Noires, métisses, maghrébines, asiatiques, femmes de tous âges et de toutes origines... Toutes sont les bienvenues au "Fraîches Women Festival", dont la première édition se tient dimanche 6 mai à la Marbrerie à Montreuil. Les deux créatrices de la plate-forme internet Afro ont voulu créer avec cet évènement un pont entre le virtuel des réseaux sociaux et le réel pour échanger autour de la condition des femmes afrodescendantes entre autres. Bref, le festival dont elles rêvaient.
Dans le monde du hip hop ou dans le langage dit urbain, "fresh", désigne quelqu'un qui se démarque, soit par son style (prononcez staïle ndlr !) soit par sa réussite sociale... Bref, une sorte de modèle qu'on se doit d'admirer, quand on fait partie de cette jeunesse des villes, diverse, mixte, et métissée.
De la fraîcheur à l'engagement...
Oui, sauf que jusqu'ici, cette "fraicheur" est le plus souvent, pour ne pas dire exclusivement, réservée aux hommes. Pour les femmes, "fraîche"ou "fresh" veut plutot dire sexy, ou qui a du tempérament, tiens donc...
"Chaque année, le magazine de rap XXL Mag désigne ses 10 fresh men, c'est à dire les dix rappeurs qu'il faut suivre. Je me suis dit qu'il y en avait assez ! Comme toujours, il n'y avait jamais de femme. Même la nana qui a cartonné cette année là n'a pas le droit de figurer sur la liste ! De là est parti un projet d'abord photographique pour désigner selon nos propres critères à nous, jeunes femmes se revendiquant afro-descendantes, nos dix fraiches women ! ", nous explique la journaliste Dolores Bakela, qui forme avec Adiaratou Diarrassouba, le binôme à l'origine de l'aventure
Fraîches women festival.
Ces deux jeunes femmes journalistes n'en sont pas à leur premiers (mé)faits d'armes ! En octobre 2015, elles créent la plateforme média et événementielle L’Afro. "Notre but était de raconter l’expérience afrodescendante en France, à rebours de ce que l’on voyait ailleurs. Très vite, nous avons doublé nos articles – qui s’élèvent à plus de 200 à l’heure actuelle – et nous initions des événements tous les deux mois à Paris. Sexualité, travail, identité, entre-autres, sont les sujets qui nous intéressent et qui semblent aussi intéresser celles et ceux qui nous suivent."
On a eu envie de créer le festival dont on rêvait, nous, qu'on aurait aimé avoir adolescentes ! C'est à dire des débats sur des thèmes nous concernant, nous femmes noires.
Adiaratou Diarrassouba, co-fondatrice du site L'Afro
Si dans le sillage du projet photographique "neuf femmes fraîches", l'idée de mettre en place une plate-forme d'échanges et de partage d'expériences et d'infos semblait nécessaire, très vite, l'envie de passer du virtuel au réel s'impose à elles. "En marge des évènements, rencontres ou concerts que l'on programmait, on a eu envie de créer le festival dont on rêvait, nous, qu'on aurait aimé avoir adolescente ! C'est à dire des débats sur des thèmes nous concernant, nous femmes noires, mais aussi de pouvoir approcher et discuter avec des expertes sur de nombreux domaines, comme le féminisme, ou les féminismes, ou encore la sexualité, encore tellement taboue", confie Adiaratou Diarrassouba. "Ce festival est une proposition autour de la question de la réprésentation, c'est déjà le coeur de notre plate-forme L'Afro. Représentation des afro-descendants, mais pas seulement, celle des autres communautés également, les personnes de la communauté asiatique, LGBT, militantes de différents niveaux. En général, on fait souvent appel à un.e spécialiste de toutes ces questions là, et ça cache d'autres acteur.trice.s bien plus présent.e.s sur le terrain. Il nous importait aussi de mettre en avant la question de la sororité, qui est souvent théorisée mais moins pratiquée en réalité. On a pu constater que souvent dans les évènements, il y a peu d'inclusivité, on reste dans l'entre-soi. Etre solidaire entre femmes c'est aussi de permettre à toutes les femmes de s'exprimer, sans être pour autant toutes d'accord", ajoute la journaliste.
