Dix ans de fraude, 300 000 femmes concernées dans le monde, plus de 5000 plaignantes venues de tous les continents : c’est une sorte de méga-procès qui se déroulera à partir du 17 avril 2013 et durant un mois, à Marseille, la grande métropole du Sud de la France, autour du scandale des prothèses mammaires défectueuses fabriquées par la société française Poly Implant Prothèse (PIP). Cinq personnes parmi lesquelles Jean Claude Mas, le fondateur de l’entreprise, comparaissent pour avoir rempli les implants d'un gel de silicone non conforme, et qui a entraîné de nombreuses ruptures de prothèses.
Carte des impacts du scandale des prothèses mammaires PIP à travers le monde - AFP
Un impact planétaire, accentué en Amérique latine 30 000 femmes concernées en France, 300 000 à travers le monde, ce scandale planétaire touche plus de 65 pays. Au premier rang desquels l’Amérique du Sud et particulièrement le Venezuela, le Brésil, la Colombie et l’Argentine. En 2009, cette région représentait plus de 50% des ventes de PIP (Poly implant prothèse). Autre grande région : l’Europe de l’Ouest (27 à 28%) et de l’Est. Suivi par le Proche et le Moyen Orient (8,1%) sans oublier l’Asie et l’Océanie.
Recommandations des autorités Dès 2011, la France a recommandé le retrait des prothèses PIP à titre préventif. En 2012, l’Allemagne, où 5000 femmes seraient concernées, lui a emboîté le pas. La Grande-Bretagne qui à l’époque n’avait pas plaidé en faveur d'un "retrait généralisé" de ces implants, pourrait, suite au récent appel d’éminents chirurgiens britanniques réviser son jugement. Quelque 40 000 à 50 000 Britanniques seraient concernées. Des disparités de prise en charge d’un pays à l’autre La France est l’un des rares pays à prendre en charge, via l’assurance maladie, les frais liés au retrait des prothèses mammaires défectueuses PIP. A ce jour, 15 000 femmes ont été opérées dont 11 000 à titre préventif, selon un récent état des lieux de l’ANSM. Sauf dans le cas de femmes relevant d'une chirurgie réparatrice (suite à un cancer du sein, par exemple), la pose de nouvelles prothèses demeure, quant à elle, à la charge des patientes. Ailleurs dans le monde, les remboursements varient selon les systèmes de sécurité sociale et les décisions des autorités. En Angleterre, les femmes opérées dans le secteur public hospitalier ont la possibilité de se faire retirer gratuitement leurs prothèses. Mais plus de 90% des pauses d’implants ayant été effectuées dans des cliniques privés, une certaine pression commence à s’exercer sur ces établissements afin qu’ils prennent en charge ces interventions.
Jean-Claude Mas, le fondateur de la société PIP, principal accusé du procès du 17 avril 2013 à Marseille
Double peine Au Venezuela, le retrait de ces prothèses est gratuit dans les établissements étatiques de santé du pays. Idem en Colombie où les femmes peuvent s’appuyer sur la « résolution 258 » initiée par le ministère de la Santé en 2012. Un coût pour la santé publique qui, selon le site d’information el tiempo.com, s’élèverait à 1100 millions de pesos colombiens. Certaines victimes de ce continent se plaignent du traitement minimaliste dont elles ont fait l’objet dans ces conditions de réparation publique. Dans d'autres pays, l'extraction est prise en charge uniquement en cas de rupture ou d’opération consécutive à une maladie. Et dans la majorité de 65 pays concernés elle ne l’est… pas du tout. C’est notamment le cas de l’Argentine ou du Brésil.
