"Lire Lolita à Téhéran", comme ultime acte de résistance

Le film Lire Lolita à Téhéran est inspiré d'un roman écrit par Azar Nafisi, une professeure de littérature iranienne exilée aux Etats-Unis. Les actrices franco-iraniennes Golshifteh Farahani et Zar Amir y incarnent sororité et résistance. 

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"Lire Lolita à Téhéran"

Image extraite du film Lire Lolita à Téhéran de Eran Riklis, le film est adapté du roman éponyme et autobiographique d'Azar Nafisi, rôle incarné par l'actrice iranienne Golshifteh Farahani.

Capture d'écran
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"Cette histoire, c'est avant tout notre histoire à nous", explique Golshifteh Farahani, lors de la présentation du film Lire Lolita à Téhéran à Paris. 

Réalisé par l'Israélien Eran Riklis, le film est adapté du roman éponyme et autobiographique d'Azar Nafisi, une professeure de littérature de retour dans la capitale iranienne après la révolution islamique de 1979. Elle est aujourd'hui exilée aux États-Unis et écrit des romans. Golshifteh Farahani interprète à l'écran Azar Nafisi. Celle-ci réunit secrètement sept de ses étudiantes, dont Sanaz, incarnée par Zar Amir, pour lire des classiques de la littérature occidentale interdits par le régime, comme Lolita de Vladimir Nabokov. 

Lire, se réunir, faire du cinéma, exister tout simplement, ça devient un acte de résistance. C'est comme ça qu'on a sauvé notre culture, qu'on a gardé la flamme vivante d'un feu qui brûle en Iran depuis 2500 ans et que le régime veut éteindre. Golshifteh Farahani

"Dans le film, le plus important pour ces filles, c'est de se réunir autour de la littérature. Pour moi, c'était de retrouver ma famille autour du cinéma, mes amies les plus proches", précise l'actrice. "Lire, se réunir, faire du cinéma, exister tout simplement, ça devient un acte de résistance. C'est comme ça qu'on a sauvé notre culture, qu'on a gardé la flamme vivante d'un feu qui brûle en Iran depuis 2500 ans et que le régime veut éteindre", confie-t-elle. 

Sororité iranienne

Amies à l'écran comme dans la vie, les deux comédiennes ont fui l'Iran en 2008, leur carrière ayant été rendue impossible par les autorités.

Depuis, Golshifteh Farahani, 41 ans, a tourné dans une quarantaine de films en tout genre, du blockbuster américain avec Pirates des Caraïbes au film d'auteur avec Paterson de Jim Jarmusch. Zar Amir, 43 ans, est elle devenue la première actrice iranienne à remporter le prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes en 2022 pour son rôle dans Les Nuits de Mashhad d'Ali Abbasi. Les deux actrices ont reçu ensemble le Prix de Hambourg pour la liberté culturelle en mars 2019. 

Zar Amir Ebrahimi

Zar Amir Ebrahimi, lauréate du prix de la meilleure actrice pour son rôle dans Holy Spider, tient son prix après une cérémonie au 75e festival international du film, à Cannes, dans le sud de la France, le 28 mai 2022. Dans ce film, elle incarne une journaliste qui enquête sur un tueur en série dans la ville de Mashhad, dans l'est de l'Iran, qui assassine des femmes et des travailleuses du sexe. 

© Vianney Le Caer/Invision/AP

Vivre l'exil

Fil rouge de Lire Lolita à Téhéran, la question de l'exil résonne avec le parcours des deux interprètes. Dans l'oeuvre, Azar Nafisi est confrontée à un dilemme : laisser son pays et ses étudiantes derrière elle mais être libre, ou lutter en clandestinité et s'accommoder des miettes de liberté restantes.

On a des collègues qui sont restées mais, en même temps, elles ne tournent plus parce qu'elles ne veulent plus obéir à ce système. Elles ont décidé de se battre autrement, là, de l'intérieur. Zar Amir

Pour Golshifteh Farahani, l'exil a été une "urgence, une nécessité". Après être apparue tête nue et en décolleté lors de la promotion du film Mensonges d'État de Ridley Scott, elle est bannie d'Iran. "J'ai eu cinq jours pour faire ma valise. Mais partir, même si c'est parce que ça devient une question de survie, ça reste une douleur", retrace-t-elle. 

"Moi, après un an et demi à ne plus pouvoir travailler, j'étais en train de mourir à l'intérieur", confie Zar Amir. Après qu'une sextape a été diffusée par un ancien fiancé en 2006, elle est interdite de tournage et encourt 10 ans de prison et des coups de fouet. "On a des collègues qui sont restées mais, en même temps, elles ne tournent plus parce qu'elles ne veulent plus obéir à ce système. Elles ont décidé de se battre autrement, là, de l'intérieur" ajoute-t-elle. 

Femme, vie, liberté

Aujourd'hui pour les deux actrices franco-iraniennes, l'espoir est permis et porte le slogan "Femme, Vie, Liberté". Le mouvement, qui a débuté avec la mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022 après avoir été arrêtée par la police des mœurs, a, d'après elles, permis de faire bouger les lignes. 

Les gens osent, sont plus courageux. Ils repoussent les limites et les limites cassent toujours. Il y a pas de retour possible, c'est pour cela qu'on appelle ça une révolution. Golshifteh Farahani

"Les gens osent, sont plus courageux. Ils repoussent les limites et les limites cassent toujours. Il y a pas de retour possible, c'est pour cela qu'on appelle ça une révolution", présage Golshifteh Farahani. 

Golshifteh Farahani, à la Berlinale 2023

Golshifteh Farahani, membre du jury, joint les mains en s'adressant au public lors de la cérémonie d'ouverture du Festival international du film de Berlin (Berlinale), à Berlin (Allemagne), le jeudi 16 février 2023. 

©AP Photo/Markus Schreiber

 

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