Liaisons dangereuses, tel est le nom du dernier rapport du
Prosenteret, centre d’aide et de compétence national sur la prostitution en Norvège.
Les chiffres sont inquiétants. Depuis l’adoption de la loi de 2009 pénalisant l’achat de services sexuels, la violence contre les prostituées ne fait qu’augmenter. 59 % des femmes se livrant à la prostitution déclarent avoir subi des violences depuis trois ans. Certaines d’entre elles ont été menacées de mort ou d’une arme, d’autres violées, volées ou forcées à subir des rapports non protégés. Les rares prostituées qui osent encore racoler ouvertement dans la rue subissent toutes sortes de tracasseries, des insultes ou de crachats de passants.
En fait, la prostitution est loin d’avoir disparue. Les offres se font ouvertement devant le parlement ayant voté la loi à Oslo. Il en va de même en Suède, premier pays prohibitionniste. Elle est seulement devenue moins visible. Certes, la plupart des prostituées ont quitté les rues, mais continuent de se vendre aux clients, toujours demandeurs mais plus prudents. Ils préfèrent désormais trouver sur internet ou dans des lieux privés. C’est juste une question d’organisation. Non seulement la demande n’a pas disparu d’un claquement de doigts, mais elle semble même augmenter.
Des prostituées venues de loin, aimantées par un pays riche
Prosenteret et d’autres instances similaires estiment que la prostitution en Norvège a déjà retrouvé le niveau d’avant la loi, et qu’elle semble même à la hausse dans ce pays très riche. Les prostituées, souvent venues de l’Europe de l’Est ou d’Afrique, sont attirées par le gain « facile », ou forcées par des proxénètes restant bien au chaud chez eux. Larguées dans un pays où elles ne parlent pas la langue et ne connaissent pas les coutumes, elles n’osent pas rechercher de l’aide et encore moins porter plainte.
Avant le vote de la loi, le débat fut houleux. Comme si souvent dans l’histoire, la Norvège regarda vers la Suède, si souvent à la pointe d’ innovations sociales et du féminisme. Des sceptiques tentèrent de mettre en garde les législateurs norvégiens, mais rien n’y fit. La Norvège voulait avant tout éviter qu’il soit possible d’acheter des services sexuels à des prostituées victimes de trafics ou de l’industrie du sexe.
Peu de contestataires osèrent s’opposer à des motivations aussi nobles, et encore moins défendre la prostitution. Enfin, une campagne au moment du vote dans les médias, fit croire à une augmentation soudaine de la prostitution, surtout à Oslo. Il n’en était rien, mais une arrivée de nouvelles prostituées plus «visibles», créa l’impression d’un marché en pleine expansion.
Mises en condition
Ce qui a surtout changé depuis 2009 sont les rapports entre les prostituées et les clients, qualifiés de « liaisons dangereuses » par Prosenteret. Dangereuses parce que cachées, rendant les prostituées plus vulnérables et les clients plus exigeants. Désormais, ils discutent de tout. En fait, ils règnent en maître, à l’abri des regards, et ne sont que très rarement pris. Les prostituées, souvent rentrées illégalement dans le pays, n’osent pas protester. Les plus vulnérables sont les Roumaines, très souvent victimes de trafiquants ou de traite humaine. Elles arrivent souvent via le Danemark, où elles sont violées et battues par leur proxénète pour être « mises en condition ».
Or le Danemark, justement, vient de décider de ne pas adopter de loi pénalisant le client, pas assez convaincu des bienfaits de la méthode punitive. Même la conservatrice Erna Solberg, probable vainqueur des prochaines élections en Norvège et futur Première ministre, souhaite abolir la loi de 2009.
L'estime de soi contre "cette atteinte aux droits humains"
D’autres solutions existent. La plupart des experts préconisent de traiter le problème à la source. C’est ce que fait une femme extraordinaire, Ilana Matei en Roumanie, en arrachant des filles à la prostitution une par une, pour leur donner une formation et un travail. Je l’avais rencontrée il y a deux ans. Voir ces - très - jeunes filles retrouver un peu d’espoir et d’estime de soi, relève du miracle. Certes, elles ne s’en sortiront pas toutes. Leurs « hommes » leur font souvent croire qu’ils les aiment malgré la violence qu’ils exercent sur elles, et elles n’arrivent pas toujours à couper les liens.
La réalité de la prostitution, cette « atteinte aux droits humains », comme l’a dit Francois Hollande, est souvent hideuse et en tout cas complexe. Les démarches d’autres pays, prohibition, réglementarisme ou abolition, doivent guider la France. Mais il ne faut pas oublier les principales intéressées, voir intéressés, car il y a aussi des hommes qui se prostituent.
Copier sur le pays voisin comme le fit la Norvège, n’est pas la meilleure voie. Trois ans après, devant l’augmentation de violences subies par les prostituées, des parlementaires norvégiens veulent rediscuter de la loi. La nouvelle ministre des droits des femmes en France, Najat Vallaud Belkacem semble vouloir commencer par le dialogue. Qu’elle prenne tout son temps. La prostitution ne risque pas de « disparaître » du jour au lendemain.