Le quotidien El Païs, de centre gauche, n'y va pas par quatre chemin : la manière dont a été mené cette volonté de réviser la législation sur l'interruption volontaire de grossesse
"est le plus gros fiasco de la mandature". Le point final de cette mauvaise histoire ressemble à un acte manqué du chef du gouvernement espagnol, surligné par un calendrier stupéfiant : comme s'il n'en pouvait plus de cette affaire, Mariano Rajoy a annoncé son recul, à la volée, devant les micros qui le suivaient pour couvrir un événement protocolaire et mineur, neuf mois, quasiment jour pour jour, après avoir fait adopter en conseil des ministres le projet de loi pour restreindre le droit à l'avortement. Le 20 décembre 2013, le ministre de la Justice, ultra conservateur, Alberto Ruiz-Gallardon, brandit fièrement devant ses collègues, le texte sur lequel il avait promis de travailler, depuis que les Espagnols avaient chassé les socialistes du pouvoir, deux ans auparavant.
Intitulé "loi de protection de la vie du foetus et des droits de la femme enceinte", le projet se fonde sur deux seules conditions autorisant l'avortement : risque pour la santé de la mère et conséquence d'un viol. Proposé à la veille de Noël, dans l'avant torpeur politique des fêtes, personne n'imagine alors le mouvement national, puis européen, à venir. Le baroud d'honneur des anti-avortements dans les rues de la capitale le dimanche 21 septembre et leurs menaces pour empêcher la "trahison" de leurs chefs de files n'auront pas suffi à enrayer la mécanique du retrait inéluctable.
Un féminisme bien ancréLes journaux espagnols du 24 septembre 2014 font leur Une, d'abord, sur la démission en forme de sacrifice du ministre de la Justice. Ce qui masque la victoire d'un combat exemplaire, celui des féministes espagnoles en premier lieu, de toutes les Européennes ensuite.
Le mouvement des femmes en Espagne ne date pas d'hier. Les Espagnoles ont obtenu quinze ans avant les Françaises le droit de vote, celui d'éligibilité ou de divorce. Et malgré la chape de plomb du franquisme, la vitalité de ses revendications et de ses protagonistes était toujours là, ce qui explique que l'Espagne soit devenu, malgré un catholicisme très prégnant, le fer de lance européen en matière de droits sociétaux : mariage homosexuel, adoption, procréation médicalement assisté, et donc interruption de grossesse autorisée, depuis 2010, jusqu'à 14 semaines sans justifications (12 semaines en France) et 22 semaines en cas de malformation du foetus.
Une mobilisation exemplaireTrès organisées, investies par les stars de la culture (un film
"Yo decido" a même été réalisé), les manifestations se sont succédé en Espagne à un rythme soutenu, avant d'être relayées dans toute l'Europe. La campagne a essaimé aussi sur les réseaux sociaux. Cette montée en puissance a sans doute aussi bénéficié de l'échéance des élections européennes en mai 2013. En Espagne, et ailleurs, en particulier en France et en Suède, cette question s'est invitée avec force dans la campagne, qui ont été très sévères pour le Parti populaire au pouvoir à Madrid.
Ce revers électoral, en partie dû à la loi sur l'avortement, et une contestation jusque dans son propre camp, font certainement cogiter Mariano Rajoy, dont le regard doit désormais être fixé sur la ligne bleue du prochain scrutin général, dans un an, à l'hiver 2015. "Nous allons continuer à étudier les voies qui permettront à la réforme d'être mieux acceptée mais pour l'instant, j'estime avoir pris la décision la plus sensée" a-t-il asséné en guise de conclusion.