Les Somaliennes entre samoussas et beurre de cacahuète dans le Minnesota

Au nord des États-Unis, le Minnesota abrite la plus importante diaspora somalienne au monde. Les femmes sont une composante essentielle de cette communauté de 120 000 réfugiés, arrivée dans les années 1990 pour échapper à la guerre civile. Qu’elles s’appellent Fardowa, Farhiya ou Kowsar, elles ont compris que l’Amérique leur offrait des opportunités qu’elles n’auraient jamais pu envisager dans leur propre pays.
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Les Somaliennes entre samoussas et beurre de cacahuète dans le Minnesota
Des Somaliennes au Ignite Hookah Lounge dans la ville américaine de Minneapolis.
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Le bar s’appelle Ignite Hookah Lounge. On n’y boit pas d’alcool, mais on y fume le narguilé sur fond de musique live. À Minneapolis et Saint-Paul, les « Twin Cities », les jeunes Somaliennes affectionnent ce bar à chichas. Les banquettes donnent à voir un spectacle bien loin du cliché de la femme soumise et voilée : les filles sont jolies et coquettes, certaines voilées, d’autres non, toutes maquillées, apprêtées et perchées sur des talons. Brillantes, laborieuses, elles seraient trois fois plus nombreuses que leurs homologues masculins à faire des études. Pourtant cette réussite se double d’un revers inattendu : « C’est difficile de trouver un époux somalien qui a le même niveau d’études. Et si c’est le cas, il a déjà une copine ! », se lamente une brochette d’adorables Somaliennes, tout en recrachant de la fumée à la pomme. Le défi est tel que certaines se sont résolues à retourner en Afrique pour se dégotter un époux.

Les Somaliennes entre samoussas et beurre de cacahuète dans le Minnesota
Pour Farhiya Farah, titulaire d’une mai^trise en sante´ publique, conserver son identité somalienne est une priorité.
Les hommes somaliens ?

Les hommes somaliens seraient-ils moins persévérants à l’université ? Titulaire d’une maîtrise en Santé publique, Farhiya Farah tente une explication : « C’est plus facile pour une fille d’exceller. Moi, je n’ai jamais été arrêtée par la police, alors que tous mes frères ont été plaqués au sol un jour ou l’autre. À défaut de vous bloquer, cela ne peut que vous freiner… » À 42 ans, Farhiya se bat pour préserver son identité africaine et musulmane, et celle de sa famille. Mais ses efforts ne sont pas tous payés de retour : « J’essaie de cuisiner somalien mais il n’y a rien à faire, capitule-t-elle dans un sourire, mes enfants préfèrent le Nutella et le beurre de cacahuètes… »

Si les immigrés de la deuxième génération ont tendance à s’américaniser, la première génération voit les choses différemment. Après 20 ans aux États-Unis, Farhiya a ainsi choisi de conserver abaya et hijab. Elle travaille aujourd’hui à des programmes sanitaires mis en place par l’État du Minnesota. « Au début, raconte-t-elle, lorsque je cherchais du travail, je m’habillais à l’Américaine et ne mettais pas le voile de peur de ne pas avoir le job. Cela m’a pris dix ans pour réaliser que ma perception était fausse et pour que ma culpabilité s’envole. Car ici, ils vous acceptent comme vous êtes. »
 

Le rêve américain

Dans la bibliothèque de l’université, Fardowa, 21 ans, planche studieusement sur son livre d’anatomie. Elle est en deuxième année d’école infirmière à Minneapolis. Il a beau faire -15° dehors, elle n’y prête plus attention. « Au bout de deux-trois ans, on s’y habitue », relativise-t-elle. Elle est consciente de la chance que lui offre l’Amérique. « En Somalie, ajoute-t-elle, je n’aurais pas eu la possibilité de faire les mêmes études. Le rêve américain ? J’y travaille, je suis sur le bon chemin… », sourit la sage étudiante, coiffée d’un voile rose au fin liseré argent.

Alors que Fardowa reconnaît qu’elle aussi épouserait bien un Somalien d’« un statut social équivalent » mais qu’ils sont difficiles à trouver, Kowsar, 23 ans, rêve d’un bel Italien. Bien plus délurée, elle vit à Saint-Paul avec ses huit sœurs. Dans la maison commune, pas un homme mais neuf femmes âgées de 21 à 30 ans et cinq bambins. « Sept de mes sœurs ont divorcé, explique-t-elle : elles étaient fatiguées d’envoyer tout le temps de l’argent au pays et de retourner en Somalie et au Kenya », où vivent de nombreux réfugiés somaliens. Comme ses sœurs qui travaillent chez Delta Airlines ou au Mall of America, le plus grand centre commercial des États-Unis, Kowsar est bien décidée à prendre sa vie en mains : elle ambitionne de devenir avocate.
Les Somaliennes entre samoussas et beurre de cacahuète dans le Minnesota
Fardowa, l'e´le`ve infirmie`re dans la bibliothe`que.

Des héroïnes

Selon Abdirizak Bihi, qui dirige à Minneapolis le Centre somalien pour l’Éducation et la Défense des droits sociaux, deux tiers des foyers somaliens du Minnesota seraient tenus par des mères célibataires. Tiendraient-elles entre leurs doigts l’avenir de la communauté ? C’est ce dont est convaincu Abdi Warsame, premier Américain d’origine somalienne élu au conseil municipal de Minneapolis il y a seulement deux mois. Élevé par une femme seule, père d’une petite fille, il le crie haut et fort : « Les femmes somaliennes sont mes héroïnes. »
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Kowsar, 23 ans, veut devenir avocate.