L'idée du "Fraîches Women Festival" est lancée.
"Si on ne se représente pas nous même, personne d'autre ne va le faire ! Notre volonté était de créer un festival de femmes essentiellement, ou bien de personnes qui s'identifient au genre féminin, comme le groupe sud-africain, dont c'est le premier concert en France, FAKA, formé de deux hommes nés hommes, queer, et qui performent dans la fluidité du genre. Donc un festival pour les femmes avant tout mais pour en montrer la diversité. Dans la représentation des femmes noires, c'est toujours un peu la même chose, avec ce postulat qu'elles sont forcément hétérosexuelles entre-autres. On n'a pas voulu être exhaustive juste pour l'être. Il y a aussi la présence de Grace Ly,
vidéaste et bloggeuse, qui casse les clichés sur les femmes asiatiques." Liberté, sororité et inclusivité
Parmi la vingtaine d'intervenantes, le public pourra aller à la rencontre de cette jeune vidéaste, d'origine chinoise, Grace Ly qui dans une websérie
Ça reste entre nous (voir vidéo plus bas) démonte avec humour les clichés racistes sur la communauté asiatique française. Récemment elle s'est associée avec la militante Rokaya Diallo pour une web série
Kiffe ta race. Au programme de ce festival, des expertes, pour n'en citer que quelques unes, la sexologue Stella Tiendrebeogo, Axelle Jah Njike, auteure de nouvelles érotiques, initiatrice du site
Parlonsplaisirféminin.com mais aussi militante et administratrice de la fédération GAMS (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles et les mariages forcés) ou encore Sharone Omouanka qui accompagne des personnes séropositives afrodescendantes.
Il sera bien évidemment question de féminisme, au pluriel, et donc d'afroféminisme.
"Il y a une histoire des luttes pour (et par) les personnes non blanches en France, pour pouvoir aujourd'hui se promener tranquillement sans se faire agresser par des personnes qui leur refusent le droit d'être là ou se faire insulter à tous les coins de rue, pour qu'on n'impose pas des clichés sur leur présence. Et ça aussi c'est important de le rappeler. Il y a eu des luttes parallèles au féminisme dit blanc et bourgeois. Nous, on s'est construite avec des personnalités qui nous ont accompagnées, comme par exemple, l'autrice et metteure en scène guadeloupéenne Gerty Dambury. La presse en général a tendance à voir l'afroféminisme comme une nouveauté, une émergence, c'est plutôt une réémergence, souvent grâce à une nouvelle génération de femmes qui se font leur place elles-mêmes."
"Les réseaux sociaux sont un outil formidable mais il faut aussi savoir s'en détourner pour avoir d'autres types d'échanges, de rencontres voire parfois de confrontation. On dit d'eux qu'ils ne sont pas la vie, c'est à la fois vrai et pas vrai. Il faut aussi pouvoir se confronter à la vie quotidienne, éprouver nos expériences de vie, parler avec ses proches, il y a un double mouvement, sur le net, mais aussi à travers des actions, et pourquoi pas à travers un certain militantisme ", ajoute Dolores Bakela.
Sexualité féminine et intimité sans tabou
Justement, parmi les thèmes au menu de cet évènement, il est une question dont on parle peu en société, en public : la sexualité. Des ateliers sont programmés avec la sexologue et psychologue Stella Tiendrebaogo et Audrey Warrington afro-féministe encartée. Toutes deux animent régulièrement "
Les rendez-vous sexcare".
"Ce sont deux approches différentes, mais pour avoir assisté à plusieurs de leurs sessions, il n'y a pas de malaise, chacune peut aussi s'approprier aussi cette parole-là aussi, de l'ordre de l'intime. C'est vraiment très important pour nous. Si j'avais eu 15 ou 16 ans, et que j'avais pu avoir ce genre de discussions sur la sexualité, ça m'aurait sans doute permis de me construire différement en tant que femme, je pense.", explique Diaratou Diarrassouba.
