Les rencontres de Tanger : paroles de féministes... ou non !

Toutes défendent les droits des femmes dans leurs pays mais chacune pratique le féminisme à sa façon. Témoignages à l'occasiondu colloque "Féministes ou non ? " organisé par le réseau francophone Genre en action dans la ville marocaine de Tanger du 5 au 7 décembre 2013. 
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Les rencontres de Tanger : paroles de féministes... ou non !
150 femmes et hommes réunis à Tanger du 5 au 7 décembre pour re-penser le féminisme et faire entendre de nouvelles voix (photo : M. Chauvin/Genre en Action).
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« Je refuse l'étiquette de féministe islamique »

Roa'a Gharaibeh, sociologue jordanienne.
« Je refuse l'étiquette de féministe islamique »
Roa'a Gharaibeh, sociologue jordanienne (photo M.CHauvin/Genre enAction).
« Je me suis identifiée au féminisme à l'âge de 24 ans quand j'ai commencé ma thèse. Mais j'ai toujours été une enfant rebelle qui disait non à tout. A 16 ans, j'ai été marquée à tout jamais par une histoire de crime d'honneur. Un événement majeur dans ma vie.

J'habitais alors à Howara dans le nord de la Jordanie. Je me souviens qu'il pleuvait… J'étais à l'école quand la mère d'une des mes camarades de classe est venue récupérer sa fille.  Elle l'a littéralement traînée par terre pour la ramener chez elle. Sa famille avait décidé de la marier à son cousin germain, un militaire qui avait 15 ans de plus qu'elle. Un mariage forcé qui six mois plus tard s'est terminé dans le sang. Par les rumeurs du voisinage, le mari a su que sa nouvelle femme était amoureuse d'un jeune homme de 17 ans. Quand il a commencé à la menacer de mort, la police est intervenue et a mis la jeune épouse en prison pour la "protéger". C'est alors son grand frère qui est venu la chercher et son jeune frère qui l'a tuée. Morte pour rien d'autant que l'autopsie a montré qu'elle était vierge… Et moi, à cette époque, sur les recommandations de mon père, je lisais Le Capital de Karl Marx et Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir ! C'est vraiment à ce moment-là que j'ai pris conscience de la domination masculine et que je suis devenue révoltée, insoumise, revendicative…

Mais je refuse, même si je suis arabe de culture musulmane, l'étiquette de féministe islamique. Les féministes islamiques sont celles qui réinterprètent les textes coraniques et les paroles du prophète dans une perspective féministe. Elles font tomber de nombreux préceptes issus d'une lecture patriarcale qui avantageait les intérêts masculins. Né au début des années 90 en Iran, c'est un mouvement extrêmement  important et enrichissant qui n'a rien à voir avec la foi. Je connais une Jordanienne chrétienne qui se dit féministe islamique : étant avocate, elle fait ce travail de ré-interprétation pour défendre les intérêts de ses clientes. Mais dans les pays non musulmans, ce concept de féminisme islamique est dévoyé à  des fins culturalistes en faisant sous-entendre que les musulmanes ne peuvent s'émanciper que par la religion. Ce qui est complètement faux ! 

« Les femmes sont invisibles »

Doussou Dicko, consultante mauritanienne, spécialiste des questions de genre
« Les femmes sont invisibles »
Doussou Dicko, fonctionnaire mauritanienne (photo C.Sarret)
« Je ne parlerais pas de féminisme en Mauritanie. A titre personnel, je ne refuse pas le mot. Mais, dans le contexte mauritanien, il est préférable de parler de combat pour la cause des femmes, d'une plus grande participation des femmes aux prises de décisions, d'un processus de développement bénéfique à tous et à toutes… Ces idées passent mieux auprès des décideurs et de la population que le concept de féminisme.  

Dans mon pays, les femmes sont invisibles dans les instances de pouvoir. On a obtenu une loi sur la parité qui réserve 20% des sièges aux élues femmes au sein du parlement national. C'est une avancée mais cela reste artificielle. Les femmes ne pèsent pas  dans les prises de décisions qui restent une affaire d'hommes.

Au niveau local, c'est pire encore. Sur 502 agents qui travaillent dans les 216 communes de Mauritanie, les femmes ne représentent que 10% du personnel. Elles sont quasiment absentes de l'administration locale. C'est choquant ! Pour moi il est important de rendre visible les discriminations pour faire réagir nos dirigeants. Certes ils travaillent mais en mettant à l'écart 52% de la population du pays.

Il est urgent de travailler sur trois axes : la volonté politique, l'engagement des femmes et les mentalités par le biais du socio-culturel. Dans la société mauritanienne, on se fait une construction de ce que doit être la femme qu'il faut déconstruire. C'est ça le genre : un long processus de déconstruction des identités liées au sexe. Il faut y travailler doucement. C'est ce que j'appelle la stratégie du miel.»  

« Ce n'est pas dit que dans les pays occidentaux tout va très bien »

Kathy Rukeratabaro, syndicaliste congolaise


« Le féminisme tunisien est dans l'impasse »

Fedhila Moufida, artiste tunisienne
« Le féminisme tunisien est dans l'impasse »
Fedhila Moufida, lors d'un atelier au colloque de Tanger (photo : M.Chauvin/Genre en Action).
« J'ai le sentiment que le féminisme tunisien est aujourd'hui dans l'impasse. Avant la révolution, c'était un féminisme d'Etat impulsé par Bourguiba. Ce qui n'a pas permis aux Tunisiennes de mettre en place un vrai mouvement combatif. Depuis la révolution, on parle de  complémentarité entre les sexes. Il faudrait, je pense, trouver une alternative, une troisième voie. Par exemple, j'ai soutenu au début le combat de la Femen Amina (une jeune Tunisienne qui s'est fait connaitre pour avoir posé seins nus sur Facebook et s'est fait arrêtée après avoir inscrit le mot Femen sur le mur d'un cimetière, NDLR). Beaucoup de gens disaient que c'était choquant, que c'était pas le bon moment. Moi je l'ai trouvée courageuse.  La provocation peut avoir du bon même si on ne s'en rend pas compte immédiatement. Mais, le problème, c'est qu'au-delà de la provocation, Amina ne propose rien. C'est une provocation gratuite.

Mon engagement féministe, je le vis à travers mes performances artistiques. La première que j'ai réalisée c'était quelques mois après le départ de Ben Ali en mai 2011. Je suis descendue dans l'avenue Bourguiba à Tunis en costume de super-héros avec une pancarte "super Tunisienne", proposant un "super programme" pour "un super pays".  L'idée c'était d'inviter les gens à débattre, à faire des propositions en amont des premières élections libres. J'ai fait ensuite un seconde performance qui m'a valu des menaces de mort et pour la troisième j'ai été escortée. Mais je pense qu'il faut encourage ces formes spontanées d'action directe.»