Fil d'Ariane
Malgré les récompenses nombreuses accordées au film de Nabil Ayouch, de festival en festival, malgré les critiques louangeuses et le succès en salles partout dans le monde, le réalisateur et les acteurs de Much Loved restent la cible d'insultes et de menaces au Maroc. C'est que la prostitution, indissociable de l'industrie du tourisme reste un sujet tabou au royaume chérifien.
Relire le coup de colère de la féministe et militante des droits humains Ibtissame Betty Lachgar, après la censure du film, dans Terriennes :
> "La prostitution existe bel et bien, à Marrakech comme dans d’autres villes du royaume"
Dernier épisode de cette détestation marocaine suscité par Much Loved, l'agression dont a été victime Loubna Abidar, actrice principale de cette oeuvre vilipendée. Le film suit le parcours de Noha, Randa, Soukaina et Hlima, quatre prostituées de Marrakech. Sur les écrans français depuis septembre, il devait sortir en salles au Maroc à l'automne, mais avait été interdit préventivement, en mai, après sa projection lors du Festival de Cannes, par le gouvernement marocain qui avait évoqué "un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine". Les censeurs ne l'avaient pourtant pas vu… Cela ne l'empêche pas de poursuivre sa tournée : le voici en compétition aux Journées cinématographiques de Carthage, en Tunisie, premier Etat arabe à le projeter.
La comédienne, qui avait déjà reçu des menaces pour avoir joué dans ce film traitant de la prostitution au Maroc, avait décidé de contre attaquer en publiant sur les réseaux sociaux des photos de cette agression survenue le 5 novembre au coeur de la capitale économique du Maroc, et une vidéo où elle apparaît avec le visage tuméfié. Elle accuse médecins et policiers de l'avoir envoyer promener.
Cette agression n'a cependant pas pu être confirmée par des sources officielles au Maroc, ajoute prudente l'Agence France Presse, et la police marocaine a décidé de porter plainte pour diffamation. En mai dernier, juste après le festival de Cannes, Youssef A. un autre acteur du film qui jouait le rôle d'un touriste saoudien avait prétendu avoir été attaqué au couteau, alors qu'il avait finalement confessé qu'il s'agissait d'une simple bagarre entre voisins…
Loubna Abidar, quant à elle, a décidé de s'exiler. Elle est arrivée dimanche 8 novembre à Paris, où, quatre jours plus tard, elle publiait, dans les colonnes du Monde, une tribune virulente et triste à la fois. En voici quelques extraits :
Tous les jours, je lis que je suis la honte des femmes marocaines
"Le film a été sélectionné à Cannes. J’y étais, c’était magique. Mais dès le lendemain de sa présentation, un mouvement de haine a démarré au Maroc. Un ministre qui n’avait pas vu le film a décidé de l’interdire avant même que la production ne demande l’autorisation de le diffuser. Much Loved dérangeait, parce qu’il parlait de la prostitution, officiellement interdite au Maroc, parce qu’il donnait la parole à ces femmes qui ne l’ont jamais. Les autorités ont déclaré que le film donnait une image dégradante de la femme marocaine, alors que ses héroïnes débordent de vie, de combativité, d’amitié l’une pour l’autre, de rage d’exister. Et une campagne de détestation s’est répandue sur les réseaux sociaux et dans la population. Personne n’avait encore vu le film au Maroc, et il était déjà devenu le sujet numéro un de toutes les discussions. La violence augmentait de jour en jour, à l’encontre de Nabil « le juif » (sa mère est une juive tunisienne) et à mon encontre. Je dérangeais à mon tour, parce que j’avais le premier rôle, parce que j’en étais fière, et parce que je prenais position ouvertement contre l’hypocrisie par des déclarations nombreuses. (.../...)
On m’insulte parce que je suis une femme libre
Tous les jours, je lis que je suis la honte des femmes marocaines. Chaque semaine, je reçois des menaces de mort. J’ai encore des amis et des proches pour me soutenir, mais beaucoup se sont détournés de moi. Pendant des semaines, je ne suis pas sortie de chez moi, ou alors uniquement pour des courses rapides, cachée sous une burqa (quel paradoxe, me sentir protégée grâce à une burqa…).
Au fond, on m’insulte parce que je suis une femme libre. Et il y a une partie de la population, au Maroc, que les femmes libres dérangent, que les homosexuels dérangent, que les désirs de changement dérangent. Ce sont eux que je veux dénoncer aujourd’hui, et pas seulement les trois jeunes qui m’ont agressée…"