L'histoire mouvementée des Sœurs musulmanes égyptiennes
Le mouvement des Frères musulmans est l’une des plus anciennes formations politiques de l’Egypte moderne, contemporaine des nationalistes et des communistes, qui au XXème siècle voulaient tous l’indépendance de l’Egypte. Il faudra dix ans à la Confrèrie pour admettre en son sein une section de « Sœurs ». Durant des décennies, et jusqu'aujourd'hui elles auront eu à batailler pour se faire leur place et à affronter la répression.
En 1923, peu après la révolution (de 1919, qui engendra la première Constitution indépendante égyptienne, ndlr), la féministe Hoda Chaaraoui Pacha lance l'Union des femmes égyptiennes (UFE). Zaynab Al Ghazali l'intègrera. Dix ans plus tard à Ismaïlia, la première section des Soeurs musulmanes voit le jour au sein de la confrérie des Frères musulmans fondée en 1928 par Hassan Al Banna. Créée par Nabiha Ahmad, elle vise à former de "bonnes musulmanes qui pratiquent leur religion et interviennent sur le terrain social", explique Fatiha-Amal Abbassi, chercheure au CEDEJ (au Caire), doctorante à l'IEP Aix en Provence et rattachée à l'Iremam.
Hoda Chaaraoui Pacha à l'origine de l'Union des femmes égyptiennes, en 1923
Destins liés Eduquée, fille d'imam et issue d'une famille aisée, Al Ghazali parvient à tisser un réseau influent au sein de l'UFE. Pourtant, elle n'y trouve pas sa place. "L'Union est trop occidentalisée et Zaynab Al Ghazali compte sur l'islam pour former les femmes et leur permettre d'obtenir et faire valoir leurs droits", poursuit la chercheure. Elle la quitte et fonde l'Association des Soeurs musulmanes au Caire. Les femmes y apprennent le Coran et s'éduquent, tout en étant actives dans la sphère sociale. Ahmad et Al Banna entendent parler d'elle. "Pour islamiser l'Egypte, il faut commencer par les individus, puis les familles et enfin la société. Les femmes ont un rôle central dans ce processus." Séduite par le projet, Al Ghazali hésite toutefois à les rejoindre. C'est le contexte qui décide la jeune femme : Al Banna et Al Ghazali sont contre la domination britannique. Un rapprochement s'opère en 1937 et elle devient membre de la Confrérie en 1948. Elle en paiera le prix cher. Al Ghazali continue ses activités et les Soeurs ont, en plus du Coran et des textes prophétiques, accès aux manuels pratiques qui leur apprennent à bien se comporter et à l'importante littérature des Frères. Les écrits d'Al Banna sont une référence essentielle. En 1948, quand la Confrérie est interdite, Frères et Soeurs sont persécutés.
Zaynab Al Ghazali fonda l'Association des Soeurs musulmanes au Caire, après avoir quitté l'Union des femmes égyptiennes
Dans Des jours de ma vie, Zaynab Al Ghazali décrit son incarcération et les tortures qui lui ont été infligées. D’autres soeurs sont incarcérées dans des conditions similaires. Pendant près de cinquante ans, les Frères refusent de laisser les femmes entrer en politique, traumatisés par leur expérience et marqués par la semi-clandestinité. Il faudra donc attendre les années 2000 pour voir les Soeurs investir ce domaine. Tournant En 2000, Jihane Halafawin est la première femme à se présenter aux législatives. Elle perd les élections "mais sa candidature marque un tournant pour la Confrérie et le pays. Le risque d'arrestation ou de violence était élevé sous Hosni Moubarak", commente Mme Abbassi. A partir de 2005, les femmes commencent à manifester, Frères et Soeurs deviennent visibles dans l'espace public. Cette même année 2005, les Frères, qui ont obtenu quatre-vingt huit sièges au Parlement, ont un projet d'ouverture et présentent une candidate aux législatives. La Confrérie, très hiérarchisée, désigne des candidats via un conseil consultatif, où aucune femme ne siège. Il n'y a d'ailleurs pas de responsable des Soeurs au niveau national, seulement au niveau des sections. "Peu de femmes sont prêtes à se lancer en politique : elles sont très diplômées mais n'ont aucune connaissance dans ce domaine", explique Mme Abbassi. Elles sont alors formées.
La députée Azza Al Garf autour de laquelle une polémique a été lancée
Députées En 2011, quatre femmes entrent au Parlement, c'est la première fois que des Soeurs sont élues. Mais on les accuse vite de ne pas assez s'affirmer. Un débat autour de l'excision et le mariage forcé des filles est lancé autour de Azza Al Garf (on la comparera à l'ultra conservatrice américaine du Tea Party, Michele Bachmann...). On l'accuse de faire campagne pour l'excision et le mariage des petites filles. Les médias, y compris internationaux, se déchaînent. Mais elle soutient que ses propos sont déformés et qu’elle n’a jamais prononcé les mots qu’on lui prête. Ils sont utilisés contre les Frères et leur parti par les médias et l'opposition. La même année, les femmes émettent le vœu de disposer d’une structure formelle qui les reconnaît et en juillet, pour la première fois depuis soixante ans, elles organisent un Congrès durant lequel Khairat Al Shater, numéro deux de la Confrérie, et Mohammed Badie, le Guide, reconnaissent leur rôle dans la “révolution”. En 2012, Sabah Al-Saqari se présente à la présidence du Parti Liberté et Justice (PLJ), parti politique des Frères, et l'année suivante, la section Femmes est présidée par une élue choisie par les Soeurs. “Elles ont l'impression d'être entendues : elles réclament cette réforme depuis des années” dit encore Fatiha-Amal Abbassi. La destitution de Morsi puis la répression marquent un coup d'arrêt pour les Soeurs. Certaines repartent dans la clandestinité. “Les femmes ont presque toutes perdu un proche dans les massacres de Rabaa ou Al Nahda (au Caire le 14 août 2013, et qui ont fait des dizaines de morts, ndlr), des maris, pères, frères ont fuit et plus de Soeurs ont été arrêtées que sous Moubarak”, rappelle Fatiha-Amal Abbassi. Et c'est dans ce contexte que Zaynab Al Ghazali, méconnue des plus jeunes, retrouve son statut d'icône. “Elle est omniprésente", conclut la chercheuse.
A propos de Warda Mohamed
Warda Mohamed est une journaliste freelance, elle collabore notamment avec Orient XXI et Le Monde diplomatique. Elle a effectué de longs séjours au Caire en 2011, 2012 et 2013 et y a été correspondante pour Radio France.