Liz Truss : après six semaines d'exercice, la Première ministre du Royaume-Uni démisionne

Elle aurait voulu marcher dans les pas de Margaret Thatcher. A 47 ans, l'ancienne ministre des Affaires étrangères Elizabeth Truss est celle que les membres du parti conservateur avait choisie pour succéder à Boris Johnson. Son mandat aura fait long feu : six semaines seulement après sa nomination, la troisième femme Première ministre de l'histoire du Royaume-Uni choisit de quitter ses fonctions.
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liz truss officielle
©AP Photo/Frank Augstein
Liz Truss, de son vrai nom Elizabeth Truss, estime que la récession n'est pas inévitable et qu'il est possible de "libérer des opportunités au Royaume-Uni". Elle devient la troisième femme à prendre la direction du gouvernement britannique, et va s'installer au 10 Downing Street, succédant ainsi à Boris Johnson.
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Liz Truss et ses supporters
©AP Photo/Rui Vieira
"In Liz we Truss", un slogan sous forme de jeu de mots qui sonne comme "In Liz we trust", (En Liz, nous croyons, trad), lors de la campagne de Liz Truss, nouvelle Première ministre du Royaume Uni, désignée à l'issue du vote du parti conservateur britannique. 
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Secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères, au Commonwealth et au Développement, Liz Truss
©AP Photo/Frank Augstein, archives
La secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères, au Commonwealth et au Développement, Liz Truss, quitte une réunion au 10 Downing Street, à Londres, le 19 juillet 2022. 
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Une femme à nouveau aux rênes du gouvernement britannique. Ainsi en avaient décidé les membres du parti conservateur. La nomination de Liz Truss était officialisée début septembre 2022 lors d'une cérémonie, la dernière à laquelle assistait la reine Elisabeth II avant son décès. 

Le 20 octobre, la Première ministre annonce sa démission après 44 jours au pouvoir qui ont ressemblé à une descente aux enfers. "Vu la situation, je ne peux pas remplir le mandat sur lequel j'ai été élue par le Parti conservateur", a déclaré Elizabeth Truss, qui devient la cheffe de gouvernement à la longévité la plus courte de l'histoire contemporaine du Royaume-Uni. Elle a précisé qu'un nouveau scrutin interne aurait lieu au sein de la majorité "d'ici à la semaine prochaine" pour la remplacer.

Plus impopulaire que jamais dans l'opinion, sans programme économique après un humiliant renoncement aux baisses d'impôts, Liz Truss avait déjà dû se priver de deux de ses plus importants ministres, se voyait lâchée par ses soutiens et par la presse. Elle avait beau assurer qu'elle voulait rester en place, son maintien à Downing Street ne tenait plus qu'à un fil. Fil rompu le 20 octobre, le lendemain de la démission de Piri Patel, sa ministre de l'Intérieur.

Début septembre 2022, pourtant, Liz Truss avait recueilli 81 326 voix (57%) contre 60 399 pour son rival (43%), selon les résultats communiqués par Graham Brady, responsable de l'organisation du scrutin.
"Je suis honorée d'être élue cheffe du Parti conservateur. Merci de me faire confiance pour diriger et livrer pour notre grand pays. Je prendrai des mesures audacieuses pour nous permettre à tous de traverser ces moments difficiles, de développer notre économie et de libérer le potentiel du Royaume-Uni" postait sur son compte Twitter la nouvelle Première ministre britannique peu après l'annonce de sa victoire.
 

Une popularité à gagner

L'ancienne ministre des Affaires étrangères n'était pourtant pas en tête de liste, et sa qualification en juillet dernier au détriment de la favorite Penny Mordaunt, la ministre des Affaires étrangères et ministre des Femmes et des Egalités a plutôt surpris. Après des débuts cahoteux, celle qui devait succéder à Boris Johnson a finalement réussi à convaincre les adhérents du parti conservateur de la choisir elle, plutôt que son ancien collègue des Finances Rishi Sunak, pourtant donné gagnant au début de la course. 
Les adhérents du Parti conservateur britannique étaient appelés à voter depuis le 1er août 2022 pour choisir le futur ou la future chef-fe du gouvernement. Liz Truss, qui promettait des baisses d'impôts massives, a vu, semaine après semaine, les ralliements se multiplier. 


Mais face à l'explosion du coût de la vie, et à de nombreux mouvements de grève à travers le Royaume Uni, notamment dans les transports, sa tâche ne s'annonçait pas facile. 52% des Britanniques estimaient qu'elle serait une mauvaise voire très mauvaise Première ministre, selon un récent sondage YouGov.

"Dans un parti qui a évolué vers le populisme, elle (Liz Truss) a su se présenter de manière plus authentique, plus ordinaire que Rishi Sunak qui se retrouve facilement assimilé à l'élite mondialisée", confiait Tim Bale, professeur à l'université Queen Mary de Londres à l'AFP. "Elle arrive facilement à porter des messages conservateurs traditionnels", ajoutait John Curtice, politologue à l'université de Strathclyde.

