Fil d'Ariane
Tout de blanc vêtue, elle a illuminé la place de la Concorde lorsque sa voix s'est élevée dans le ciel rougeoyant de Paris au soir de la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques de Paris. Malvoyante de naissance, la chanteuse et pianiste lyrique Luan Pommier a interprété L’hymne de l’Avenir. Entretien.
Luan Pommier, 25 ans, lors de sa prestation durant la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques de Paris, le 28 août 2024.
"Dès que je suis sur scène, cette histoire de handicap, c’est quelque chose que j’oublie. Dès que la musique est là, le handicap importe peu", aime-t-elle dire dans les médias.
Soprano et musicienne, malvoyante depuis la naissance, Luan Pommier a le don de l’oreille absolue. Elle est prix coup de cœur du jury au concours Voix des Outre-mer en 2020 et diplômée de la prestigieuse école de musique américaine Berklee de Boston ; ses compositions, sa voix et sa musicalité lui valent un large succès sur la scène internationale.
Côté grand public, elle s'est fait connaître en participant à l'émission La France a un incroyable talent, il y a quatre ans. L'un des membres du jury, Éric Antoine, l'avait alors qualifiée de "diamant brut".
Un diamant qui a brillé de mille feux mercredi 28 août 2024 lorsque la chanteuse de 24 ans a interprété l'hymne officiel des Jeux paralympiques de Paris, Place de la Concorde, devant des millions de téléspectateurs.
En 1999, elle voit le jour dans une famille de musiciens en Guadeloupe. Peu à peu, sa maman, Lucette, s'inquiète pour ses yeux, et craint des troubles de la vision. Elle va devoir l'emmener chez de nombreux spécialistes avant que le diagnostic tombe, tel un couperet. Luan est atteinte d’une maladie génétique rare, l'amaurose congénitale de Leber, une maladie évolutive entraînant une malvoyance profonde.
Pour l'aider à combler sa déficience visuelle, ses parents vont la faire grandir en musique. En autodidacte, la petite Luan apprend le piano dès ses 3 ans, joue de la flûte, de la guitare, de la batterie, du violon, du gros-ka (percussion guadeloupéenne), de l’harmonica. La fillette va suivre des cours de chant et développer une sensibilité musicale hors du commun.
En 2014, elle est nommée ambassadrice de bonne volonté à l’UNESCO pour les enfants en situation de handicap. En 2015, elle participe à The voice kids. Huit ans plus tard, elle retrouve les caméras de télévision sur le plateau de la célèbre émission La France a un incroyable talent. Pour sa première prestation, elle choisit d'interpréter Empire state of mind, d'Alicia Keys. Le jury est sous le charme. Elle ira jusqu'en finale.
L'année suivante, c'est aux Etats-Unis que la musicienne va peaufiner sa formation en rejoignant la prestigieuse école de musique de Berklee, à Boston, où elle apprend le jazz.
"Je suis malvoyante mais grâce à la musique, cette contrainte est devenue passive", déclarait la jeune femme après avoir obtenu le prix du jury du concours Voix des Outre-mer, en 2019.
Pour revenir à la cérémonie d'ouverture des Jeux de Paris 2024. Comment avez-vous vécu ce moment ?
Luan Pommier : C'était un moment absolument formidable, très fort, c'était absolument incroyable de chanter l'hymne paralympique, l'hymne de l'avenir. Il y avait vraiment beaucoup d'amour, énormément d'amour, mais surtout, en fait, de l'humain.
Vous êtes chanteuse lyrique soprano. Pour les profanes, ça veut dire quoi ?
Moi, je me vois plus souvent comme vocaliste, puisque l'aspect de la chanteuse lyrique soprano, c'est une facette de moi-même, de tout ce qui peut être fait avec la voix. Et lyrique, c'est une voix qu'on entend dans les opéras, dans la musique classique. Et c'est toujours une voix qui est haut perchée, qui résonne et qui, la plupart du temps, va au-dessus d'un orchestre. On n'a pas nécessairement de micro dans une salle d'opéra, où les chanteurs vont vraiment jouer le jeu et chanter devant un orchestre.
Est-ce que ça veut dire que vous explorez d'autres styles, voire tous les styles ?
Exactement. C'est vraiment mon but, en tant que musicienne, d'être polyvalente dans tous les sens du terme.
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Vous êtes malvoyante à cause d'une maladie génétique. Vous n'avez pas les yeux, mais les oreilles vont très bien. On dit d'ailleurs que vous avez une oreille absolue. Ça veut dire quoi ?
L'oreille absolue, c'est quelque chose qu'ont beaucoup de musiciens, qui permet justement d'analyser musicalement tout ce que l'on entend.
Quand j'étais petite, la musique était mon premier moyen de communication. Et ça le reste encore, en fait. Luan Pommier
Vous avez grandi en Guadeloupe. Vous avez une formation de pianiste. Est-ce que vous diriez que la musique vous a aussi... peut-être pas sauvé la vie, mais en tout cas mise sur une trajectoire ?
Oui, je dirais tout simplement que la musique m'a sauvée. Il faut le dire. C'est une vérité. Je suis issue d'une famille de musiciens, mais il faut surtout dire que c'est énormément de travail. Quand j'étais petite, la musique était mon premier moyen de communication. Et ça le reste encore, en fait. Donc c'est assez particulier.
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Pour revenir aux Jeux paralympiques, quel lien y a-t-il entre une chanteuse comme vous et les parasportifs, dans cette manière de se dépasser, malgré le handicap ?
Cette situation de handicap, que je n'ai pas choisie, reste toujours une force, même si c'est quelque chose que je ne considère pas en tant qu'artiste. Parce que pour moi, c'est l'art qui prime. Ce n'est pas quelque chose que je vais nécessairement mettre en avant ; je vais plutôt laisser la musique parler et considérer le handicap comme une force, mais surtout comme quelque chose de personnel.
C'est vraiment quelque chose que j'encourage. Je veux dire aux gens, justement, de ne pas penser aux personnes en situation de handicap comme des aliens, tout simplement. Luan Pommier
Mon moyen d'expression, c'est la musique, c'est l'art. Mais je suis toujours là pour défendre ces causes, pour défendre ce que les personnes en situation de handicap ont à dire. En étant une, c'est quand même mon devoir.
C'est vraiment quelque chose que j'encourage. Je veux pour dire aux gens, justement, de ne pas penser aux personnes en situation de handicap comme des aliens, tout simplement. Nous sommes humains. Je ne veux pas qu'on pense à moi comme à une personne malvoyante ou quoi que ce soit, mais pour qu'on écoute ma musique, par pitié ! Je suis artiste !
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