Sur leur page Facebook, on apprend que les ateliers traitant des enjeux de pouvoir dans le couple affichent déjà complet, trois jours avant le festival, c'est dire s'il y a de l'attente dans ce domaine là, aussi...
Moins taboue mais tout autant prégnante, la question des discriminations. La spécialiste en empowerment des femmes racisées, Marie Dasylva viendra présenter la méthode qu'elle a mise au point pour que chacun.e puisse se défendre, lors de ces agressions du quotidien, dans la rue, au travail, à l'école. Cette experte a créé
une agence de coaching Nkaliworks, et propose des contre-stratégies face aux techniques de domination racistes et sexistes dans l'espace public et surtout professionnel.
Pour cette première édition, le choix d'une marraine pour porter la voix des "femmes fraîches" s'est porté sur Leïla Sy, bien connue de la scène rap et hip hop française. A 40 ans, elle est l'une des rares femmes réalisatrices de clip dans ce monde si masculin du rap, signant aussi bien depuis 10 ans les clips de Kery James que celui du trio féminin L.E.J.
"C'est une grande fierté pour moi d'avoir été choisie pour marrainer cette première édition. Pourquoi avoir accepté ? Je crois qu'on est dans un moment où la société est en train de bouger, on est toutes en train d'essayer de s'emparer de sujets qu'on nous refusait jusqu'à présent. Il est très important que la féminité s'invite avec tout ce qu'elle transporte avec elle dans la société actuelle. En tant que métisse franco-sénégalaise, j'ai eu la chance avec ma mère, blanche, d'avoir accès à beaucoup de domaines culturels, variés. J'ai aussi eu la chance de croiser le chemin d'une dame qui a beaucoup compté, Mia Frye, chorégraphe afro-américaine, une femme juste incroyable, forte. Elle fait partie des figures qui m'ont aidée à me construire. Mais il faut avouer qu'à cette époque-là, il y a une vingtaine d'années, il n'y avait pas beaucoup de femmes connues, noires auxquelles j'aurais aimé m'identifier", raconte Leïla Sy.
Ma chance et ma force, c'est d'être métisse. Au Sénégal, j'étais blanche, ici à Paris, j'étais noire.
Leïla Sy, réalisatrice
"Ma chance et ma force, c'est d'être métisse en fait. Même si mon adolescence a été compliquée, je cherchais ma place, dans les années 80, le métissage était moins répandu qu'aujourd'hui. Quand j'allais au Sénégal j'étais blanche, et ici à Paris, j'étais noire. Avec le temps, j'en ai fait une force, comme le fait d'être une femme. Grâce à la culture hip hop, j'ai pu trouver des bases solides pour m'épanouir. C'est vrai que le rap reste un milieu masculin, mais j'ai mis en avant mes atouts artistiques et mon côté garçon manqué cela m'a sans doute aidé ! J'ai fais mes armes avec les rappeurs. Bien-sûr, il m'arrive parfois de faire des bonds sur des textes de rappeurs peu respectueux vis à vis des femmes. Bon, moi il faut aussi que je travaille, tout en essayant de défendre mes valeurs", ajoute la réalisatrice.
Les femmes proposent des choses, font des choses, elles agacent aussi, et c'est tant mieux !
Dolores Bakela, co-fondatrice Fraîches Women Festival
De la musique, il y en aura bien-sûr lors de cette première édition du festival "Fraîches Women", que les créatrices souhaitent d'ailleurs péréniser en le rendant annuel. A l'affiche, des groupes aussi variés que FAKA, cité plus haut, qui joue pour la première fois en France à l'occasion du festival, ou encore la jeune chanteuse franco-malienne Sira Niamé, le duo féminin électro-soul Kami Awori et Cheetah, la DJ montante de la scène afro. Mais pour ouvrir le bal, les premières notes de trompette seront soufflées par la fanfare 30 Nuances de Noir.e.s. Pour Dolores Bakela, "Ce choix, c'est un geste fort pour parler d'occupation ou de visibilité dans l'espace public et médiatique, ça peut être un espace menaçant pour les femmes. Malgré tout, même si ce n'est pas évident, les femmes proposent des choses, font des choses, elles agacent aussi, et c'est tant mieux !".