Les réfugiées au coeur de la Marche mondiale des femmes à Bruxelles

La « Marche Mondiale des Femmes » est passée par Bruxelles ce 8 mars 2016. Au centre des préoccupations de cette nouvelle édition : les conditions de vie des réfugiées  et de leurs enfants. Alors qu’en arrière plan se tenait encore un Sommet européen extraordinaire sur la crise  migratoire.
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La marche mondiale des femmes à Bruxelles
8 mars 2016 : la marche mondiale des femmes est passée par Bruxelles, un succès selon la presse belge
Michèle Jacobs-Hermès
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 « Tant que nous ne serons pas libres, nous serons en marche ! » En cette Journée internationale des droits des femmes  2016, la « Marche Mondiale des Femmes » (MMF) bat le pavé sous les fenêtres des Institutions européennes. Le quartier du Berlaimont bruisse encore des discussions intervenues entre les 28 membres de l'Union européenne et la Turquie pour canaliser les flux des migrants sur le continent et faire la chasse aux passeurs.

La Marche de ce mardi 8 mars était la troisième manifestation, en 4 jours,  consacrée aux droits des femmes dans la capitale du Royaume de Belgique : 15 collectifs avaient appelé à une manifestation contre la violence samedi 5 mars. Et une marche de soutien aux femmes sans papiers était menée le lendemain.

Forte de ses 5000 réseaux et organisations membres et des 164 pays qui y sont représentés, la MMF s’est donné l’ambition d’être un outil puissant de lobbying.


Principal objectif des marcheuses qui démarrent du Carrefour de l’Europe pour se rendre dans le centre de la ville, soit Place Rouppe (haut lieu de l’action syndicale), avec étapes  Place de l’Albertine et Place Saint Jean : dire combien les femmes et les enfants sont exposés à des risques d’une violence extrême dans leurs pérégrinations pour rejoindre tel ou tel pays d’Europe. Et demander qu’il en soit tenu compte dans les actions d’accueil, d’hébergement d’urgence, de gestion des migrations. Car c’est ici, dans la  capitale des Institutions européennes  qu’est scellé le sort des réfugiés ou demandeurs d’asile, et que s’affrontent les politiques des Exécutifs des pays membres.

En juin 2015, les femmes ne constituaient que 25% des migrantes. Aujourd’hui, le pourcentage est de 55%.

A relire sur ce sujet dans Terriennes :
> Femmes et migration, raisons et routes de l'exil

Manifester à Bruxelles,  pour les organisations locales de la Marche, c’est aussi l’opportunité de fustiger les mesures  prises  en Belgique même, sous prétexte d’austérité, au détriment des associations de femmes oeuvrant au soutien des migrantes. Le Baromètre des associations belges établi par la Fondation Roi Baudouin a relevé que 4 associations sur 10 ont vu baisser leurs subventions permanentes. Les critiques visent essentiellement les pouvoirs fédéraux. L’écoute est perçue comme plus constructive du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour la Journée internationale des droits des femmes,  le Ministère lance ce 8 mars une campagne publique de sensibilisation baptisée « Libérez-vous des idées reçues ».

La Ministre Isabelle Simonis avait elle aussi tenu à marcher : « elle se revendique féministe et son portefeuille comprend explicitement les droits des femmes. Une Première ! » souligne Deborah Kupperberg, attachée  à la Direction de l’Egalité des chances.
 


Les quatre piliers de la MMF  - Violence, Paix, Biens communs et Pauvreté -  s’intègrent dans une analyse plus globale de nos sociétés.  La volonté de défendre une sécurité sociale forte, des services publics consolidés, un système fiscal plus solidaire génère des propositions très concrètes qui touchent aux législations nationales, aux décisions communautaires et à leur transposition, à la coopération internationale. Ces propositions, on les retrouve dans la « Déclaration » de la Marche.

Si toutes les femmes du monde se donnaient la main...


