manque sans doute les connaissances pour savoir ce que signifie le plafond de verre.
Avec toutes les campagnes menées ces dernières années, comment abordent-ils les relations amoureuses ? Les filles leur font peur ? L. M : C'est surtout avec les ados qu'on échange sur ce sujet. On évoque notamment "la première fois". Je ne vois pas beaucoup de différence avec ce que moi j'ai pu vivre à mon adolescence.
C. F-M : Ce que je ressens, c'est que ça demeure un sujet
un peu crispant. Il me semble que les filles ont une relation plus directe et plus décomplexée avec ces sujets, même s'il y a une sorte de rattrapage. Ils sentent bien que les vieux schémas sont en train d'être bousculés.
La sexualité, à l'adolescence, c'est "le" sujet, quel est leur rapport avec la pornographie, par exemple?
L. M : Sur la pornographie, ils ont conscience que c'est un business, ils arrivent à avoir du recul, tout en reconnaissant qu'ils peuvent être accro. Mais grâce à ça, ils savent aussi très bien que ce n'est pas la réalité, que ce ne sont pas des choses à suivre. C'est un "bon" côté, si je puis dire, parce qu'ils ont à l'esprit qu'ils peuvent aller voir ces images et, après, réaliser que ce n'est pas bien du tout, que les femmes ne sont pas des objets et que non, les garçons n'ont pas tous des sexes de 40 cm !
Beaucoup me disent par exemple être déjà intervenus s'ils trouvent un garçon trop lourd avec une fille.
Laurent Metterie
Sur le consentement, savoir dire oui ou non, qu'en pensent-ils ? L. M : Pour en avoir pas mal parlé avec eux, beaucoup me disent
par exemple être déjà intervenus s'ils trouvent un garçon trop lourd avec une fille. Ils ont plus conscience du respect, de l'écoute. Cela m'a beaucoup impressionné. Ils sont contrariés si on leur parle de violences sexuelles. Ils savent ce qui se fait et ce qui ne se fait pas.
Les hommes féministes de demain sont en train de grandir.
Camille Froidevaux-Metterie
Les garçons d'aujourd'hui sont-ils les nouveaux féministes que le féminisme attendait ? C. F-M : C'était l'hypothèse du film au départ. On a pas mal de signaux qui nous le confirment. Les hommes féministes de demain sont en train de grandir. Néammoins, on repère quand même, entremêlés à ces propos tout à fait encourageants, des éléments typiquement hérités de l'ancien monde patriarcal, ce qui ne m'étonne pas. Je suis convaincue qu'on vit une période charnière, dans des sociétés occidentales, qui restent par bien des aspects enracinées dans des mécanismes patriarcaux, mais au sein desquelles il y a cette dynamique émancipatrice. Et cette jeune génération témoigne de ce moment de passage. Je l'espère, on verra ! L'un des enjeux de ce film est justement de montrer le passage d'un monde à l'autre.
L. M : L'intention de ce film est d'aider les jeunes gens, en se voyant réfléchir, mentir etc, à prendre conscience de tout ça. S'il peut y contribuer, ça permettrait de faire avancer les choses et de passer à la vitesse supérieure. Les plus vieux parmi ceux que je rencontre, entre 16 et 18 ans, se sentent exclus lorsqu'on parle de féminisme tout à la fin de l'entretien. Ca les impressionne, ça leur fait un peu peur, ils trouvent parfois leurs copines trop radicales, et qu'on les prend pour des salauds.
Il faut parler aux hommes d'une certaine façon. C'est pour ça qu'en tant qu'homme féministe, c'est important de faire un film pour des hommes féministes en devenir. Le féminisme doit aussi faire un effort dans son discours et son approche des hommes.
C. F-M : C'est très important. Les hommes sont nécessaires dans nos combats, désormais, car c'est la première fois, dans l'histoire du féminisme, qu'ils sont confrontés à ce sujet de manière aussi frappante. Ils ne peuvent plus dire que tout ça ne les concerne pas, que ce sont des affaires de "bonne femme". Il y a une sorte d'impératif pour eux à accepter ces questions.
En tant que féministe et femme, je pense qu'il ne suffit pas que les hommes se déclarent nos alliés ou soient d'accord avec nos combats. Il faut qu'ils y prennent part, en réfléchissant à produire des outils à destination des garçons, de manière à partager aussi avec les femmes cette tache éducative qu'elles portent généralement quasi à 100% encore aujourd'hui. Les militantes féministes parlent souvent de leur fatigue à porter ces messages, à devoir les répéter sans cesse. Et bien si les hommes s'en saisissent et acceptent de partager cette tache de pédagogie féministe, on va avancer beaucoup plus vite !