A l'ONU, Emma Watson lance un appel à ces hommes, féministes qui s'ignorent

L'organisation internationale lance HeForShe une campagne pour l'égalité entre les sexes. Elle s'adresse aux hommes décidés à soutenir le combat des femmes pour leurs droits. Une approche qu'épouse l'actrice Emma Watson, ambassadrice de Onu-Femmes. Ce qui lui a valu une ovation debout et unanime de la 69ème Assemblée générale des Nations Unies.
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A l'ONU, Emma Watson lance un appel à ces hommes, féministes qui s'ignorent
Emma Watson aux côtés de Ban Ki-moon, le 20 septembre 2014, à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies - Photo AFP
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La 69ème Assemblée générale des Nations Unies s'est ouverte le 16 septembre 2014 pour s'achever le 30 septembre. C'est l'occasion pour les représentants des Etats membres de discuter des maux du monde et de former des voeux. Comme celui, année après année, de parvenir à l'égalité entre les sexes. Et pour cela de s'adresser à la partie dominante (mains minoritaire en nombre) de l'inégalité, c'est à dire aux hommes.

En lançant, le 20 septembre, la campagne HeForShe (LuiPourElle), l'organisation internationale espère rallier toutes les bonnes volontés masculines à cette cause. Parce que si la planète reste peuplée ça et là d'irréductibles ennemis des femmes, d'autres agiraient pour cette égalité là, si seulement ils comprenaient que l'émancipation des femmes oeuvrait à leur propre bien-être. Comme le montre la formidable expérience des "écoles de maris" au Niger. Tandis que certains agissent déjà, intuitivement, faisant - tel Monsieur Jourdain dans  le Bourgeois Gentilhomme de Molière, de la prose sans le savoir -, du féminisme en l'ignorant.

La profession de foi de la campagne propose aux signataires éventuels : "L’égalité des sexes n’est pas une problématique exclusivement féminine, c’est une question humaine nécessitant ma participation. Je m’engage à agir pour mettre fin à toutes les formes de discrimination auxquelles les femmes et les filles sont confrontées." Un texte lu et approuvé des deux mains par Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies, Barack Obama, président des Etats-Unis, et Brad Pitt, acteur célébrissime de son état. Comme Emma Watson, 24 ans.

C'est elle, qui le 20 septembre, a donné le coup d'envoi de cette initiative inédite. Nommée en juillet 2014 ambassadrice de (très) bonne volonté d'Onu-Femmes, l'une des entités des Nations Unies, elle a relayé cet appel au "1er" sexe, à sa manière, personnelle, et très inspirée. Parce que le mot féminisme, qu'elle revendique, ne doit plus désunir et être synonyme de haine des hommes, mais unir.

Nous avons choisi de livrer la traduction de l'intégralité de son discours.

L'égalité, c'est aussi votre affaire

traduit par Sylvie Braibant
"Aujourd'hui nous lançons une campagne appelée HeForShe.

Je vous tends la main, parce que j'ai besoin de votre aide. Nous voulons mettre fin à l'inégalité sexuelle - et pour cela nous avons besoin que tout le monde soit engagé dans ce combat.

C'est la première campagne de ce genre menée par les Nations Unies : nous voulons essayer et nous voulons galvaniser autant d'hommes et de garçons qu'il est possible afin qu'ils deviennent les avocats de l'égalité entre les sexes. Et nous ne voulons pas seulement en parler, nous voulons faire en sorte que cela devienne une réalité.

J'ai été nommée voilà six mois et, depuis, lorsque j'ai parlé du féminisme, j'ai réalisé que le combat pour les droits des femmes devenait trop souvent synonyme de la haine des hommes. Si je suis certaine d'une chose, c'est que cela doit s'arrêter.

Pour mémoire, le féminisme est par définition : "La certitude que hommes et femmes doivent avoir des droits et des possibilités égales. C'est l'aspiration théorique de l'égalité entre les sexes, politique, économique et sociale."

J'ai commencé à me poser des questions à propos des a priori fondés sur le genre : quand à huit ans, je ne comprenais pourquoi on me qualifiait "d'autoritaire" lorsque je voulais diriger les jeux, tandis que lorsque les garçons le voulaient cela semblait normal.

Quand à 14 ans, j'ai commencé à être définie sexuellement par les magazines.

Quand à 15 ans, mes copines ont commencé à quitter leurs équipes de sport parce qu'elles ne voulaient pas apparaître trop musclées.

Quand à 18 ans, mes amis garçons étaient incapables d'exprimer leurs sentiments.

J'ai alors décidé que j'étais féministe et cela me semblait aller de soi. Mais mes quêtes récentes me montrent que le féminisme est devenu un terme impopulaire.

Apparemment je me retrouve dans les rangs des femmes dont l'expression est vécue comme trop forte, agressive, isolante, anti-hommes et repoussante.

Pourquoi ce mot semble-t-il si dissonant ?

Je viens de Grande Bretagne et je pense que j'ai le droit droit, comme femme, d'être payée à l'égal d'un homme, pour un même travail. Je pense que j'ai le droit comme femme de décider de tout ce qui concerne mon corps. Je pense que j'ai le droit comme femme d'être associée, à parité, aux décisions politiques de mon pays. Je pense que j'ai le droit comme femme d'être traitée avec autant de respect qu'un homme. Mais je dois dire tristement, qu'il n'y a pas un pays au monde où toutes les femmes peuvent compter sur ces droits.

Aucun pays au monde ne peut dire qu'il est arrivé à l'égalité réelle entre les sexes.

