Fil d'Ariane
En ces temps là, les femmes ne montaient pas seules sur scène pour faire rire. Pour danser, pour jouer dans des drames ou des comédies, pour chanter, pour voltiger, pour déclamer, mais pas pour faire rire, et surtout pas seules. Sylvie Joly, comme Zouc de l’autre côté des Alpes, et juste avant elles l'inénarrable Jacqueline Maillan, furent donc les premières à se lancer. On était au début des années 1970 et le mouvement de libération des femmes était en pleine ascension.
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En France, et au delà, le « one man show » au masculin prenait pour cible avant tout le monde politique, parodiait les dirigeants, ou caricaturait les Français moyens. Sylvie Joly ou Zouc s’emparaient du quotidien pour le tordre, de la famille pour la faire éclater, renversaient les clichés sur les femmes pour mieux se moquer d'elles-mêmes. Elles partagèrent un temps la même auteure, Marika Hodjis, mais Sylvie Joly écrivit la plupart de ses spectacles avec sa soeur Fanny. Elle ne voulait pas s'engager sur le terrain occupé jusque là par les hommes, disant "je ne suis pas comme Bedos qui fait tous les jours une revue de presse".
Il n'y a pas d'humour au féminin
Et pourtant, elle refusait l'étiquette d'humour au féminin. Dans un entretien accordé en 2002 à la Dépêche du Midi, avant de se produire à Albi (sud-ouest de la France), elle affirmait : "Je trouve que c'est toujours intéressant quand on décline les sujets au féminin. Mais pour moi, il n'y a pas d'humour au féminin. Que les textes soient dits par Jacqueline Maillan ou par Bourvil, c'est toujours drôle."
Son talent d’oratrice, elle l’avait conquis à l’école de la plaidoirie. Avant de se lancer sur les planches, Sylvie Joly avait été avocate, un bref passage dans les prétoires qu’elle immortalisa dans "L'avocate" un sketche hilarant.
Lors du dernier examen pour accéder au barreau, elle dut plaider un adultère. Elle commença en citant le très misogyne Sacha Guitry : "À l'égard de celui qui vous prend votre femme, il n'est de pire vengeance que de la lui laisser".
Née dans une famille parisienne de bonne famille, elle imitait à merveille les grandes bourgeoises. Joly était son nom - la juge et femme politique Eva Joly avait même épousé un cousin… Elle introduisait ainsi son livre de souvenirs paru en 2010 : “Je n’aime pas le bon Dieu, il fait des cadeaux pourris. Je mettais des heures à m’endormir, je pensais toujours que je ne me réveillerais peut-être pas. J’en ai vite déduit qu’il valait mieux rire et surtout faire rire.” On lui reprocha parfois une vision un peu trop “réactionnaire” du peuple, à force d’en caricaturer les travers… Mais elle était loin d’être tendre avec sa classe d’origine.
La féminité c'est pas une question de longueur de cheveux
Déjà souffrante – alors âgée de 76 ans, elle avait annoncé qu’elle était atteinte de la maladie de Parkinson - , elle avait réussi à jouer les dernières représentations de son spectacle "La Cerise sur le gâteau" et le film "L'Auberge rouge" de Gérard Krawczyk en 2007. Mais, depuis, elle n'avait plus été capable de remonter sur scène. Parmi ses spectacles les plus connus, on peut citer "La cigale et la Joly", "Ne riez jamais d'une femme qui tombe", "La vie, c'est pas de la rigolade" ou encore "Best of".
L’humoriste avait mené en parallèle une belle carrière d’actrice, avec des cinéastes comme Yves Robert, Bertrand Blier, Jean-Pierre Mocky ou Claude Lelouch. Au théâtre, elle a joué dans des pièces de Ionesco, Tchekhov ou Marivaux et a été dirigée par Tania Balachova ou Georges Wilson. Elle avait été nommée en 1988 pour le César de la Meilleure actrice dans un second rôle et en 1999 pour le Molière du Meilleur spectacle de sketches.
Aujourd’hui d’innombrables artistes femmes talentueuses se produisent seules en scène, avec pour but de faire rire de nos travers d’Européennes bien nourries, obsédées de nos apparences. Savent-elles seulement ce qu’elles doivent à Sylvie Joly ou Zouc ?