"Les Sénégalaises ne sont pas des citoyennes de seconde zone !" : l'appel de Zipporah Ndione, juriste féministe

Interdictions de manifester, violences policières, arrestations arbitraires. C'est dans un climat de tension politique que se déroule la campagne électorale pour les législatives du 31 juillet 2022 au Sénégal. Ce qui inquiète le plus les féministes : la remise en cause de la loi sur la parité, un droit obtenu de longue lutte. La militante Zipporah Ndione appelle à la vigilance pour que les combats en faveur des droits des femmes ne reculent pas. Rencontre.
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Zipporah
Zipporah Ndoye coordonne le Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest (RJFAO) et préside l’antenne Sénégal du Réseau ouest africain des jeunes femmes leaders (ROAJELF). Ici lors de notre rencontre, le 4 juillet 2022, à Paris, dans les locaux de l’ONG Equipop qui travaille à faire avancer la santé et les droits des femmes et des filles dans le monde.
©Louise Pluyaud
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Juriste de formation, la Sénégalaise Zipporah Ndione, 31 ans, coordonne le Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest (RJFAO) et préside l’antenne Sénégal du réseau ouest africain des jeunes femmes leaders (ROAJELF). Au sein de ces collectifs, elle s’engage pour améliorer le cadre juridique et lever toutes les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes.

Dans un contexte politique tendu, entre le pouvoir en place du président Macky Sall et l’opposition, la jeune femme s’inquiète de la remise en cause de certains acquis, dont la loi sur la parité, par les mouvements réactionnaires à l'égard des droits des femmes. De passage à Paris, elle fait entendre la voix des Sénégalaises mobilisées face aux vents contraires.

Terriennes : A l’approche des élections législatives, comment faites-vous entendre la voix des femmes et des jeunes filles ?

Zipporah Ndione : Lors des dernières élections locales, nous avions fait en sorte de renforcer les capacités des jeunes femmes qui étaient candidates. De plus, avec l’association des jeunes du Sénégal (AJS), nous avons interpellé et rencontré les candidats potentiels afin de leur exposer les besoins spécifiques des jeunes filles et les convaincre de mettre la lutte contre les violences basées sur le genre et les inégalités au coeur de leur programme politique. A nouveau, c’est ce que nous allons faire pour ces élections car, pour le moment, ces sujets ne font pas vraiment partie de l’agenda des candidats déclarés…

La bataille pour les droits des femmes n’est jamais gagnée d’avance. Aussi faut-il être toujours vigilant.
Zipporah Ndione, militante féministe sénégalaise

Mais ce qui nous mobilise le plus dans le cadre de ces élections, c’est la remise en cause de la loi sur la parité ! Un droit acquis en 2010 sous la présidence d’Abdoulaye Wade. Le texte prévoit "la parité absolue homme-femme […] dans toutes les institutions électives" et des "listes de candidatures alternativement composées de personnes des deux sexes", sous peine d’irrecevabilité. Seulement, à cause du rejet de certaines listes non paritaires, des voix masculines s’élèvent et posent la pertinence de cette loi, prétextant qu’il s’agit d’"un danger pour la démocratie sénégalaise". La bataille pour les droits des femmes n’est jamais gagnée d’avance. Aussi faut-il être toujours vigilant.

Vous êtes signataire d’une tribune publiée sur le site du média seneplus.com et relayée dans Le Monde, en juin 2022, rappelant l’importance de cette loi. Quel a été son impact sur l’opinion publique et les politiques ?

La tribune signée par une soixantaine de féministes et d’actrices de la société civile – mais aucun homme politique – a été plutôt bien accueillie. Autant les opposants à la loi sur la parité sont mobilisés, autant nous sommes déterminées à ce qu’elle soit appliquée, et puisse même s’étendre aux instances nominatives. Si nous obtenons son extension, le ou la prochain.e président.e du Sénégal sera dans l’obligation de constituer un gouvernement paritaire.

Néanmoins, si elle a permis aux Sénégalaises de compter davantage en politique et de prouver qu’elles ne sont pas des citoyennes de seconde zone, la loi n’est toujours appliquée dans certaines parties du pays. Dans d’autres, on l’a interprétée de manière restrictive, car si la liste d’un député doit être paritaire, après le vote, on se rend compte que la parité n’est pas appliquée au niveau de la constitution des bureaux de l’Assemblée nationale, notamment.

