'Lumière et espoir', un orchestre singulier pour les Egyptiennes non-voyantes

« Al Nour wal Amal », orchestre symphonique de musiciennes égyptiennes non-voyantes, est unique au monde. Créé au sein de l’association du même nom, il a permis à plusieurs générations de femmes aveugles de s’épanouir à travers la musique. Le 5 novembre 2015, l’orchestre se produisait à Paris salle Gaveau, pour présenter « Les Jours et les Nuits de l’arbre coeur », opéra en arabe. Reportage et rencontres
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Une violoniste de l'orchestre égyptien pour femmes aveugles Al Nour Wal Amal au Caire
AP Photo/Amr Nabil
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Toutes habillées de noir, un voile doré cachant leurs cheveux et portant un grand collier de perles, elles montent fièrement sur la scène en se tenant la main. Leur instrument de musique les attend, telles des musiciennes professionnelles. Mais ce soir, c’est pourtant sans partition et sans les indications du chef d’orchestre qu’elles joueront pendant plus d’une heure. Ces talentueuses artistes viennent d’un orchestre singulier, celui de l’association, « Al Nour wal Amal » (Lumière et Espoir) en Egypte.
 

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Les musiciennes de Al Nour wal Amal en répétition à la salle Gaveau de Paris
Elise Saint-Jullian


Fondé en 1954, après l'avènement de Gamal Abdel Nasser à la tête de l'Egypte et la fin de la monarchie, il  est le premier centre au Moyen-Orient pour l’éducation, la formation professionnelle des filles aveugles et leur intégration dans la société. Situé au Caire, il offre une éducation gratuite dès le primaire et l’apprentissage de métiers manuels comme le tissage et le tricot pour les femmes plus âgées. L’association dispense également des cours de musique aux jeunes filles repérées pour leurs aptitudes.

« En 1961, l’association a lancé son propre institut de musique. L’orchestre a mis du temps à démarrer mais aujourd’hui c’est la partie la plus célèbre de l’association. Les jeunes femmes se sont produites dans plus de vingt pays différents (Allemagne, Autriche, Jordanie, Japon, Koweit…) », raconte avec fierté Mona Zaky, membre du conseil d’administration.

Issues de milieux défavorisés


Venue à Paris avec la quarantaine de femmes composant l’orchestre, elle les voit chaque  jour gagner en confiance et en autonomie, grâce à la pratique de leur instrument : cor, violon, flûte, violoncelle ou encore alto.

« Elles viennent souvent de milieux très défavorisées mais la musique a transformé leur vie », assure-t-elle. Comme celle de Sherifa, 54 ans, entrée à l’école primaire dans l’association et à 18 ans dans l’orchestre, pour y jouer du violon. « Grâce à Al Nour wal Amal, j’ai pu faire des études et apprendre à jouer d’un instrument. La musique pour moi, c’est une langue qui me permet d’exprimer mes sentiments. J’ai été professeure de musique pour les plus jeunes et je m’occupe maintenant de la bibliothèque. Cet endroit c’est toute ma vie », résume une des pionnières de l’orchestre.

 

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Flûtistes en de Al Nour wal Amal, lors du concert du 5 novembre 2015, salle Gaveau à Paris
Elise Saint-Jullian

La musique me rend plus sensible au monde qui m’entoure

Fatma, 16 ans

Celui-ci, composé de trois générations, accueille toujours de nouvelles jeunes filles. Fatma, 16 ans, a rejoint la troupe il y a quatre ans. Alors qu’elle discute et ri avec une camarade dans le bus qui les mène à la salle Gaveau, c’est pourtant avec beaucoup de sérieux qu’elle parle de la musique, devenue une vraie passion. « Pour moi, jouer de la musique est vraiment un privilège. La musique me donne plus de sensibilité envers le monde et envers tout ce qui m’entoure », soutient-elle.

L’apprentissage des notes en braille, les répétitions, les déplacements à l’étranger et autres enseignements reçus dans l’association, ont permis à ces Egyptiennes de développer leur potentiel et de devenir moins dépendantes de leurs familles. Mais le manque d’accompagnement et d’aménagements liés à leur handicap pèse encore sur leur quotidien. « Nous essayons de leur trouver des possibilités de travail à l’extérieur de l’association, mais les rues, le métro, ne sont toujours pas adaptés pour elles. Les mal-voyants n’ont pas de canne ni de chien. Il y a une évolution, mais beaucoup plus lente qu’on le souhaite », regrette Mona Zaky.
 

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Les musiciennes de Al Nour wal Amal devant la salle Gaveau où elles se produisaient pour la première fois...
Elise Saint-Jullian

Al Nour wal Amal accueille près de 300 Egyptiennes non voyantes


Des obstacles qui ne découragent pourtant pas les jeunes femmes, nombreuses à aller à l’université, se marier et avoir des enfants. L’association s’est quant à elle agrandie avec un nouveau centre d’accueil et d’hébergement, afin que les filles de plus de 21 ans habitant des zones rurales, puissent venir étudier et vivre au Caire. Un centre culturel met aussi à leur disposition une bibliothèque et des ordinateurs. Désormais, plus de 300 femmes ont rejoint Al Nour wal Amal, dont 70 élèves à l’institut de musique.

