Fil d'Ariane
Il y a dix ans, trois membres des Pussy Riot étaient déclarées coupables de «vandalisme» après avoir donné un concert-performance dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou le 21 février 2012, lors duquel elles avaient scandé de nombreux slogans anti-Poutine : «Marie mère de Dieu, chasse Poutine, Sainte-Marie mère de Dieu, deviens féministe !». Ce verdict leur avait valu deux années de travaux forcés dans les camps russes, en Sibérie pour l'une d'entre elles.
Après avoir fait trembler les murs du Theater Spektakel de Zurich en août dernier, certaines Pussy Riot sont venues fouler la scène du Rez à Genève. Une nouvelle étape de leur tournée anti-guerre.
La scène est leur champ de bataille et leurs objectifs sont mondiaux. «Nous voulons créer un mouvement anti-guerre international», assène d’entrée Olga Borisova, membre du groupe, jointe par téléphone la veille du concert genevois par la rédaction du site d'info Le Temps.
«Nous voulons dire au public suisse: "Cessez d’être indifférents, agissez." La Suisse accueille de nombreux oligarques. Ils envoient leurs enfants dans vos écoles, possèdent des maisons. Cet argent, les oligarques l’ont volé aux Russes. Il faut s’en servir pour aider l’Ukraine. L’argent, c’est le seul argument que Poutine et son cercle comprennent, c’est tout ce qui motive leurs actions. Une année, ils se désignent «nationalistes», une autre, ils sont "chrétiens", et, cette fois, ils se disent antifascistes», dénonce-t-elle, en référence à la rhétorique du Kremlin qui tente de justifier l’invasion en Ukraine par une prétendue lutte pour «dénazifier le pays». «C’est pourquoi il faut un embargo total. Arrêtez d’acheter du gaz et du pétrole à la Russie, ou vous sponsorisez la guerre.»
Pour transmettre ce message sur scène, les Pussy Riot donnent de leur personne. «L’esprit du punk, dans la liberté qu’il défend, la force qu’il dégage, nous inspire», souligne Olga Borisova. Les membres du groupe ont quitté le pays, alors que l’étau se resserre sur les militants de l’opposition. «Dans un pays dans lequel appeler une guerre "une guerre" vous envoie dix ans en prison, que pouvions-nous faire? Je pense être plus utile à l’étranger que derrière les barreaux. Ici, nous pouvons lever des fonds, explique calmement Olga Borisova. Partir, c'est aussi un privilège.» A travers leur performance, les Pussy Riot veulent aussi rendre hommage aux prisonniers politiques russes qui ne bénéficient pas de la même célébrité qu'elles.
Olga Borisova a quitté la Russie pour la Géorgie en mars. Maria Vladimirovna Alekhina, dite «Mascha», l’une des cofondatrices des Pussy Riot, a fait partie du trio envoyé en prison en 2012. Après avoir survécu à l’isolement et à une grève de la faim, la voilà désormais en Lituanie. Assignée à résidence, surveillée de près pour avoir soutenu des manifestations contre l’arrestation de l’opposant russe Alexeï Navalny, elle avait l’interdiction de quitter Moscou. Alors que sa condamnation s’apprêtait à être transformée en prison ferme, elle a réussi à leurrer, en avril, les policiers au pied de son immeuble en se déguisant en livreuse alimentaire...
En cavale, les Pussy Riot ne s’arrêtent jamais. «Je ne peux pas me débarrasser de ce sentiment d’injustice, réagit Olga Borisova. Des amis sont en prison. La guerre en Ukraine nous touche tous. Là-bas, nous avons perdu des amis, des proches.» Elle cite Oksana Baulina, journaliste russe morte en mars sous les bombes à Kiev.