Les pharmaciens au coeur d’un débat sur l’accès à la contraception

L’Ordre national des pharmaciens français devait débattre de la création d’une clause de conscience qui a rapidement fait polémique. Les défenseurs des droits des femmes y voient une menace au droit d’accès à la contraception. Explications. 
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pharmacienne et cliente
Avec leur future clause de conscience, les pharmaciens pourront-ils plus facilement refuser de délivrer des moyens de contraception ? Polémique. 
©Thinkstock/Wavebreakmedia
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Fin de passe d’armes ? Ces dernières jours, le ton est monté entre l’Ordre national des pharmaciens français, des défenseurs des droits des femmes et la ministre de la Famille, Laurence Rossignol. 
 
A l’origine de ces échanges houleux une consultation relancée par l’Ordre des pharmaciens concernant la création d’une clause de conscience qui n’existait pas encore pour cette profession. Elle leur permettrait de refuser de délivrer des médicaments si c’est en désaccord avec leurs convictions personnelles. Dans le code de déontologie toujours en vigueur, datant de 1995, les pharmaciens peuvent refuser de délivrer un traitement dans l’intérêt du patient. 
 

Clause de conscience

Depuis 2015, l’Ordre prépare donc un nouveau code de déontologie. Après une consultation auprès de 75 000 pharmaciens, 3 000 d’entre eux ont répondu. A 85%, ils se sont dit favorables à la création d’une clause de conscience. Mais le Conseil national est resté très divisé sur le sujet et une nouvelle consultation a été lancée jusqu’au 31 août. Le Conseil national de l’Ordre se réunira le 5 septembre pour rendre sa décision qui portera sur un article particulier au coeur de polémiques en France :
R. 4235-18: « Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique ».

C'est la phrase « le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine » qui nourrit les débats et suscitent des interprétations multiples. 

Pharmaciens réactionnaires?

Rapidement, sur internet le lien est fait avec la délivrance de contraceptifs. Un collectif de pharmaciens s’interroge : « pourquoi inscrire cette clause de conscience dans le nouveau code si ce n’est pour satisfaire les pharmaciens les plus réactionnaires, qui souhaitent avoir le droit de ne pas délivrer certains médicaments par convictions personnelles ? » Leur pétition en ligne lancée en ligne a déjà recueilli plus de 10 000 signatures. 
 
Ils s’insurgent notamment contre leurs confrères qui aujourd'hui déjà se permettent de refuser de délivrer des moyens de contraception. Ce fut le cas récemment de ce pharmacien de Gironde suspendu par l'Ordre après avoir refusé de délivrer un stérilet et une pilule du lendemain. Mais avec cette clause de conscience ainsi formulée, serait-il à nouveau suspendu ? Pharmaciens et défenseurs des droits des femmes s'interrogent. 
 
La polémique a enflé ces derniers jours sur les réseaux sociaux comme par la voix notamment de cette directrice d’hôpital qui s’y oppose :
 
Ou encore cette internaute qui interroge la difficulté en province de trouver un autre pharmacien :

Le droit des femmes en question

L’organisation féministe "Osez le féminisme" a aussi partagé sa colère. Dans un communiqué, elle dit s’insurger contre cette proposition « contraire aux libertés des femmes, et en demande le retrait immédiat. » Ajoutant que cette clause « serait un recul insupportable pour les droits des femmes ! »
 
La ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, Laurence Rossignol s’en est aussi mêlée dans un communiqué publié le mardi 19 juillet, appelant à la vigilance : « Quel que soit le résultat de cette consultation, le simple fait d’interroger les pharmaciens sur ce sujet nous rappelle que l’accès à la contraception et à l’IVG, en tant que droits à part entière, n’est jamais définitivement acquis. »
 
La ministre a appelé la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens de « clarifier »  l’article en cause. Ce mardi 19 juillet, la réponse cinglante de celle-ci ne se fait pas attendre. Par communiqué, Isabelle Adenot assure que le Conseil de l’Ordre ne vise pas les moyens contraceptifs (pilule du lendemain, de stérilet ou même de préservatif) mais bien la « fin de vie », « situation souvent très délicate à gérer par les pharmaciens de ville et d’hôpital  », précise-t-elle. 
 
Dans ce communiqué, Isabelle Adenot a aussi répondu à la ministre que « La Présidente de l’Ordre et la femme que je suis, est très attachée aux droits des femmes trop souvent chèrement acquis.» 
 
Vaine justification ? Nos confères de Slate ont retrouvé un article publié le 10 juillet 2004 dans la revue professionnelle le Moniteur des pharmaciens qui expliquait qu'Isabelle Adenot, alors présidente de section à l’Ordre, défendait la création d’une clause de conscience autorisant aux pharmaciens de refuser de délivrer aux médecins les produits permettant de réaliser une IVG médicamenteuse. 
La Présidente de l’Ordre et la femme que je suis, est très attachée aux droits des femmes.
  Isabelle Adenot, présidente de l'Ordre national des pharmaciens
 
Cette position pourrait bien semer à nouveau le trouble dans les propos défendus par la présidente du Conseil de l’Ordre. Même si elle assure que la contraception n’est pas visée, la formulation « susceptible d’attenter à la vie humaine » reste sujette à interprétations comme l’a rapidement fait remarqué Léo, un pharmacien qui tient le blog « La coupe d'hygie ».
 
Il explique par le menu, que cette phrase ne peut recouvrir « la fin de vie » comme on l'entend par suicide, peine de mort ou euthanasie (illégales en France) qui en nécessite aucune intervention du pharmacien. Selon lui, cette clause recouvre d’autres réalités : « l’IVG médicamenteuse, certaines méthodes de contraception.» 

Contactée, la présidente du Conseil de l'Ordre des pharmaciens ne nous a pas livré sa réponse afin de préciser ce que recouvre la formulation "fin de vie" en termes de traitements délivrés par les pharmaciens qui pourraient donc porter « atteinte à la vie humaine ».  Mais le Bureau du Conseil de l'Ordre des pharmaciens s'est fendu jeudi 21 juillet d'un communiqué annonçant que la consultation était suspendue « le contexte actuel n’étant plus propice à une réflexion éclairée et mesurée ​». Le Bureau demandera aussi au Conseil le 6 septembre de « ne pas maintenir en l’état le projet de clause de conscience.».
 
Au final, ce sera bien le ministère des Affaires sociales et de la Santé qui devra trancher sur l'instauration de cette clause de conscience.