J’ai eu envie de travailler avec Al Nour wal Amal car elles étaient les interprètes idéales d’une oeuvre qui parlait du coeur
Tarik Benourka, compositeur

« Les jours et les nuits de l’arbre coeur », sont leur tout nouveau spectacle, composé de chant lyrique et de danse. Créé par le compositeur franco-algérien Tarik Benourka, il raconte l’histoire de Nour et Amal. Ces deux astres échappés d’un monde oublié, décident de s’incarner grâce au fruit de l’arbre coeur, et de goûter pour quelques jours et quelques nuits, les sentiments de la vie. Une oeuvre humaniste et sensible, qui pour le compositeur, s’adressait particulièrement à cet orchestre : « J’ai eu envie de travailler avec les filles de Al Nour wal Amal car elles étaient à mon sens, les interprètes idéales d’une oeuvre qui parlait du coeur ». Après une première à l’opéra du Caire le 30 septembre dernier, les musiciennes continueront leur tournée dès le 13 janvier prochain à Abu Dhabi et le 16 janvier à Dubai.
 

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Violonistes de Al Nour wal Amal, le soir du 5 novembre 2015, à Paris
Elise Saint-Jullian

Rejoindre cette association m’a fait grandir
Shaïma 31 ans, violoniste

Rencontre avec Shaïma 31 ans, violoniste au sein de l’orchestre.


A quel âge êtes-vous entrée dans l’association ?

Shaïma, 31 ans, violoniste
Shaïma, 31 ans, violoniste
Elise Saint-Jullian
Je suis arrivée dans l’association à 7 ans. Je suis allée à l’école et j’ai ensuite rejoint l’institut de musique quand j’avais 8 ans. La première année nous devons apprendre les bases de la musique et les notes en braille. A 9 ans, j’ai commencé à jouer du violon avec un professeur du conservatoire égyptien.


Appartenir à cet orchestre, est-ce une fierté pour vous ?

Oui, car cet orchestre est le seul au monde dont les membres sont des femmes arabes et aveugles. Jouer de la musique classique est une façon de prouver que les femmes non-voyantes sont capables de beaucoup de choses, et notamment de jouer sans partition et sans l’aide du chef d’orchestre sur scène. Nous avons appris par coeur les morceaux. Nous voulons continuer à montrer que nous sommes handicapées mais que nous pouvons travailler dur et atteindre les buts que nous nous sommes fixés. Nous nous entraînons deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche. Pour des concerts comme celui-ci, nous avons des répétitions chaque jour.

Cette association et cet orchestre ont-ils changé votre vie?

Rejoindre cette association a été une grande chance pour moi. Elle a m’a fait grandir et ma personnalité a évolué. Grâce aux voyages dans différents pays, aux rencontres, je suis devenue beaucoup plus indépendante et sociable. Je pense aussi que si je n’avais pas rejoint cette association je n’aurais pas eu l’opportunité de jouer de la musique de façon professionnelle comme je le fais aujourd’hui.

Que représente pour vous la musique et que vous apporte-t-elle ?

J’ai toujours écouté de la musique depuis que je suis petite. J’aime les chansons arabes mais je peux m’exprimer davantage grâce à la musique classique. On peut imiter tous les sentiments humains. Avec mon violon je peux exprimer la joie, la tristesse. Parfois je m’imagine être un oiseau qui vole dans le ciel, c’est tout un monde qui se crée entre mes mains quand je joue. A la fin des concerts, les gens applaudissent et je sens alors toute cette chaleur humaine. C’est cela qui me fait vivre, exister.

Avez-vous le soutien de votre famille ?

Mon frère, ma soeur, ma mère, sont vraiment fiers de moi. Je suis très reconnaissante envers ma mère car elle a toujours fait face aux remarques des gens. Certains lui disaient: « Votre fille est aveugle, elle n’a pas d’avenir ». Mais elle, elle répondait: « Non, je suis sûre que ma fille va grandir et que grâce à Dieu, elle pourra réaliser ses rêves ». Ma mère n’a pas reçu d’éducation, mais elle m’a encouragé à faire des études. J’ai étudié l’anglais et la littérature et obtenu ma licence. Aujourd’hui je suis professeure d’anglais à l’association, je fais partie de cet orchestre et j’ai été assistante d’un professeur de violon. Je suis vraiment épanouie.

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L'une des musiciennes de Al Nour wal Amal et son cor, à Paris
Elise Saint-Jullian


Y a t-il une bonne ambiance entre filles au sein de l’orchestre ?

C’est comme une famille pour moi. Nous nous entendons toutes très bien et nous ne sommes pas en compétition. Je pense que c’est la clé de notre succès. Nous donnons aussi toujours le meilleur de nous-mêmes afin de satisfaire le public.

Que pensez-vous de votre performance à Paris ?
 
Ce soir c’était la première fois que nous jouions une opérette. Cela demandait beaucoup de concentration car il fallait s’accorder avec les chanteurs, le narrateur et le choeur. Mais c’était un bon défi.

C’est la quatrième fois que nous nous produisons à Paris, mais la première fois que nous jouons un opéra entièrement en arabe. C’était vraiment un grand honneur.

Voilà deux ans, Thierry Petit de l’Orchestre National de Montpellier avait embarqué sa contrebasse voyageuse, une nouvelle fois, pour le Caire. Il y avait joué avec les musiciennes de Al Nour wal Amal...