Fil d'Ariane
La polémique est venue du numéro deux de la région de Castille-et-León (centre), Juan García-Gallardo. Le 12 janvier 2023, il annonce que les médecins de cette région du centre de l'Espagne vont devoir proposer aux femmes souhaitant avorter d'"écouter les battements de coeur de leur enfant" et de voir "une vidéo" du foetus. Une mesure destinée à "favoriser la natalité et soutenir les familles", pour ce membre de Vox, troisième force politique du pays ouvertement opposée à l'avortement.
Cette proposition est calquée sur une pratique en vigueur dans la Hongrie de Viktor Orban – grand allié du parti espagnol d'extrême droite – où, depuis septembre, les femmes enceintes souhaitant avorter doivent au préalable être confrontées aux "fonctions vitales" du foetus.
(Re)lire notre article ►Blanka Nagy, la lycéenne hongroise qui veut mettre Viktor Orban face à ses responsabilités
#DirectAN #IVG @E_DupondM demande de s'arrêter un instant "dans le silence et le recueillement" pour penser aux femmes hongroises. En Hongrie, une femme souhaitant recourir à l'IVG doit auparavant écouter les battements de coeur de l'embryon. pic.twitter.com/StELEh1TRj
— Gènéthique (@Genethique) November 24, 2022
En Espagne, l'avortement a été dépénalisé en 1985, puis légalisé en 2010. Les femmes peuvent y avorter librement jusqu'à la quatorzième semaine de grossesse et avoir ensuite recours à l'IVG sous certaines conditions.
Le 15 décembre 2022, avec une faible majorité (190 voix pour, 154 contre et 5 abstentions), le Parlement espagnol a adopté une nouvelle loi qui fait figure de pionnière pour les droits des femmes en Europe. Le projet de loi avait été présenté en mai par la coalition de gauche, actuellement au pouvoir en Espagne.
La nouvelle loi sur l’avortement reconnaît de nouveaux droits sexuels et reproductifs, comme la santé menstruelle, et garantit l’interruption volontaire de grossesse pour TOUTES les femmes.
Irene Montero, ministre espagnole de l’Égalité
Cette loi ouvre le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pour les mineures de 16 et 17 ans sans autorisation parentale ou d’un tuteur. L’obligation d’un accord parental avait été mise en place en 2015 par le Parti conservateur précédemment au pouvoir. La deuxième mesure phare de ce texte est la suppression du délai de réflexion 3 jours qui était obligatoire avant une IVG. "La nouvelle loi sur l’avortement reconnaît de nouveaux droits sexuels et reproductifs, comme la santé menstruelle, et garantit l’interruption volontaire de grossesse pour TOUTES les femmes", se félicite Irene Montero, la ministre espagnole de l’Égalité,
Ce droit reste néammoins semé d'embûches, selon le gouvernement de Pedro Sanchez, qui va bientôt faire adopter par le Parlement une loi prévoyant de renforcer l'accès à l'IVG dans les hôpitaux publics où nombre de médecins font valoir leur droit à l'objection de conscience.
Espagne
— Ni Una Menos (@NiUnaMenos21) January 16, 2023
"C'est grave qu'il existe 1 parti contre le droit à l'avortement. Plus grave encore,le PP leur ouvre les portes du gouvernement pour atteindre les droits des femmes. Ce gouvernement garantira les droits sexuels et reproductifs de toutes les femmes dans tout le pays"#Ivg https://t.co/k4z2s9owwc
Dirigée par les conservateurs du Parti Populaire (PP), avec Vox comme allié minoritaire, la Castille-et-León est suivie de près par les observateurs. Les sondages donnent le PP vainqueur des élections nationales prévues fin 2023, mais dépendant du parti d'extrême droite pour obtenir une majorité et gouverner.
À gauche, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez s'est emparé du sujet pour tenter de mobiliser un électorat modéré potentiellement effrayé par l'offensive idéologique de Vox. Dans une allusion à peine voilée à la Castille-et-León, première région espagnole à compter l'extrême droite dans son exécutif depuis la fin de la dictature franquiste, il a mis en garde, à Davos sur le danger que l’extrême droite arrive au pouvoir en Europe dans le cadre d'alliances avec la droite conservatrice.
"Nous devons éviter que ces forces politiques ne rentrent dans les institutions (...) car la menace est réelle, tout particulièrement dans les pays où les forces d'extrême droite ont le soutien de partis conservateurs traditionnels qui leur ouvrent les portes du pouvoir, a-t-il affirmé.
Dans l'embarras, le PP a tenté de se démarquer de Vox en assurant que la proposition de son allié ne s'appliquerait pas et qu'elle n'avait pas été transmise aux médecins de la région. Par la voix du porte-parole du gouvernement régional de Castille-et-León, Carlos Fernández Carriedo, il accuse Pedro Sanchez de "surjouer et de faire de la propagande".
"Aucune pression ne sera mise sur une femme souhaitant interrompre volontairement sa grossesse, comme le prévoit la loi. Que cela soit en Castille-et-León ou dans tout autre endroit où le PP gouverne", assure le dirigeant du parti, Alberto Núñez Feijóo, sur la chaîne Telemadrid. Arrivé l'an dernier à la tête du PP avec une image de modéré, ce dernier n'a pas caché son malaise vis-à-vis de Vox, qui "se trompe profondément" en lançant une polémique qui bénéficie "très clairement" au gouvernement Sanchez.
Alberto Núñez Feijóo pide que el Gobierno dé ya por cerrado el "conflicto inexistente" con Castilla y León por el derecho al aborto, tras aclarar el presidente castellano y leonés que no habrá cambios. pic.twitter.com/fhwUO0xIpm
— EFE Noticias (@EFEnoticias) January 20, 2023
Le sujet a eu pour effet d'éclipser d'autres controverses touchant le gouvernement de gauche comme les effets pervers d'une loi destinée à durcir l'arsenal contre les viols qui a entraîné des libérations d'agresseurs.
Pour Antonio Barroso, analyste du cabinet de conseil Teneo, en imprimant sa marque dans le débat idéologique, Vox "essaie d'ouvrir une brèche au sein du PP en lançant des initiatives pouvant éloigner le parti du centre". Une situation pouvant profiter à Pedro Sanchez "pour mobiliser l'électorat de gauche en surfant sur ses craintes d'un gouvernement PP-Vox", ajoute l'expert.