Une des prothèses PIP déchirée, celle d'une Britannique - AFP
Une avalanche de procès en cours et à venir La société PIP, française, étant en faillite et ses dirigeants insolvables, beaucoup d’étrangères tentent d’obtenir des compensations financières en se retournant contre les sociétés importatrices, les assureurs, les cliniques ou encore les chirurgiens. C’est notamment le cas d’une Allemande dont le procès est en cours et d’une espagnole qui a remporté, en février dernier, un procès contre son chirurgien. En Argentine, où l’on estime entre 13 000 et 15 000 le nombre de porteuses, beaucoup ont supporté les coûts de retrait et de nouvelles poses à leurs frais (environ 4000 à 5000 dollars). « 400 (d’entre elles) vont participer à une action collective devant la justice locale » contre PIP et ses assureurs a indiqué l’avocate Virginia Luna, elle même porteuse. Au Brésil, en 2009, Jany Simon Ferraz : une brésilienne de 56 ans a saisi la justice contre la société importatrice EMI. Elle vient d’obtenir une indemnisation de 35 000 dollars. Un groupe de Vénézuéliennes a également déposé une requête devant un tribunal civil de Caracas contre les distributeurs locaux de prothèses PIP pour obtenir le remboursement des frais de remplacement de leurs implants mammaires. En Colombie, où 15 000 femmes sont concernées, un cabinet d’avocats a rassemblé les dossiers pour tenter de les inclure dans les procédures françaises. En outre, une centaine d’Argentines seront représentées au procès pénal qui s’ouvrira demain à Marseille. Parmi, les 5127 plaignantes, 220 sont étrangères. Mais comme le souligne Arié Alimi, l'avocat français qui travaille sur les cas de plaignantes argentines et vénézuéliennes, certaines femmes rencontrent des difficultés notamment de traçabilité des prothèses : « les femmes n'ont pas toutes les certificats. Soit parce qu'elles faisaient confiance à leur médecin, soit parce ce que l'opération a été réglée au noir ». Changer les pratiques ? Au delà des vies brisées, il n’est pas interdit de s’interroger sur l’industrie de la chirurgie esthétique. Il est parfaitement compréhensible que les femmes qui se relèvent d’un cancer du sein aient recours à cette technique réparatrice. Mais elles constituent une minorité de celles qui accourent dans les cliniques pour se faire remodeler leur poitrine et qui n’en ont pas besoin le plus souvent. Celles là répondent à l'injonction de normes définies par l'industrie florissante de la beauté. Nombre de ces clientes-là s’endettent jusqu’à la faillite, jusqu’à basculer dans la précarité, pour se conformer à cet impératif de prétendue beauté. Lors de la crise financière des sub-primes en 2008 aux Etats-Unis les emprunts toxiques contractés pour des opérations de chirurgie esthétiques arrivaient juste derrière ceux de l’immobilier. Un phénomène décrypté par Mona Chollet dans son livre « Beauté Fatale ». « Pour la chirurgie esthétique, certaines femmes sont prêtes à s'endetter. C'est vu comme un investissement qui pourra les aider à être plus performantes, à rester dans la course sociale. » Ces procès vont-t-il modifier les désirs des femmes et les pratiques de la chirurgie plastique ? Côté réglementation, pas de grands changements à signaler. En septembre dernier, la Commission européenne a finalement opté pour un système de « contrôles renforcés » écartant l'option d'une autorisation préalable comparable à celle dont bénéficient les médicaments, pourtant également réclamée par le Parlement européen. Pour Mona Chollet, il est « un peu tôt pour savoir si ce scandale va changer la donne ou pas. Il ne faut pas sous-estimer les injonctions qui sont faites aux femmes. On est entouré de cette idée de la toute puissance technique sur le corps. Cette idéologie est difficile à ébranler Après, s'il y a des prises de conscience de femmes dans des groupes de paroles, c'est très bien. »
Seins massacrés par PIP et par l'injonction de beauté, dans la chronique Terriennes de Sylvie Braibant, 3'20
Les grandes étapes de l'affaire des implants mammaires PIP :
2010 - 30 mars: retrait du marché des implants de Poly Implant Prothèse (PIP). Le parquet de Marseille ouvre une enquête. - 2 avril: première plainte. - 9 avril: retrait du marché au Chili. 2011 - 8 déc: Deuxième décès signalé. - 23 déc: la France recommande le retrait à titre préventif, après le signalement de huit cas de cancers. Les recommandations de surveillance, puis de retrait, se multiplient en Amérique latine et en Europe. 2012 - 5 jan: le fondateur de PIP Jean-Claude Mas admet la tromperie. - 11 jan: Allianz, assureur de PIP est condamné à indemniser une porteuse à hauteur de 4.000 euros. - 17 jan: l'Organisation mondiale de la Santé conseille aux porteuses de consulter si elles suspectent une rupture ou éprouvent une douleur. - 26 jan: interpellations de Jean-Claude Mas et de Claude Couty. 2013 - 17 avril : début du procès de Jean-Claude Mas et de cinq cadres de PIP, à Marseille.
“La société condamne encore celles qui veulent avoir une meilleure image d'elle-même“
Virigina Luna, avocate, représente des porteuses de prothèses mammaires PIP en Argentine. Elle-même porte ces implants. Aujourd’hui, les analyses médicales ont montré qu’elle devait se faire opérer.
"Une des difficultés que nous rencontrons, c’est la minimisation du problème : il s’agit de femmes qui dans la majorité des cas ont subi une opération esthétique parce qu’elles voulaient se sentir mieux, avoir une meilleure image d’elle-même. La société semble encore condamner cela. La chirurgie esthétique est une sous-catégorie de la chirurgie plastique, mais cette dernière est une discipline médicale et en tant que telle, elle s’occupe d’êtres humains dans leur intégralité, santé comprise. Considérer uniquement la question sous l’angle de la beauté me paraît superficiel. Mais je suis optimiste sur les possibilités de changement de la société. D’un point de vue administratif, l’Etat argentin ne tient compte que de l’information officielle et celle-ci affirme seulement que le gel des implants n’est pas celui autorisé. La détérioration de la prothèse à cause du gel industriel n’est pas confirmée par les autorités sanitaires françaises. D’après ce que je sais, si cela venait à être confirmé, l’Etat argentin prendrait immédiatement des mesures préventives. Par ailleurs, il faut savoir que nos infrastructures de santé publique sont insuffisantes pour organiser en urgence des explantations sur 13 500 femmes dans des conditions de sécurité satisfaisantes".