Voilà bientôt 20 ans que la Marche Mondiale des Femmes a vu le jour, grâce à une initiative québécoise. Les premières rencontres internationales remontent à 1998. Montréal accueille des groupements de femmes engagées contre la pauvreté et la violence. Les effets du néo-libéralisme sur la précarité du travail féminin, sur les inégalités sont mis en avant. Une conférence de presse virtuelle, menée de concert avec New York et Genève, lance le mouvement, qui débouche, en 2000, sur de premières actions concrètes touchant 40 pays. 20 000 femmes marchent dans Washington. Les organisatrices sollicitent des audiences auprès du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. 10 000 femmes arpentent les rues de New York et remettent au Secrétariat Général des Nations Unies un cahier de revendications approuvé par 5 millions de signataires. Bruxelles connaît aussi, cette même année, sa première Marche qui rassemble 35 000 personnes.
 

La marche mondiale des femmes en Suisse
En juin 2005, la Marche des femmes était passée par la Suisse, et avait marqué l'arrêt devant le Bureau international du Travail
AP Photo/Keystone, Laurent Gillieron


Au long des années suivantes, les réunions de travail, les manifestations se succèdent  notamment à New Delhi, à Goma et Kigali, à Vigo, à Marseille.
2005 connaît une action charnière, hautement symbolique puisque, au départ de Sao Paulo,  les femmes organisent un relais pour communiquer la Charte Mondiale des Femmes à tous les pays engagés dans l’action : la « parole » est transportée depuis les Amériques vers l’Europe, puis l’Océanie, le Moyen Orient, pour aboutir à Ouagadougou.

Entretemps, le mouvement s’est organisé avec des coordinations nationales, une volonté d’unir les cercles urbains et ruraux, celle de tisser des liens avec d’autres organisations, pacifistes  notamment.
L’action se poursuit à Lima, au Mali, et en 2008, dans les pays des grands Lacs, mais là sous forte surveillance policière.

Les marcheuses s'efforcent d'aller là où  se prennent les grandes décisions qui impactent le sort des humains ; c’est ainsi que la Marche s’est fait entendre à plusieurs reprises en marge du G8, des réunions de l’OMC (comme à Cancun, marquée par la fracture Nord-Sud, en 2003) et lors du Forum Social Européen.

Actrices de la paix, des marcheuses palestiniennes et israéliennes se sont retrouvées pour évoquer les liens entre la violence faite aux femmes et les situations d’occupations de territoires. En cette même années 2005, 300 Pakistanaises sont allées à la rencontre des Indiennes venues leur remettre, à la frontière, la Charte  mondiale des femmes pour l’humanité.

Ménagère, gentille ménagère


A Bruxelles, l’heure est donc au « flash mob » sur les droits des femmes.
La Fanfare Cadence Madingue accompagne le cortège.
Le théâtre se déploie dans la rue, le temps de faire le décompte de la facture que paient les femmes du fait de l’inégalité des salaires. Un propos d’autant plus pertinent que l’ l’Organisation Internationale du Travail à Genève a rendu public, ce 7 mars, un rapport fondé sur des données issues de 178 pays,  qui indique que l’écart salarial entre hommes et femmes ne devrait être pleinement comblé que dans 70 ans !
 


Et pour que tout le cortège fasse corps, les marcheuses ont toutes reçu un « chansonnier » qui leur permet de chanter « Travail égal, salaire égal » sur un air d’Hugues Aufray. De plagier Charles Trenet en remplaçant « je chante » par « je marche ». De demander à Papa Noël, quand il descendra du ciel avec des jouets sexistes par milliers, d’oublier leur petit soulier. De revisiter l’Internationale à leur manière.
 


Au menu musical de la MMF, on trouve même la mythique chanson « Bread and Roses » à laquelle Joan Baez a donné une aura universelle. Celle-là même qu’entonnèrent les grévistes du textile, en 1912, à Lawrence,  dans l’Etat du Massachussetts. Les milliers de travailleurs et travailleuses concernés étaient en très large majorité de nouveaux migrants. On les croyait incapables de s’organiser car ils parlaient une vingtaine de langues. Avec l’aide du déjà puissant syndicat Industrial Workers of the World (IWW) ils – et surtout elles – firent la démonstration d’une belle opiniâtreté pour obtenir des salaires et une qualité de vie plus dignes. Et leur longue et épuisante action fut couronnée de succès. De quoi leur attirer l’admiration des travailleurs du monde entier encore aujourd’hui.