Du mercredi 30 janvier au vendredi 1er février 2013 se tenait à Paris la Conférence mondiale des femmes élues locales. A cette occasion, Anne Hidalgo, la première adjointe au maire de Paris - et candidate à la succession de Bertrand Delanoé lors des municipales de 2014 -, et la maire de Santiago de Chili, Carolina Toha - récemment élue -, ont mis en pratique ce qu’elles défendent : créer des réseaux pour soutenir les femmes en politique.
Mercredi 30 janvier 2013, 16h. A un rythme soutenu, elles avancent côte à côte dans le quartier Massenat, dans le 13è arrondissement de la capitale. Un petit entourage suit Carolina Toha et Anne Hidalgo de près. En espagnol, langue qu'elle maîtrise parfaitement, l'adjointe au maire de Paris fait la visite du propriétaire à la nouvelle mairesse de Santiago, élue le 6 décembre dernier. Anne Hidalgo met en avant la diversité de ce quartier en pleine transformation : des logements sociaux côtoient des bureaux, des crèches, une université, des commerces… Une expérience que la Chilienne voudrait reproduire dans sa ville de plus de cinq millions d’habitants, confrontée aux mêmes problématiques urbaines que Paris.
La promenade est pourtant de courte durée. De nombreux rendez-vous les attendent ce jour-là dans le cadre de la Conférence mondiale de femmes élues locales. Carolina Toha, 48 ans, fait partie des intervenantes emblématiques invitées à s’y exprimer. But de la rencontre : renforcer les liens entre élues, échanger sur leurs difficultés face au pouvoir et partager leurs méthodes de gouvernance.
"Agir local, penser global" Pendant la durée de cette rencontre, Anne Hidalgo jongle avec deux de ses fonctions : Première adjointe au maire de Paris et Présidente de la Commission égalité Femmes-Hommes de Cités et gouvernements locaux unis
(CGLU). Cette organisation regroupe les principales associations nationales de pouvoirs locaux dans 136 pays du monde, fondée en 2004. Bertrand Delanoë en est le président fondateur.
"Je ferai tout pour qu’une femme dirige cette grande capitale du monde"
Bertrand Delanoë ouvre le bal : "je n’ai jamais compris pourquoi la moitié de l’humanité n’occupe pas la place qui lui revient dans l’arène politique." Avant de conclure son discours, il y va franco, à un an de la fin de son dernier mandat : "je ferai tout pour qu’une femme dirige cette grande capitale du monde qui s’appelle Paris." Cette femme, c’est Anne Hidalgo bien sûr, déjà en campagne officieuse pour remplacer son mentor.
S’ensuivent les interventions filmées de Michèle Bachelet, ancienne présidente du Chili et directrice exécutive d’ONU Femmes et de Joan Clos, secrétaire adjoint de l’ONU. C’est au tour de l’adjointe au maire : "Les femmes ne dirigent que 5% des pays du monde. C’est un problème que la moitié de la planète ne puisse pas décider, comme dit Bertrand. Les statistiques sont pourtant éloquentes. Quand les femmes sont aux postes de responsabilité la gestion des communes, des pays, des entreprises est plus efficace."
"Il faut fonctionner en réseau"
Comment résoudre ce problème ? "Il faut adopter les bonnes pratiques des hommes sans pour autant essayer d’adopter leur style, répond-t-elle, il faut fonctionner en réseau. C’est plus dur pour une femme de financer une campagne sans le bon réseau et une fois élues nous sommes souvent seules. Nous nous épuisons à la tâche. Nous avons tellement intériorisé que nous devons sans cesse prouver que nous sommes compétentes, alors nous travaillons comme des folles, et au bout d’un mandat, nous voulons tout quitter. Il faut aller au-delà de tout cela. Et il faut surtout ne pas douter. ‘Est-ce que j’ai les épaules. Est-ce que je peux le faire ?’ Les hommes ne se posent pas ces questions." La question de la solitude reviendra à plusieurs reprises au cours des tables rondes, ainsi que le besoin de renforcer les liens entre femmes politiques.
Anne Hidalgo conclut sa première intervention en citant Gandhi : "Au début ils vous ignorent, puis, ils vous raillent, ensuite ils vous combattent et après vous gagnez".
S'engager en politique par obligation
Carolina Toha s'est installée tout à gauche sur la scène (mais à droite sur la photo). Elle a remis le même foulard en soie qu’elle portait la veille. La simplicité de sa tenue, mélangeant le gris et le blanc, contraste avec celle de sa voisine - toute de rouge vêtue. Elle écoute attentivement les récits de ses collègues : Begona Lasagabaster, envoyée spéciale de Michelle Bachelet, Esther Mwaura-Muiru, fondatrice de Groots Kenya, Anne Hidalgo et Reta Jo Lewis, représentante du Département d’Etat des Etats-Unis.