"Renverser l'orthodoxie économique"

Pour le ministre des Finances Nadhim Zahawi, dans un entretien publié dans les colonnes du Daily Telegraph, Liz Truss allait "renverser l'orthodoxie économique éculée et diriger notre économie d'une manière conservatrice". Il rejoignait des rangs déjà bien garnis, avec l'ancien ministre chargé de l'Irlande du Nord Brandon Lewis, le député candidat malheureux à la tête du parti Tom Tugendhat, et surtout le ministre de la Défense Ben Wallace, très respecté au sein du parti conservateur, qui avait mis en avant son "expérience" en temps de guerre en Ukraine. 

Alors qu'elle avait paru rigide et peu à l'aise lors de certains débats dans les premières phases de la compétition, elle semblait plus détendue et plus assurée au fil des entretiens, même si Rishi Sunak comptait sur ses facilités oratoires pour rattraper son retard. Fin juillet, elle sortait renforcée du premier d'une série de 12 grands oraux face aux militants conservateurs.


Sur l'Ecosse et sa Première ministre, elle a tenu des propos applaudis par son parti, mais jugés méprisants par beaucoup d'Ecossais : "Je crois vraiment que nous sommes une famille et que nous sommes mieux ensemble et je pense que la meilleure chose à faire avec Nicola Sturgeon est de l'ignorer, déclarait-elle à Exeter. "Elle cherche à attirer l'attention", poursuivait-elle, estimant qu'il fallait "montrer aux gens en Ecosse, en Irlande du Nord et au Pays de Galles que nous tenons nos engagements pour eux et que nos politiques s'appliquent dans tout le Royaume-Uni". A la question d'un nouveau référendum sur l'indépendance, Liz Truss a répété trois fois "non".

L'effet Thatcher

Comme Margaret Thatcher, la "Dame de Fer" qui fut Première ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990, Liz Truss est une championne du libre-échange, qui voulait incarner l'essence du conservatisme britannique. "J'ai un programme économique clair pour diriger notre parti et optimiser le potentiel de notre grand pays", affichait-elle sur les réseaux sociaux :

Dans son clip de campagne, elle réitérait sa capacité à "diriger, tenir ses promesses et prendre des décisions difficiles". Elle assurait avoir "une vision claire de ses objectifs, et l'expérience et la détermination pour y arriver" :

Ministre des Affaires étrangères

A ce poste depuis la rentrée 2021, Elizabeth Truss avait fait parler d'elle en posant en chapka sur la place rouge, lors d'un voyage à Moscou destiné à tenter de dissuader Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine. Une pose qui rappelait celle de Margaret Thatcher, des années plus tôt, dans le même cadre. Les parallèles sont nombreux, et faciles, entre les deux "dames de fer" que quatre décennies séparent.


Outre les railleries suscitées par ces photos, le voyage à Moscou d'Elizabeth Truss s'était soldé par un fiasco diplomatique. Elle s'est surtout fait piéger par son homologue russe Sergueï Lavrov en affirmant qu'elle ne reconnaîtrait "jamais" la souveraineté de Moscou sur deux villes russes proches de l'Ukraine, Rostov et Voronezh, dont l'appartenance à la Russie n'a jamais été contestée. Deux semaines plus tard, la Russie envahissait l'Ukraine. Depuis, aux côtés de Boris Johnson, Elizabeth Truss incarnait le soutien massif du Royaume-Uni à l'Ukraine, notamment grâce à des sanctions économiques d'une ampleur inédite.

Truss et Lavrov
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, et son homologue britannique, Elizabeth Truss, en conférence de presse après leurs entretiens à Moscou, en Russie, le 10 février 2022. 
©Service de presse du ministère russe des Affaires étrangères via AP

Le visage de l'après-Brexit

En 2021, Liz Truss devenait la deuxième femme à accéder au poste de ministre des Affaires étrangères. Une consécration, même si sa nomination a également été lue comme une manière, pour Boris Johnson, d'essayer de  brider les ambitions de cette figure montante du parti. Restée loyale jusqu'au bout au Premier ministre sortant, elle n'a pas réussi à trouver le délicat équilibre pour tirer profit du travail accompli ces derniers mois sans faire figure d'héritière directe de Boris Johnson.

Dès son arrivée au pouvoir, en juillet 2019, Boris Johnson confie à Elizabeth Truss, qui lui doit son surnom "Liz", le portefeuille du Commerce extérieur. A ce poste, qui lui permet de se familiariser avec les circuits diplomatiques, elle devient le visage des négociations commerciales de Londres d'après-Brexit. Un changement de bord pour celle qui avait défendu le maintien dans l'Union européenne lors du référendum de 2016 – avant de changer d'avis, disant voir des opportunités économiques dans le Brexit. 

