Fil d'Ariane
La Journée internationale de la tolérance zéro à l'égard des mutilations génitales féminines (MGF) a été instaurée en 2012 par l’ONU. Chaque année, selon l’ONU, près de 4 millions de jeunes filles dans le monde risquent d’être excisées. Depuis toute petite, Nice Nailantei Leng'ete a compris que seuls le combat de terrain, la rencontre, l'échange pouvaient changer les mentalités et faire bouger les choses.
Terriennes l'a rencontrée.
Terriennes : Dix ans de combat… Pourtant, la pratique archaïque de l’excision perdure. Comment l'expliquer ?
Nice Nailantei Leng’ete : Ce rituel ancestral est ancré dans les traditions culturelles depuis des siècles. On ne peut pas les changer en un jour. En finir avec l’excision nécessite des lois mais aussi de la persévérance, du dialogue et beaucoup d’écoute. Aujourd’hui, au Kenya, des villages maasaï dont le mien ont créé des rites de passages alternatifs : les filles dansent et participent à des concours qui mettent en valeur leur éducation, leurs capacités à prendre la parole en public et améliorent leur confiance.
Les anciens qui pratiquaient l’excision guident les filles tout au long des cérémonies. Les parents participent à des dialogues mère-fille ou père-fils sur les droits reproductifs et encouragent leurs enfants à poursuivre leur scolarité. Les hommes proclament leur soutien à épouser des femmes non excisées.
Il a fallu du temps pour en arriver là… J’avais 8 ans lorsque je me suis enfuie de mon village maasaï pour échapper à l’excision. Ce rite de passage est censé préparer les jeunes filles au mariage. Il les ampute aussi de leur avenir. A mon retour, j’étais très mal vue. Une femme non excisée est une honte pour la communauté. Mais mon grand-père qui m’a élevée m’a autorisée à poursuivre mes études. J’ai ensuite passé des années à convaincre les anciens d’ouvrir le dialogue sur ce sujet. Même si vous savez que leurs pratiques sont mauvaises, il ne faut ni blâmer ni juger les gens mais plutôt tenter de les comprendre. D’autant que la culture maasaï est magnifique à bien des égards. C’est elle qui m’a enseigné le partage et la générosité. J’ai donc proposé de ramener ces valeurs à nos filles. Et, petit à petit, les mentalités ont évolué. Depuis, la constitution orale maasaï a été changée pour mettre fin à l’excision.
L’excision est également condamnée par la loi depuis 2011 au Kenya, le premier pays africain à avoir interdit cette mutilation génitale féminine.…
C’est toujours un plus d’avoir un texte législatif qui confirme le bien fondé de notre combat, partagé par le président kényan Uhuru Kenyatta lui-même. En 2019, il a en effet affirmé son souhait de voir l’excision éliminée du pays d’ici 2022. Le 5 mars 2021, il a aussi présidé une cérémonie lors de laquelle des anciens du comté de Samburu, au nord du pays, ont publiquement déclaré leur volonté de mettre un terme aux mutilations sexuelles et aux mariages d’enfants. Leur voix faisant autorité au sein des villages, nous avons bon espoir de voir suivre une évolution des mentalités. Ailleurs dans le monde, nous constatons aussi des avancées comme au Soudan où, depuis 2020, l’excision est interdite et condamnée par la loi. Néanmoins, le dialogue doit rester ouvert car si ces lois existent, elles ne sont pas toujours appliquées. Des jeunes filles continuent chaque année de subir des mutilations sexuelles.
La crise du coronavirus a entraîné une hausse inquiétante des mutilations génitales féminines. Pourquoi ?
Comme dans d’autres pays d’Afrique et ailleurs, nous avons constaté au Kenya une recrudescence des MGF après des années de bons résultats obtenus. Selon les prévisions de l’ONU, plus de deux millions de filles pourraient être excisées au cours de la prochaine décennie. L’année 2020 a vu se succéder les confinements. Les écoles qui s’avèrent être pour les filles des endroits sécurisants, où elles sont aussi nourries, ont fermé pendant un an ! Pour certains parents qui ont fait face à de nombreuses difficultés dont économiques, marier une fille représente une bouche de moins à nourrir. Ces mariages précoces ont amené à des mutilations sexuelles pour que les filles soient des femmes « pures ». Notre combat est encore loin d’être terminé.
En France aussi, les associations ont enregistré des chiffres à la hausse, avec des estimations qui ont doublé en dix ans, passant de 60 à 125.000 femmes excisées vivant dans le pays. Votre réaction ?
Je ne suis pas surprise. L’excision et les autres mutilations génitales féminines ne sont pas un problème africain. C’est un problème mondial. L’explication réside dans le fait qu’en Europe et en Amérique du Nord des diasporas de différentes communautés voyagent en s’accrochant avec force à des traditions même si elles sont d’un autre temps. Pendant les vacances scolaires, des jeunes filles peuvent être emmenées dans le pays d’origine de leur famille pour y être excisées. Mon combat contre l’excision n’a pas de frontières. C’est pourquoi, allant de pays en pays, je partage mon histoire et sensibilise davantage de personnes aux conséquences terribles des MGF (la biographie de Nice publiée en 2021 et intitulée « La jeune fille dans le figuier sauvage » (non traduit en français) devrait être adaptée au cinéma, ndlr.).
Competition time!
— Amref Health Africa UK (@Amref_UK) October 18, 2021
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Quel est votre rôle en tant qu’ambassadrice internationale de l’Association pour la médecine et la recherche en Afrique (Amref) ?
Promouvoir le processus qui conduira à mettre fin aux mutilations génitales féminines d’ici à 2030, comme le préconise l’ONU qui a inscrit cette lutte parmi les objectifs de développement durable (ODD). Les communautés du monde entier doivent prendre conscience que des jeunes filles décèdent suite à une excision. Or, comme l’affirme la Déclaration universelle des droits humains : tout individu a droit à la vie. Toutefois, la solution ne viendra pas de l’extérieur mais des communautés elles-mêmes, celles qui pratiquent encore l’excision. Il faut les responsabiliser et les convaincre de changer cette tradition au profit de l’éducation. Avec les équipes d’Amref, nous diffusons ainsi l’idée de rites de passage alternatifs. En poursuivant leurs études, les filles peuvent devenir professeures, docteures, travailler dans les nouvelles technologies, etc. Autant de métiers indispensables au développement et à la croissance de leur village, de leur pays et du continent africain.
En 2019, vous avez déclaré au magazine ELLE : « Pour peser encore plus et promouvoir la cause des femmes, j'envisage de me lancer en politique. » Y songez-vous toujours ?
Absolument. Je me demande souvent ce que je peux faire de plus afin de renforcer la protection des droits des filles et des femmes au Kenya. L’élection présidentielle est prévue cette année, en août 2022. Quand ce sera le bon moment, je me lancerai en politique. Vous me verrez peut-être briguer un mandat de députée ou de ministre. Mais pour l’heure, le projet qui attire toute mon attention, c’est la Nice Place Fondation. Un endroit inauguré en octobre 2021, qui accueille à ce jour 52 filles, sauvées de l’excision. Prise de parole en public, renforcement de capacités, … Nous les formons pour devenir des ambassadrices du combat contre les MGF, et les futures leaders africaines de demain.