Fil d'Ariane
Lina Ben Mhenni avait 36 ans. Grâce à son blog et à ses prises de position, elle était devenue l'un des visages de la révolution de jasmin, qui avait conduit à la chute du régime de Ben Ali en 2011. C'est d'ailleurs pour ce combat que son nom avait un temps circulé pour le prix Nobel de la Paix. Cette militante des droits et la liberté des Tunisien.e.s est décédée lundi 27 janvier 2020 des suites d'une longue maladie.
Elle a été inhumée le lendemain à Ezzahra, près de Tunis. Anonymes, militants, politiques, personnalités ont suivi le cercueil, enveloppé dans le drapeau tunisien, symbole de l’hommage d’une nation. Fait exceptionnel, hautement symbolique et contraire à la tradition : il était, à la demande de son père, porté par des femmes, des amies de sa fille.
Inhabituel mais symbolique. Le cercueil de la défunte militante des droits de l’Homme FEU Lina Ben Mhenni a été porté 28 janvier 2020 par des femmes, CONTRAIREMENT AUX TRADITIONS QUI VEULENT QUE SEULS LES HOMMES ONT LE DROIT D'ETRE PRÉSENTS AUX ENTERREMENTS pic.twitter.com/VQXJqVPnL0
— Kamel Esseghairi (@kamelionus) January 29, 2020
Des années durant, malgré les risques qu'elle encourt sous le gouvernement Ben Ali, Lina Ben Mhenni témoigne sur Internet des dérives du régime tunisien. Elle est l'une des premières à rapporter ce qu'il se passe dans son pays. Pour alimenter son blog "atunisiangirl", elle se déplace dans les villes défavorisées de l'intérieur du pays, munie de sa petite caméra. Via les réseaux sociaux, elle retransmet les manifestations de colère qui mèneront les habitants à renverser le pouvoir et devient l'une des principales opposantes au régime de Ben Ali.
Lorsque le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi se donne la mort en s'immolant, le 17 décembre 2010, Lina Ben Mhenni, alors professeure d'anglais de 27 ans dans une université à Tunis, est la première blogueuse à se rendre à Sidi Bouzid, berceau de la révolution. Sa chronique de la révolution en français, anglais et arabe devient alors le fil rouge de cet engagement contre la dictature. En 2011, Lina Ben Mhenni en tire un ouvrage, Tunisian Girl, blogueuse pour un printemps arabe.
Menacée de mort, Lina Ben Mhenni continue sa lutte au-delà de révolution. Car son pays, explique-t-elle, est encore loin d'offrir ce qu'espéraient les Tunisiens lors du soulèvement en 2011 : liberté, justice, démocratie, emploi. Malgré la maladie auto-immune qui la ronge depuis qu'elle a 11 ans, elle continue ensuite son militantisme pour défendre les droits fondamentaux en Tunisie, en participant à de nombreuses manifestations et à des procès touchant à la liberté d'expression. Sa page facebook est suivie par 20 000 personnes et son compote twitter par 350 000. Lina Ben Mhenni, fille d'un militant, prisonnier politique sous Bourgiba et cofondateur d'Amnesty Tunisie, est le symbole de la jeunesse éduquée et connectée de Tunisie.
Hommage à Lina Ben Mhenni
— Mediterranean Women's Fund (@Medwomensfund) January 29, 2020
Cette photo de Lina Ben Mhennni, "A Tunisian Girl", voix de la révolte tunisienne et de son père, prise par Adel Mhadhebi, avait remporté le 1er prix de notre concours photo de 2013 "Père et fier de ma fille".
Au revoir, rest in power, rest in peace. pic.twitter.com/3e9vXy6tjR
Ces derniers mois, cette "voix de la révolte tunisienne" reconnaissait vivre un calvaire à cause de la maladie, dénonçant au passage l'état des hôpitaux de la capitale. Combative jusqu'au bout, elle a posté un dernier billet sur la situation politique du pays dans la nuit de samedi à dimanche.
Depuis l'annonce de son décès, les témoignages et les hommages affluent notamment via les réseaux sociaux. Elus, diplomates, représentants de la société civile, artistes y expriment leur tristesse.
Magnifique hommage ... par @___z__ #RIP_Lina_Ben_Mhenni pic.twitter.com/ibTbWLPd40
— Zeineb Turki (@ZeinebTurki) January 29, 2020
Désigné la semaine dernière, le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, salue l'"icône" des mobilisations de la société civile. Pour l'ex-chef du gouvernement Mehdi Jomaa, "la Tunisie a perdu aujourd'hui l'une de ses femmes libres (...), une femme qui a vécu forte jusqu'à ses derniers jours".
Elle a lutté avec courage et détermination pour une société libre et juste.
Al Bawsala
Pour l'ONG Al Bawsala, observatoire de la vie publique tunisienne, "Lina était une voix libre, une militante infatigable et défenseure des libertés et de la démocratie avant et après la révolution... Elle a lutté avec courage et détermination pour une société libre et juste", tout en saluant en elle "une femme battante".
"Lina a toujours été au premier rang dans chaque combat contre l'injustice, la marginalisation, la corruption", ont publié sur Facebook les militants d'une campagne citoyenne qui avait vu le jour ces dernières années contre l'amnistie - votée en 2016 -de certains actes de corruption.
"Lina Ben Mhenni avait été cette voix imperturbable qui s’est élevée contre l’injustice, le despotisme… et la maladie. Elle était de tous les combats, de toutes les batailles, celles qui la touchent et encore plus celles qui ne la concernent pas", lit-on sur le webzine tunisien Business News. Quinze jours à peine avant son décès, rapporte le site, elle écrivait : "Nous avons tous besoin des uns et des autres et surtout car notre pays a toujours besoin d’amour et de travail et je pense que nous en avons beaucoup pour notre belle Tunisie."
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