Prisons surpeuplées, détenues laissées à l’abandon, l’univers carcéral n’a pas bonne réputation au Liban. Des associations comme Zakira, Catharsis et Dar Al Amal pallient les manques d’un gouvernement absent. Grâce à la photo et au théâtre, des détenues ont pu retrouver confiance en elles et préparer leur sortie de prison.
« C'est vraiment grâce à une femme, la directrice de la prison très ouverte, qu'on a pu faire ce projet », explique Zahraa Mortada, l’une des photographes de l’association Zakira ayant coaché une quarantaine de prisonnières en 2012-2013.
« D'habitude, les détenues font seulement de la couture, du tricot, des cours de maquillage en détention. Mais rien de très créatif. » Pourtant pendant neuf mois, les recluses de la prison Barbar Al Khazen de Beyrouth ont pu, le temps de leur
promenade (« Nouzha » en arabe, également le nom de
l'exposition), s'initier à la photo. Une activité gagnante sur tous les tableaux : réparation, réinsertion, émancipation.
« Les prisons au Liban, c'est particulier », raconte Zahraa.
« Comme tout le monde, j'avais des préjugés avant d'y entrer. Il n'y a pas de travail de réadaptation. Photographiquement, c'est un espace fermé, mais on a pu créer à partir de ce petit lieu. »Même si la jeune photographe assure que cette prison-là n'est pas surpeuplée, reste que forcément
« il y a beaucoup d'humiliations en détention. » Seul côté positif selon Zahraa :
« contrairement à la société libanaise, en prison, il n’y a pas de hiérarchie sociale, toutes les femmes s’entraident.» Du talent
Parmi les apprenties photographes, une femme s’est détachée. Gharam Al-Hussein, 25 ans, est syrienne et a passé un an en prison. La jeune danseuse d’Alep s’était retrouvée enfermée trois mois après son arrivée au Liban car mêlée à une affaire de meurtre, avant d’être innocentée. « Elle a un vrai œil photographique », lance son ancienne professeure. Pour preuve, ses nombreuses photos présentes dans l’exposition.
C’est après un mois de détention dans une chambre à l’isolement, sans lumière, qu’elle a découvert l’univers carcéral.
Gharam raconte :
« On s’est entraidées pour survivre mais je me suis sentie très seule. Je devais travailler pour pouvoir appeler ma mère. Nous n’avions aucun droit. Ce projet photo a été une façon pour moi de m’exprimer, de sortir de ma chambre. » Des sujets universels
La prison, Zeina Daccache la connaît bien. Après avoir travaillé à Roumieh avec les hommes, la dramathérapeute a monté une pièce avec les femmes de la prison de Baabda : « Shéhérazade à Baabda ». « Cet ancien bâtiment d’une polyclinique a été transformé en prison mais ce n’est pas adapté. Il y a 40 places. Pourtant en 2012, 90 femmes s’y entassaient. » La Libanaise reconnaît : « Avec ces femmes, étant moi-même une femme, plein de sujets m’ont touchée jusqu'au tréfonds. Ce qui me révolte le plus ce sont les mariages précoces. Je suis convaincue que le texte de la pièce peut parler à toute femme, c’est vraiment universel. »
Différentes raisons mènent les Libanaises derrière les barreaux.
« Mais toutes sont liées au système patriarcal de notre pays » assène Zeina Daccache. Ses actrices d’un jour se sont retrouvées enfermées notamment après des mariages précoces menant au meurtre du mari violent ou des crimes d’adultère. La dramathérapeute se félicite toutefois qu’
« aujourd’hui, grâce à la loi sur la violence domestique passée en 2014, des hommes violents sont en prison. » De la dizaine des prisonnières engagées dans l'aventure "Shéhérazade", quatre sont encore détenues.
« Quand elles sortent, on essaie de faire appel à notre réseau pour leur trouver un travail. D’autres ne veulent plus entendre parler de quoi que ce soit qui leur rappelle la prison. C’est leur choix » respecte Zeina.
Ces femmes sont marginalisées. Nous sommes là pour leur donner une chance afin de se réhabiliter.
L’association Dar al Amal est l’une des rares à œuvrer en prison depuis 1996 et à tenter de suivre les prisonnières à leur sortie. « Nous aidons toutes ces femmes sans discrimination dans trois prisons (Baabda, Tripoli et Zahlé). Cela représente 240 femmes », détaille Hoda Kara, la directrice. Dar Al Amal assure des besoins de base qui ne sont pas pris en charge par le gouvernement libanais : produits alimentaires, produits hygiéniques, habits, médicaments, assistance judiciaire...
Hoda Kara se désole : « Le gouvernement libanais est presque absent. Les bâtiments sont surpeuplés. Les prisonnières ont le droit de vivre décemment. C’est pourquoi nous continuons à investir dans les infrastructures et même à assurer la maintenance de certains équipements. » Elle ajoute : « Certes, tout ce travail est très difficile et frustrant. Mais nous voulons sensibiliser la société libanaise. Ces femmes sont marginalisées. Nous sommes là pour leur donner une chance afin de se réhabiliter. »