Fil d'Ariane
Bijou, Blancho, Chata, Mahi et les autres ont fui la violence, pour basculer dans une autre. Le plus souvent, elles ont voulu quitter le chaos familial. Et elles ont trouvé celui de la rue, de la survie par la prostitution. Elles sont si exclues, qu'elles se tiennent aux marges de la ville, rejetées par les souteneurs, dans des quartiers de bidonvilles, offrant leurs "services" à d'autres pauvres, à peine moins rejetés qu'elles-mêmes.
Lorsqu'elles les a rencontrées en 2009, Eliane de Latour a vite compris que la relation qui se tissait entre elle-même et ces "filles perdues" se transformait en échange, qu'elle quittait le terrain de l'observation pour celui de l'engagement.
Eliane de Latour leur avait assuré qu'elle leur reverserait la recette des photos exposées à Paris et ailleurs. Promesse tenue. Un terrain humanitaire auquel elle n'était pas préparée, et qui lui a donné beaucoup en retour, pour ses recherches mêmes.
Ce film est né d'un double parti pris : celui de la recherche et celui de l'aide à ces jeunes filles, afin qu'elles mènent au bout leurs rêves, leurs projets, tout ce qui les ferait sortir de l'enfer de la passe furtive et de la rue.
Elles vivent la souffrance d'être maudites dans le regard social
Eliane de Latour
Elle filme seule avec une petite caméra, son appareil photographique qu'elle a transformé. Juste l'image et le son du micro caméra... Il faudra post-synchroniser, ce qui, nous dit la cinéaste, a beaucoup amusé les demoiselles.
Ses allers-retours fréquents lui permettent de ne pas perdre le fil avec les Go et de rester au plus près de celles avec lesquelles elle partage cette expérience. Elle les filme dans leur quotidien, jusque dans leur sommeil ou leur colère. "Elles m'ont fait rentrer dans une intimité silencieuse, magnifique. Le silence est la plus belle expression des êtres qui souffrent et qui n'ont pas de mots pour le dire. (.../...) Dans mon film elles n'ont pas l'air de 'putes'."
Damnées de la terre, les Go d'Abidjan vivent dans la misère et l'exclusion absolue, même de la part des autres prostituées. "Elles sont aux dernières marches de la prostitution", et rejoignent un monde de violence, et de drogue au lieu de la liberté ou de l'émancipation qu'elles pensaient pouvoir trouver. Leurs seuls moments de bonheur, elles les trouvent avec leurs enfants, voulus, un signe de réintégration de la "normalité".
Dans cette exclusion, elles retrouvent du sens avec leurs enfants.
Eliane de Latour
Sur les 53 femmes qui ont participé au projet initial, après la guerre civile et les chaos du pays, six ont finalement pris part à la collectivité, la Casa, mise en place par la cinéaste. Sur ces six-là, finalement quatre réussiront à faire prendre forme à leur désir.