Fil d'Ariane
Le Canada remercie ceux qui ont aidé à obtenir la libération de Homa Hoodfar d'une prison en Iran. Ma déclaration : https://t.co/kakFGdUyiL
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) 26 septembre 2016
Rapidement, la famille d’Homa Hoodfar avait tiré la sonnette d’alarme auprès des médias et du gouvernement canadien pour la faire libérer. Cet été, on s’est beaucoup inquiété de son état de santé qui s’est détérioré, nécessitant son hospitalisation – elle souffre d’une maladie neurologique dégénérative et doit prendre une médication spécifique. Une pétition lancée par Amnistie International réclamait sa libération. « Homa Hoodfar est une prisonnière d’opinion et a été emprisonnée à cause de son travail sur les droits des femmes, ce qui est inadmissible. Nous documentons depuis le début de 2016 une intensification de la répression envers tous ceux et celles qui défendent les droits des femmes en Iran. Il est important de faire connaitre et de dénoncer cette répression et de libérer les personnes qui sont arrêtées » nous déclarait Béatrice Vaugrante, directrice, section Canada francophone d’Amnistie internationale.
Le 14 septembre 2016, 22 ex-rapporteurs de l’ONU sur les droits de la personne avaient émis un communiqué réclamant la libération immédiate d’Homa Hoodfar, s’inquiétant de la détérioration de la santé de la féministe et dénonçant le fait que l’Iran ne respectait, en maintenant cette femme en prison, ni ses propres lois, ni les traités internationaux sur les droits de la personne. Ces rapporteurs espèraient faire pression sur les autorités iraniennes alors que s'ouvrait le lundi 19 septembre 2016 à New York la 71ème Assemblée générale de l’ONU. A l’occasion de cet événement, le Canada espèrait bien renouer des relations diplomatiques interrompues depuis 2012 avec l’Iran redevenu persona grata sur la scène internationale. L’affaire Homa Hoofdar a-t-elle été évoquée entre les deux Etats ?
Les semaines, les mois passaient et rien ne semblait bouger. La professeure était maintenue confinée à l’isolement dans une cellule. On ignorait alors si elle avait accès à des médicaments. Les Iraniens lui avaient retiré son avocat. Et il était bien difficile de savoir ce qu’il se passait réellement dans cette prison qui a une sinistre réputation. Rien de très rassurant…
Homa a maintenant passé plus de 100 jours en isolement à la prison d’Evin de Téhéran et non, il n’y a pas eu de conférence de presse et je n’ai pas entendu son nom prononcé par mon premier ministre
Geneviève Rail, professeure, collègue de Homa Hoofdar
L'appel de Geneviève Rail, sociologue, professeure à l’Institut Simone-De Beauvoir de l’Université Concordia, publié par La Presse
"Conférence de presse. Justin Trudeau et Stéphane Dion, premier ministre et ministre des Affaires étrangères, sont outrés.
M. Trudeau, poing sur la table, dit d’un ton ferme : « Le Canada a déjà perdu une vie dans cette prison de Téhéran. C’est assez ! » M. Dion renchérit : « Oui, on ne peut se permettre de laisser la professeure Homa Hoodfar une semaine de plus. Nous travaillons activement pour qu’elle revienne au bercail. » Je me réveille. Je rêvais. Et c’est la réalité qui est un cauchemar.
Homa, professeure émérite de l’Université Concordia, a maintenant passé plus de 100 jours en isolement à la prison d’Evin de Téhéran et non, il n’y a pas eu de conférence de presse et je n’ai pas entendu son nom prononcé par mon premier ministre. (.../...)"
"Si des signes concrets de la préoccupation de notre gouvernement canadien manquent aujourd’hui, nous, les collègues de Homa, nous joignons à ses étudiants et à des universitaires de multiples pays pour continuer notre campagne visant à faire libérer Homa. Amnistie internationale, PEN International, Québec solidaire, le Parti vert, des dizaines d’associations féministes ou d'enseignement au pays et dans le monde ont signé des pétitions.
Nos collègues irlandais ont déjà fait une démonstration, vêtus de leur toge, devant l’ambassade d’Iran à Dublin. Et hier, 22 ex-rapporteurs spéciaux de l’ONU ont déposé une demande aux représentants de l’Iran à l’ONU pour que soit respectées les lois iraniennes et les ententes internationales dont l’Iran est signataire. Entre autres celle concernant les « objectifs de développement durable » de l’ONU (par exemple, l’objectif 5 est de « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles »).
Homa est un atout inestimable pour l’Université Concordia, le Québec et le Canada. Elle est une des nôtres et doit rentrer au pays. Nous planifions des actions un peu partout autour de nous et invitons tous ceux qui ont à cœur la liberté académique à se joindre à nous pour œuvrer à la libération immédiate et inconditionnelle de Homa."
Toute cette sombre histoire n’est pas sans rappeler celle de la photographe canado-iranienne Zahra Kazemi qui avait elle aussi été arrêtée en Iran et qui est morte dans cette même prison. Elle y aurait été torturée et violée. C’était il y a 13 ans, mais les Canadiens n’ont pas oublié… « Nous avons terriblement peur, nous nous souvenons de ce qui est arrivé à Zahra Kazemi » a déclaré Amanda Ghahremani, la nièce d’Homa Hoodar qui sert d’interlocutrice avec les médias.
Le régime iranien avait aussi arrêté un journaliste du Washington Post, Jason Rezaian, en juillet 2014, pour des motifs similaires. Il a finalement été relâché 18 mois plus tard.
Selon plusieurs analystes, ces arrestations trahissent la volonté de durcissement d’un régime qui n’a pas digéré l’élection d’un président modéré, Hassan Rohani, il y a trois ans. Une sorte de bras de fer entre le guide suprême, l’Ayatollah Khameini et ses gardiens de la révolution, et une classe politique modérée et réformatrice qui cherche à renouer des liens diplomatiques avec plusieurs pays occidentaux dont les États-Unis et le Canada.
L’arrestation de Homa Hoodfar s’inscrit dans le cadre de la répression accrue visant ceux qui défendent les droits des femmes en Iran
Béatrice Vaugrante - Amnestie Canada
Homa Hoodfar a-t-elle été l’une des victimes de ce conflit politique interne ? « L’arrestation de Homa Hoodfar et les accusations liées à la sécurité nationale portées à son encontre s’inscrivent dans le cadre de la répression accrue visant ceux qui défendent les droits des femmes en Iran, précise encore Béatrice Vaugrante d’Amnestie Canada, section francophone. Depuis le début de l’année 2016, les autorités iraniennes ont intensifié les mesures d’intimidation et de harcèlement dont font l’objet les personnes militant en faveur des droits des femmes dans le pays, et assimilent de plus en plus les initiatives collectives ayant trait au féminisme et aux droits des femmes à des activités criminelles. Depuis janvier 2016, plus d’une dizaine de militants pour les droits des femmes à Téhéran ont été convoqués pour des interrogatoires longs et intenses par les gardiens de la révolution et ont été menacés d’être emprisonnés pour des accusations liées à la sécurité nationale. Et oui, clairement, la terrible histoire de Zahra Kazemi plane dans ce dossier ».