La guerre peut faire ressortir le pire de la haine en nous, mais elle peut aussi mettre en lumière des aspects éclatants, comme notre forte volonté et notre décision d'aider les autres. Depuis le début de la guerre au Yémen, de nombreux jeunes ont tenté de fuir le pays. En effet, il n'y a pas grand-chose pour inciter un jeune homme ou une jeune femme à rester, sous la menace des bombes, avec pour compagnes la peur, l'insécurité, l'absence de revenus, la rareté des produits et services de première nécessité, comme l'électricité et le gaz.
Les choses peuvent sembler un peu moins sombres pour ceux qui peuvent se permettre d'acheter des panneaux solaires afin de faire fonctionner les appareils ménagers, mais la souffrance reste le lot quotidien de ceux qui ne peuvent se permettre une telle solution - et ils sont la majorité.
Ceux qui sont suffisamment riches ont fui. Pourtant ce n'est pas ce que Laila a fait.
En Jordanie, j'ai mené une vie confortable de travail, en gagnant de l'argent et en faisant du shopping. Pourtant, je n'étais pas heureuse. Je me sentais même inutile, alors j'ai décidé de retourner au Yémen et d'y travailler
Laila Anaam
Laila Anaam est une jeune femme issue d'une famille fortunée, diplômée de l'Université américaine du Caire. Cependant, plutôt que de quitter le pays à la recherche d'autres opportunités, elle a choisi de rester pour trouver le bonheur en rendant les autres heureux.
"Au début de la guerre au Yémen en 2015, mes parents et moi avons quitté le pays pour la Jordanie. J'y ai trouvé un emploi et nous avons mené une vie confortable de travail, en gagnant de l'argent et en faisant du shopping. Pourtant, je n'étais pas heureuse. Je me sentais même inutile, alors j'ai décidé de retourner au Yémen et d'y travailler", dit-elle.
Ouvrière et entrepreneure, unies pour un même but

C'est ainsi que Laila, 30 ans, gère aujourd'hui un projet financé par des organismes locaux et internationaux destiné à garantir des prêts pour venir en aide à de petites entreprises yéménites.
Leila tient un blog sur ce projet, au sein du site Web de la Banque mondiale et c'est ainsi que je l'ai connue. Elle y raconte l'histoire d'une femme prénommée Maryam, ce qui m’a conduit à contacter Leila car je voulais écrire une histoire sur cette Maryam.
Mais après lui avoir parlé, j'ai fini par décider d'écrire sur toutes les deux, Laila et Maryam. Malgré des différences majeures entre les deux femmes, j'ai quand même trouvé des similitudes dans leurs vies respectives : toutes les deux sont trentenaires et partagent la même passion et la même volonté d'aider les autres. Pourtant, alors que Laila vient d'une famille riche qui lui a fourni la meilleure éducation, Maryam est issue de la classe ouvrière. Son père, blessé, a été obligé de rester alité, et elle est devenue de ce fait le principal soutien de famille.
La vie de Maryam a changé grâce à un projet simple et peu coûteux, mais qui a eu un impact énorme sur sa vie
Laila Anaam
Grâce à son talent de dessinatrice, Maryam illustrait des programmes scolaires pour les élèves, travail pour lequel elle recevait une rémunération. Elle ramassait également des bouts de tissu provenant de divers tisserands ou tailleurs et les transformait en sacs à pain, et elle travaillait aussi comme ouvrière agricole.
Maryam est une battante, tout autant que Laila qui a réussi, grâce à ses efforts, à devenir directrice exécutive d'un projet initié à partir de rien. Laila me l'a dit : "J'ai la chance d'être née dans une famille qui m'a donné beaucoup de possibilités, alors que beaucoup de femmes de mon pays sont privées des droits les plus élémentaires. C'est pourquoi je crois que nous devons donner une chance aux autres. Maryam et les autres sont pour moi une source de bonheur. Je suis heureuse de voir à quel point sa vie a changé grâce à un projet simple et peu coûteux, mais qui a eu un impact énorme sur sa vie".
Un cercle vertueux vers l'émancipation au milieu du désespoir
Grâce à l’organisme de Laila, Maryam a obtenu un prêt qui lui a permis d'acheter une deuxième machine à coudre et de louer un atelier ; elle a maintenant deux assistantes. Leila poursuit : "Maryam continue à se rendre dans des écoles, mais cette fois ce n'est pas pour l'argent. C'est pour dessiner et offrir gratuitement des uniformes scolaires aux élèves dans le besoin. Quand je lui ai demandé pourquoi elle le faisait, elle m'a répondu qu’elle recevait beaucoup en aidant les autres. Une manière de revanche sur la vie. Maryam est devenue à son tour un fond de ressources pour les autres, ceux qui viennent chercher son aide. Quand je vois cela, je me sens heureuse d’appartenir à ce cercle, un cercle de dons par lequel nous nous aidons les uns les autres du mieux que nous le pouvons. C'est ce qui fait que je me réveille chaque jour avec l'envie d'aller travailler. Nous sommes en guerre, mais cela m'a donné envie de rester et me donne de l'espoir au milieu de tout le désespoir qui nous entoure".
Parce que leurs maris ou pères ont perdu salaire et travail à cause de la guerre, parce que nombre d’hommes ont été tués dans les combats, les femmes yéménites ont dû se mettre au travail et ont ainsi conquis une certaine indépendance. Les initiatives de Laila ou Maryam aident à revaloriser les femmes et à les empêcher de se mettre pieds et poings liés entre les mains d'autres personnes. Ou d'être réduites à la prostitution et à la mendicité.
Alors oui, j'écrirai d'autres histoires sur ces femmes dans l'espoir de faire partie du même cercle de dons que Leila, Maryam. Et beaucoup d'autres.
A propos de l'auteure de ce billet, Hind Aleryani, une conteuse de notre temps :

Outre son rôle de blogueuse, Hind Aleryani se définit comme "journaliste, activiste et par dessus tout comme rêveuse".
Elle n'a pas son pareil pour raconter des instantanés d'histoires personnelles, ces petits riens quotidiens qui racontent la vie des autres, la nôtre aussi.
Installée à Beyrouth, elle travaille pour la BBC et plusieurs autres médias arabophones et anglophones. Elle a aussi mené d'autres combats, comme celui contre le khat, une drogue dure consommée lors de toutes les cérémonies yéménites.
A relire dans Terriennes, toutes ses contributions :
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