Fil d'Ariane
Le Kenya reste aujourd'hui l'un des pays où l'on excise le plus de petites filles au monde. Contournant la loi de 2011 qui interdit cette pratique, des familles optent pour l'excision dite "médicalisée". Un phénomène inquiétant selon les associations, qui met à mal les efforts enregistrés ces dernières années.
Au Kenya, l'ONG Manga Heart, organise des cérémonies alternatives de rite de passage à l'âge adulte dans des écoles, pour lutter contre l'excision, interdite par la loi, mais toujours pratiquée.
Comme chaque année, le 6 février est la Journée internationale de lutte contre les mutilations génitales féminines. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’excision est toujours pratiquée dans une trentaine de pays d’Afrique, du moyen Orient ainsi qu’en Asie, près de 200 millions de jeunes filles en auraient été victimes.
Au Kenya, une loi interdit l’excision depuis 2011. Cette pratique a enregistré une baisse de 10% au cours de ces 10 dernières années, mais ce pays reste celui où l'on excise encore le plus de petites filles. Les autorités estiment que le taux a diminué de plus de la moitié, entre 1998 et 2022, passant de "38% à 15%", une estimation contestée par les ONG, selon lesquelles les chiffres seraient bien plus supérieurs.
Lorsque le Kenya a interdit les MGF peu avaient anticipé que cette pratique, traditionnellement menée en public avec faste et cérémonie - prendrait la direction des cliniques et maisons privées, à l'abri des regards. Certaines familles contournent donc la loi en pratiquant des excisions dites"médicalisées", comme l’a constaté Grâce Morungi.
Nos filles sont excisées très jeunes. Elles sont excisées, par du "personnel médical" dans des conditions discutables. Le terme a beau être médicalisé, qui sait s'il ne s’agit pas de charlatans. Grâce Morungi, chargée de projet à Manga HEART
"Nos filles sont excisées très jeunes. Elles sont excisées, par du "personnel médical" dans des conditions discutables. Le terme a beau être médicalisé, qui sait s'il ne s’agit pas de charlatans ? Les mutilations sont pratiquées dans les hôpitaux, mais ce "personnel médical" se rend aussi à domicile et pour exciser de très jeunes filles. Ils partent du principe que cette très jeune fille guérira rapidement et qu’elle pourra retourner à l’école," précise-t-elle.
Une loi interdit l'excision depuis 2011, mais la pratique se poursuit et menace les fillettes, qui pourtant ont le droit légitime de s'opposer à leurs parents, risquant d'aller en prison.
Selon un rapport de 2021 de l'Unicef, les MGF médicalisées se développent en Egypte, au Soudan, en Guinée et au Kenya, où elles menacent de réduire à néant les progrès réalisés par ce pays d'Afrique de l'Est pour l'éradication de cette pratique.
Plusieurs ONG ont décidé de se focaliser sur la sensibilisation pour persuader les familles d’opter pour des rites de passages alternatifs qui combinent rituels de célébration du passage à l’âge adulte avec enseignements traditionnels. Des jeunes adolescentes dansent et chantent pour célébrer leur passage à l’âge adulte.
"Elles seront considérées comme de grandes filles, mais sans avoir subi l'excision", se réjouit Grâce Morungi, dont l'association organise des cérémonies de remise de diplôme d'un rite passage alternatif.
Les enseignements qui accompagnaient l'excision, par exemple. Mais rien ne nous empêche de continuer à transmettre ces enseignements à nos filles, lors de ce que l'on appelle un rite de passage alternatif, sans exciser la jeune fille. Rosemary Osano, victime de MGF
"Les gens ont l'impression que nous nous tournons beaucoup vers l'Occident, mais il y a aussi de bonnes choses en Afrique. Les enseignements qui accompagnaient l'excision, par exemple. Mais rien ne nous empêche de continuer à transmettre ces enseignements à nos filles, lors de ce que l'on appelle un rite de passage alternatif, sans exciser la jeune fille. Cela permet de faire vivre notre culture, et peut-être aussi de transmettre la façon dont vous voulez que cette jeune fille se comporte", ajoute de son côté Rosemary Osano, victime de MGF.
[Les filles éclairées courent moins de risques de subir des #fgm et c'est en partie la raison pour laquelle nous demandons à nos filles de suivre les rites de passage alternatifs.]
Grâce au programme éducatif mis en place par les autorités mais surtout mené par les associations sur le terrain, avec la création notamment de maisons refuge, de plus en plus d’adolescentes refusent d’être mutilées.
Aujourd’hui, si mes parents me disent que je dois être excisée, et je leur réponds non, j’ai le droit de refuser et de vous dénoncer à la police. Sharon
Comme Sharon qui s’est enfuie de chez elle, il y a 7 ans quand elle a appris que ses parents voulaient l’exciser. Depuis, elle est retournée dans sa communauté. Les lois en vigueur au Kenya peuvent désormais la protéger. "Ils ont très très peur. "Aujourd’hui, si mes parents me disent que je dois être excisée, et je leur réponds non, j’ai le droit de refuser et de vous dénoncer à la police", confie, d'un ton assuré la jeune fille.
[Dans ce dessin, Bochere, élève à l'école primaire d'Entanda, montre le chemin jusqu'au poste de police. L'idée étant de voir si l'élève a compris les mécanismes de signalement au cas où elle risquerait de subir une mutilation.]
"Au Kenya les gens sont sensibilisés aux dangers de l’excision et dans les communautés certaines personnes surveillent si une fille risque d’être excisée et dans ce cas alertent les autorités, ce que certaines familles font c’est emmener les filles en Tanzanie pour être excisées", explique une militante, membre d'une association de lutte contre les MGF.
[Nous adaptons nos conversations sur les besoins particuliers de la communauté afin de réduire la stigmatisation, les risques d'exposition à la MGF et d'empêcher les personnes déjà victimes de subir de nouvelles violences.]
Pour déclencher une prise de conscience au sein des communautés, des femmes qui ont subi l’excision osent prendre la parole et témoigner. Comme Edinah Nyasuguta Omwenga, aujourd’hui âgée de 35 ans.
J'ai été excisée, mais je ne voudrais pas que mes enfants subissent la même chose. Edinah Nyasuguta Omwenga, excisée à 7 ans
"J'avais sept ans, personne ne m'avait dit que cela causerait autant de problèmes", se souvient-elle.
"J'ai été excisée, mais je ne voudrais pas que mes enfants subissent la même chose. Lors d'un séminaire auquel j'ai assisté, on nous a parlé des complications que risquent les femmes excisée lorsqu'elles accouchent. Moi-même je l'ai vécu lorsque j'allais à l'hôpital pour accoucher. J'ai fini par accoucher sur le chemin, avant d'arriver. Je ne veux pas que mes enfants connaissent les mêmes difficultés."