Article original paru dans le Temps en janvier 2014, reproduit ici grâce à un partenariat avec TV5MONDE.com Mirsada, Karima, Fatiha et Kashka ont toutes une douleur en commun. Condamnées, elles sont incarcérées à la prison vaudoise de La Tuilière et ont un ou plusieurs enfants qui grandissent ainsi sans leur mère. La caméra de
Britta Rindelaub a filmé le quotidien de ces femmes pour qui la séparation ajoute une souffrance supplémentaire à la privation de liberté.
"Loin des yeux", documentaire de 77' projeté en salles, plonge avec justesse dans les déchirements vécus par ces détenues. Certaines préfèrent mentir et ne pas voir leur enfant plutôt que de le faire venir au parloir. D’autres feraient tout pour passer un moment avec lui mais ne le peuvent pas. Chacune, à sa manière, essaye de préserver ce qui peut l’être. Petits ou grands, les proches de détenus subissent également une peine qui ne leur était pas destinée. Cette réalité, Viviane Schekter, psychologue de formation et directrice de
Relais Enfants Parents Romands (REPR), ne la connaît que trop bien.
Comment expliquer la détention d’un père ou d’une mère? Que faire pour maintenir les liens avec les proches? Entretien croisé à l’occasion de la sortie du documentaire, filmé dans une prison vaudoise, et coproduit par la RTS.
Le Temps: Beaucoup de femmes préfèrent cacher leur incarcération à leur enfant. Pourquoi ?
Britta Rindelaub: En investiguant sur cette thématique, j’ai d’emblée constaté à quel point la prison est vécue comme quelque chose de stigmatisant. La détenue veut aussi protéger l’enfant et a de la peine à comprendre qu’il imaginera souvent le pire s’il ne sait pas la vérité. Il y a la crainte qu’il soit marqué par une visite au parloir et qu’il garde pour toujours le souvenir de cette situation.
– Il vaut donc mieux en parler ?
Viviane Schekter: Dire la vérité aux enfants est clairement préférable. Notre association propose aux mères ou aux pères détenus de les accompagner dans cette réflexion en leur donnant les informations sur les effets possibles du secret. Je me rappelle cette fillette qui pensait que son père était mort. Elle n’avait pas de nouvelles de lui et voyait sa mère pleurer. D’autres imaginent que le parent détenu les a abandonnés, ils se replient sur eux-mêmes, dépriment. Notre travail est de faire que cet enfermement soit vécu comme une séparation et non pas comme une rupture.
– Et les visites ?
B. R.: J’ai vu le cas d’un enfant né en prison et qui a ensuite été placé en famille d’accueil à ses 18 mois. Vers l’âge de 5 ans, il a commencé à avoir des problèmes d’anxiété et à imaginer des choses terribles. Le directeur l’a autorisé à voir l’intérieur de la cellule. Il a réalisé que sa mère dormait avec un édredon, qu’elle pouvait regarder la télévision. Cela l’a beaucoup rassuré.
– Le tournage a-t-il été difficile ?
B. R.: Je voulais faire un documentaire sur les enfants nés en prison, mais il y a peu de cas en Suisse romande. J’ai donc approché les détenues qui sont mères. Cela représente environ 60% des femmes incarcérées à La Tuilière. Beaucoup d’entre elles ne voulaient pas témoigner à visage découvert. D’autres ont accepté et je suis devenue en quelque sorte leur visiteuse la plus assidue. J’avais la clé du secteur des condamnées et je pouvais me déplacer à ma guise. J’ai en revanche renoncé à filmer les parloirs. Cela posait trop de problèmes aux autres personnes présentes, aux familles et aux enfants qui auraient pu être reconnus.
– Les pères détenus sont-ils aussi très concernés par la séparation ?
V. S.: Ils sont très concernés et sont beaucoup plus nombreux. Les enfants souffrent tout autant de la détention d’un père même si on a un peu l’habitude de dire que c’est moins grave. Il n’existe pas de chiffre sur l’ampleur du phénomène. La Suisse est toutefois appelée en janvier à passer un examen devant le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Il y a une question sur le nombre de mineurs qui ont un parent en prison et sur les mesures proposées pour éviter la stigmatisation.