A elle de raconter son parcours : "Comme beaucoup de femmes, je me suis engagée en politique parce que j’ai dû le faire quand j’étais au lycée et pendant mes études universitaires. Nous étions en pleine dictature de Pinochet. En tant que ministre de Salvador Allende mon père a été assassiné. Je me suis donc battue pour restaurer la démocratie. Pendant la résistance les hommes et les femmes étaient égaux. Mais quand Pinochet a été chassé du pouvoir et que tout est revenu à la normale, les inégalités entre les sexes se sont creusées. Alors que les femmes retournaient à leur vie normale et finissaient leurs études, les hommes préparaient leur carrière de ministre ou députés. C’est à ce moment là que la politique est redevenue un monde d'hommes. J’en ai pris vraiment conscience quand j’ai eu des enfants. Les réunions à 21h ne sont pas toujours compatibles avec la maternité."
Des Quotas ? Oh que oui
Le sujet principal de l’échange entre les participantes c’est la question des quotas, éternel débat dans le combat pour la parité. "Quand en 2000 nous étions en plein débat pour voter la loi des listes paritaires aux élections locales, ceux qui étaient contre arguaient que si les femmes étaient assez compétentes, elles se feraient naturellement une place. Mais cela ne se fait pas naturellement. Il faut des quotas", maintient Anne Hidalgo.
Pour l’élue socialiste, Carolina Toha, dans le contexte macho de son pays, cette contrainte est indispensable. Le projet a déjà été évoqué mais pour l’instant aucune loi n’est à l’étude : "Je viens d’être élue maire dans un pays où nous avons eu la joie d’avoir une femme présidente. Les électeurs chiliens sont loin d’être réticents aux candidatures féminines. Mais à peine 14% des parlementaires sont des femmes. C’est très paradoxal."
Même son de cloche du côté d’Angela Spizig, adjointe au maire de Cologne en Allemagne : "dans notre conseil municipal, 30% des élus sont des élues, et ce grâce à un système de quotas. La démocratie c’est la parité totale partout".
Pour Antoinette Kapinga, maire de Kanaga (République démocratique du Congo RDC), les quotas ne suffisent pas : "nous avons une magnifique Constitution où la parité est inscrite mais ce n’est pas pour autant que nous avons plus d’élues. Il faut armer les femmes, habituées à trouver des solutions pour nourrir leurs familles, pour qu’elle puisse mettre ce talent à l’œuvre en politique."
Le Sénégal fait figure d’exemple, comme a tenu à le montrer Aminata Mbengue Ndiaye, sa ministre de l’Elevage : "nous nous sommes battues pour instaurer des quotas et maintenant notre Parlement est composé à 40% de femmes".
Une fois la table ronde finie et le déjeuner à moitié digéré, nous accompagnons la mairesse de Santiago dans un café à deux pas de l’Hôtel de ville. Elle a les yeux qui pétillent, c’est la première fois qu’elle vient à Paris. Entre les visites officielles et la conférence, elle n’avait pas eu le temps de respirer l’air de la capitale. Avec la même simplicité qui la caractérise, l’ex-ministre de la présidence Bachelet commande un thé vert et analyse la situation politique de son pays.
"La société chilienne est en pleine mutation. C’est pour cela qu’une frange importante de la population est prête à voter pour une femme et serait même prête à soutenir le mariage homosexuel. Mais au pouvoir, une élite ulta-conservatrice bloque tout ce processus. Notre passé récent de dictature est responsable de ce fonctionnement à deux vitesses. Donner l'accès aux femmes aux postes de responsabilité fait partie de cette transformation, mais c’est une lutte énorme. Le pouvoir procure un énorme plaisir aux hommes, pour les femmes ce n’est que souffrances. En tant que présidente du Parti pour la démocratie (formation de gauche 2010-2012 NDLR), j’ai beaucoup souffert. Mais je pense que ma nouvelle fonction m’apportera beaucoup de satisfaction. »
Et cette conférence ? : "avec Anne, une complicité s’est créée grâce à la langue et à nos origines. Ma famille vient d’Espagne (comme celle de l'adjointe au maire de Paris, ndlr). Mais c’est aussi une vision de la politique qu’on partage."
Carolina Toha ne reste que quelques jours à Paris, mais la ville Lumière va très vite la rattraper. Bertrand Delanoë devrait bientôt se rentre à Santiago pour confirmer un accord déjà existant entre les deux villes. Objectif : renforcer le partenariat entre les deux métropoles, notamment, en matière d'urbanisme et de conservation du patrimoine.