Extrait de la tribune collective féministe publiée le 1er juin 2022 sur seneplus.com

"La loi n°2010 du 28 mai 2010 portant parité absolue entre les hommes et les femmes dans les instances électives et semi-électives constitue un tournant décisif dans l’histoire politique du Sénégal. Véritable instrument à la fois juridique et politique, la loi sur la parité traduit une application du cadre juridique international, régional et national favorable à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Depuis le décret d’application n°211-819 qui date du 16 juin 2011, elle a suscité chez les femmes de tous les milieux, l’espoir de réaliser leurs aspirations légitimes dans une démocratie inclusive et participative."

 
tribune sauver la parité sénégal

"Une idéologie sexiste et rétrograde prévaut en politique au Sénégal. Nous sommes la locomotive de ce pays. Nous n’accepterons pas que l’on réécrive notre histoire au détriment de nos droits fondamentaux", écrivent les signataires de cette tribune de juin 2022. (capture écran)

La tribune affirme également que "le plus grand danger que court la démocratie sénégalaise, c’est la montée d’un discours extrémiste et obscurantiste qui veut exclure les femmes"…

C’est ce que nous appelons la montée en puissance des mouvements "anti-droits". Dans les médias, sur les réseaux sociaux, au sein des communautés… Partout, leur discours prend de plus en plus d’ampleur au Sénégal car ils trouvent des relais et un écho. Ils occupent l’espace public. Lorsqu’ils s’expriment contre nos plaidoyers, notamment en faveur de la promotion des droits sexuels et reproductifs, ils accusent les féministes de pervertir la jeunesse. Il s’agit bien souvent de représentants de l’autorité religieuse, mais pas que, car il y a aussi des représentants de la société civile. A nous, donc, aussi, d’occuper l’espace et de faire davantage entendre nos voix. D’autant que du côté de l’Etat, on ne se prononce pas vraiment sur ces questions. A deux ans de la présidentielle, le pouvoir en place n’y voit certainement pas un grand intérêt, mais plus un risque d’adopter une position politique qui pourrait être mal perçue par une partie de la population.

En Afrique, les militant.e.s pour l’accès à l’IVG s’inquiètent des répercussions de l’abrogation Roe vs Wade aux Etats-Unis. Craignez-vous que la décision de la Cour Suprême américaine galvanise encore plus les mouvements anti-choix et fasse reculer votre combat pour la légalisation de l’avortement ?

Au Sénégal, l’avortement est interdit par le Code pénal. Une seule exception : l’avortement médicalisé est toléré lorsque la vie de la femme est gravement menacée. Nous plaidons pour qu’une loi puisse l’étendre aux cas de viol ou d'inceste subi par la mère. Une task force travaille aussi dans ce sens en se basant sur le protocole de Maputo, signé en 2003 - et ratifié en 2005 - par le Sénégal. Son article 14 affirme que les États signataires sont favorables à ce que les femmes victimes de viol ou d’inceste puissent bénéficier d’un avortement médicalisé. Force est de constater que nos textes ne sont pas en adéquation avec nos engagements au niveau international.

Je redoute que la décision de la Cour suprême des Etats-Unis d’enterrer le droit constitutionnel à l’avortement galvanise davantage, au Sénégal, les mouvements anti-choix.
Zipporah Ndione

Malheureusement, je redoute que la décision de la Cour suprême des Etats-Unis d’enterrer le droit constitutionnel à l’avortement galvanise davantage, au Sénégal, les mouvements anti-choix. Ce n’est pas un bon signal. Néanmoins, les féministes sont déterminées à continuer leur plaidoyer. Nous déplorons tant de drames liés aux grossesses non-désirées : déperdition et abandon scolaire, difficultés pour réintégrer la société… L’infanticide, souvent pratiqué par des jeunes filles victimes de viol ou d’inceste, est la troisième cause d’emprisonnement des femmes au Sénégal. Il s’agit donc d’une question essentielle à mettre au coeur de l’agenda politique pour faire avancer les droits des femmes, et ne pas les faire reculer.