Ces droits sont pour moi des droits humains mais je suis l'une des rares chanceuses à en bénéficier. Ma vie est celle d'une privilégiée parce que mes parents ne m'ont pas moins aimée parce que j'étais née fille. Mon école ne m'a pas entravée parce que j'étais une fille. Mes mentors ne m'ont pas fait croire que j'irai moins loin dans ma carrière parce que je devrais enfanter un de ces jours. Ces personnes sur mon chemin étaient les ambassadeurs de l'égalité entre les sexes qui ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Ils ne le savent pas, mais ils sont des féministes qui s'ignorent. Et nous avons besoin de beaucoup d'autres comme eux. Et si vous continuez à détester ce mot - comprenez que ce n'est pas le mot qui est important mais les idées et les aspirations qu'il véhicule. Parce que toutes les femmes n'ont pas eu la chance de disposer des mêmes droits que moi. En fait, statistiquement, nous sommes très peu nombreuses.

En 1995, Hillary Clinton a prononcé un discours resté fameux, à Pekin (lors de 4ème conférence pour les femmes, ndlr), au sujet des droits des femmes. Malheureusement, beaucoup des choses qu'elle voulait changer sont toujours bien à l'oeuvre aujourd'hui.

Mais ce qui m'a impressionnée alors, c'est qu'il y avait moins d'un tiers d'hommes dans son auditoire. Que pouvons-nous espérer changer à l'humanité si seule une moitié est invitée ou pense être bienvenue à nos échanges.

Messieurs, je voudrais profiter de l'occasion pour vous envoyer une invitation formelle. L'égalité entre les sexes est votre affaire à vous aussi. Parce qu'à ce jour, j'ai vu le rôle de mon père déprécié par la société alors même que j'avais plus besoin, enfant, de lui que de ma mère.

J'ai rencontré de jeunes hommes atteints de dépression, incapables de demander de l'aide, parce qu'ils avaient peur que cette appel les fasse apparaître comme moins machos - et au Royaume Uni, le suicide est la première cause des décès des hommes entre 20 et 50 ans, loin devant les accidents de la route, les cancers ou les crises cardiaques. J'ai vu des hommes devenir fragiles par une incompréhension de ce qui constitue le succès masculin. Les hommes non plus ne bénéficient pas de l'égalité.

Nous ne parlons pas souvent des hommes enfermés dans les stéréotypes de genre mais je peux voir quand ils en sont prisonniers ou quand ils s'en sont libérés.

Si les hommes n'ont pas à être agressifs pour être acceptés par des femmes qui ne se sentent pas obligées d'être soumises. Si les hommes n'ont pas à se mettre sous contrôle, les femmes ne seront pas contrôlées.

Ensemble hommes et femmes devraient se sentir libres de leurs émotions. Ensemble homme et femmes devraient se sentir libres d'être forts… Il est temps que nous tous percevions le genre comme un nuancier et pas comme une opposition.

Si nous cessions de nous définir les uns les autres par ce que nous ne sommes pas mais commencions par le faire au nom de ce que nous sommes - nous serions tous plus libres et c'est précisément ce que propose HeForShe. La liberté.

Je veux que les hommes s'approprient ce devoir. Et ainsi leurs filles, leurs soeurs, leurs mères seront indemnes de maltraitances, mais aussi leurs fils pourront s'avouer vulnérables et humains - se ré-appropriant la part d'eux-mêmes qu'ils ont abandonnée, et cela afin de se construire une identité plus vraie et complète.

Vous devez vous demandez : mais qui est donc cette sorte de Harry Potter fille (Emma Watson a incarné Hermione Granger - héroïne "féministe", dans la série filmique des Harry Potter, ndlr)? Et que fait-elle donc là, sur l'estrade des Nations Unies ? C'est une bonne question, et croyez le, je me la pose moi-même. Je ne sais pas si je suis qualifiée pour être ici. Tout ce que je sais c'est que cette question m'interpelle. Et que je veux que ce soit mieux.

Et ayant vu ce que j'ai vu, je sens qu'il est de mon devoir de dire quelque chose. L'homme d'Etat anglais Edmund Burke (conservateur du 18ème siècle, ndlr) a dit : "Tout ce qu'il y a à faire pour que les forces du mal triomphent c'est qu'il y ait suffisamment d'honnêtes hommes et femmes qui ne fassent rien."

Dans les moments d'anxiété précédant ce discours, et de doute, je me suis dit : si ce n'est pas moi, alors qui, si ce n'est pas maintenant, alors quand ? Si vous êtes traversés de doutes similaires lorsque les occasions se présenteront, j'espère que ces mots vous aideront.

Parce qu'en réalité si nous ne faisons rien, cela prendra 75 ans, et j'aurai presque cent ans, avant que les femmes puissent espérer être rémunérées comme les hommes. 15 millions et demi de petites filles seront mariées encore enfants durant les 16 prochaines années, Et au rythme où nous allons, ce n'est pas avant 2086 que les petites Africaines des zones rurales pourront espérer recevoir une éducation secondaire.

Si vous croyez dans l'égalité, vous devrez être l'un des féministes par inadvertance dont je parlais auparavant.

Et pour cela je vous applaudis.

Nous nous battons pour un mot unificateur mais la bonne nouvelle c'est que nous disposons déjà d'un mouvement unitaire. Cela s'appelle HeForShe. Je vous invite à monter une marche supplémentaire, à être vu et à prendre la parole, à être le Il pour Elle. Et à vous demander - si ce n'est pas moi, qui, et si pas maintenant, quand.

Merci"

Le discours, en vidéo et en anglais, de Emma Watson aux Nations Unies