Elle s'est illustrée par son attitude d'abord conciliante, puis intransigeante face à l'Union européenne dans les délicates négociations sur les dispositions post-Brexit concernant la province britannique d'Irlande du Nord. Par ailleurs, elle s'attelle à nouer de nouvelles alliances de libre-échange et conclut des accords avec le Japon, l'Australie ou encore la Norvège. Pour certains de ses détracteurs, ces accords ne font que réintroduire des avantages perdus avec la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Mais Elizabeth Truss d'échouer à conclure le grand accord commercial avec les Etats-Unis, espéré par Londres. 

truss motegi
Liz Truss, alors secrétaire d'État au Commerce international, et le ministre japonais des Affaires étrangères, Toshimitsu Motegi, le 23 octobre 2020. Le Japon et la Grande-Bretagne ont signé le premier accord de libre-échange bilatéral post-Brexit, portant sur les droits de douane dans l'alimentaire et l'automobile.
©Kimimasa Mayama/Pool Photo via AP

De l'Environnement au Trésor, en passant par la Justice

Aujourd'hui mariée et mère de deux filles, "Liz n'a pas peur de dire ce qu'elle pense, et croit que délivrer les gens d'une paperasserie pesante pour lancer et faire croître des entreprises est la clé de l'avenir économique", peut-on lire sur son site internet. Après une dizaine d'années dans le privé, notamment comme directrice commerciale, elle est d'abord conseillère locale dans le sud-est de Londres puis devient députée en 2010, pour la circonscription de South West Norfolk, dans l'est de l'Angleterre.

En 2012, elle entre au gouvernement et enchaîne depuis les portefeuilles, d'abord secrétaire d'Etat à l'Education, puis ministre de l'Environnement de 2014 à 2016 – elle est alors moquée pour un discours où elle s'indigne que le Royaume-Uni importe la plupart des pommes et fromages qu'il consomme. Nommée par Teresa May, elle devient aussi la première femme ministre de la Justice, puis secrétaire en chef du Trésor.

Ministre des Femmes et de l'Egalité

En septembre 2021, Liz Truss, promue ministre des Affaires étrangères lors du remaniement ministériel de Boris Johnson, conservait son rôle de ministre des Femmes et de l’Égalité. Une fonction qu'elle assumait depuis deux ans, à la suite de la démission d'Amber Rudd, mais de toute évidence sans vraiment l'incarner. Le journal britannique The Guardian citait alors un sondage YouGov : 93% des personnes interrogées ne connaissaient pas le nom de leur ministre des femmes et de l'égalité des chances.

Dans The Guardian, la présidente d'un groupe de députés reprochait à Liz Truss d'assumer son rôle de ministre des femmes et de l'égalité des chances comme une "activité secondaire". Un rapport de la Commission des femmes et de l'égalité des chances accablait alors le gouvernement, accusé de mettre de côté la lutte pour l'égalité, et pointait le risque de "régression en matière d'égalité des droits après des décennies de progrès".

J'ai une vision particulière de ce que signifie l'égalité.

Elizabeth Truss

De son côté, Liz Truss défend une autre conception de la "lutte pour l'équité" et explique sa "vision particulière de ce que signifie l'égalité". Sur le site politicshome, elle exprime son ras-le-bol des politiques qui "ghettoïsent les femmes" et la nécessité d'intégrer de la flexibilité au travail dans la relance économique post-pandémie.

Une enfance à gauche

Elizabeth Truss est née le 26 juillet 1975 à Oxford dans une famille "très à gauche".  Sa présence dans les rangs conservateurs est loin d'aller de soi : Liz Truss a grandi dans un milieu très à gauche. A la prestigieuse université d'Oxford, dont elle est diplômée en politique et économie, elle préside le groupe des europhiles libéraux-démocrates, un temps partisans d'un second référendum sur le Brexit. Sur le campus, elle militera même pour l'abolition de la monarchie. "Une erreur", comme elle l'a reconnue l'été dernier lors d'un meeting conservateur, qu'elle qualifie de "mésaventure d'adolescente". 

Ma philosophie personnelle, c'est de donner aux gens l'opportunité de prendre leurs propres décisions.

Elizabeth Truss au quotidien The Guardian

De son propre aveu, Elizabeth Truss provoque la stupeur de ses parents – un père professeur universitaire de mathématiques et une mère militante pour le désarmement nucléaire, qu'elle accompagne, enfant, à des manifestations – en se positionnant en fin de compte franchement à droite. Les tories, dont elle devient rapidement une étoile montante, conviennent mieux à cette partisane d'une faible taxation. "Ma philosophie personnelle", confie-t-elle un jour au quotidien The Guardian, "c'est de donner aux gens l'opportunité de prendre leurs propres décisions".