Fil d'Ariane
Face à la tendance conservatrice qui se dessine à l’échelle mondiale, les femmes sont en première ligne. Comment les journalistes peuvent-elles faire face aux enjeux de droits des femmes et d’égalité de genre ? Aperçu de la journée "Femmes et médias : les rencontres de l'égalité".
Femmes et médias : Rencontres de l'égalité", Paris, le 25 février 2025 au CESE.
"Mon expérience m'a montrée que nous pouvons agir en tant que journaliste. Nous pouvons informer, nous pouvons mobiliser", lance depuis l'Italie, Francesca de Benedetti, cheffe du service Europe du quotidien italien Domani.
Quitte à se battre contre les attaques de ceux qui présentent les victimes comme des agresseurs ou bien les incursions des autorités – par exemple un droit de regard sur un article de Domani "un petit journal d'investigation né en 2020 qui travaille un peu comme Mediapart", ajoute la journaliste lors des rencontres de l’Egalité "Femmes & Médias", organisées le 25 février dernier par les associations Equipop, Prenons la Une ! et La Fronde, en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE), à Paris.
Intervenantes aux "Rencontres de l'égalité : Femmes et medias"
"Les droits des femmes sont un bon thermomètre de la démocratie et, aujourd'hui, il vire au rouge", déclare Lucie Daniel, responsable de plaidoyer et d’études à Equipop.
"Les féministes sont des lanceuses d’alerte, elles documentent les stratégies des anti-droits depuis longtemps. Il est temps que les médias leur fassent confiance et leur tendent le micro”, insiste-t-elle. Or aujourd'hui, les droits des femmes sont instrumentalisés et les journalistes qui s’expriment sur les enjeux féministes soupçonnés de “militantisme”.
“Il nous faut passer de l’indignation à la résistance”, renchérit de son côté la journaliste Salomé Saqué qui était également à ce rendez-vous Femmes dans les médias.
Rédactrice en chef de l'émission Objetivo Igualdad, qui a pour vocation de démonter les stéréotypes sexistes et de visibiliser les femmes, Carolina Pecharroman est aussi responsable de l’égalité à la télévision publique espagnole RTVE. Son rôle consiste d’une part à garantir l'égalité des salaires et des opportunités au sein du personnel entre les femmes et les hommes. De l’autre, elle veille au contenu, aux mots.
En tant que média public, insiste Carolina Pecharroman, nous avons la responsabilité d’utiliser les mots juste les mots : "Nous parlons de violence de genre, comme dans la loi, pour désigner la violence masculine de la part d’un (ex)conjoint, alors que l’extrême droite veut utiliser le terme 'violence intra familiale', ce qui efface le fait structurel."
Carolina Pecharroman explique comment, en Espagne, où la question des violences de genre a fait consensus pendant des années, la montée du parti Vox a brisé ce consensus. Aujourd’hui troisième force politique du pays, Vox tient un discours qui crée un climat social bridant les femmes qui pourrait se défendre. L'extrême droite va, par exemple, insister sur l’inefficacité des lois "car il y a toujours des femmes assassinées". Mais les chiffres sont là pour démontrer le contraire, insiste-elle : "En 2024, 47 femmes ont été tuées par leur (ex)conjoint, alors que le nombre de ces féminicides s’élevaient à 71 en 2003. Donc les mesures du gouvernement n’ont pas aboli la violence de genre, mais elles permettent de lutter contre le phénomène structurel".
Les fausses accusations de femmes qui en veulent aux hommes constituent un autre angle de backlash que les chiffres, là encore, démentent : "Seules 20% des femmes ont dénoncé leur agresseur avant l’assassinat. Les autres 80% ne se sont même pas reconnues comme des victimes et/ou elles ont eu peur de dénoncer à cause de la stigmatisation sociale."
A quoi bon proposer des programmes d’information égalitaires si le film ou la série qui suit foisonne de stéréotypes ou banalise la violence ?Carolina Pecharroman
Pour Carolina Pecharroman, il est aussi nécessaire de veiller à l’égalité dans tous les contenus, non seulement l’information, mais aussi les séries, les films, le divertissement. "Parce que la violence sur les femmes, est structurelle et qu’elle émane de l’inégalité basée sur des stéréotypes de genre. A quoi bon proposer des programmes d’information égalitaires si le film ou la série qui suit foisonne de stéréotypes ou banalise la violence ?"
Le sport est un domaine où la résistance est très importante. "Pendant les Jeux olympiques, par exemple, et les Coupes du monde de football, nous avons essayé de casser l'habitude qui voulait que les hommes commentent les sports pratiqués par les hommes et les femmes commentent les sports pratiqués pour femmes en faisant commenter par des femmes des sports masculins." Au-delà des critiques, Carolina Pecharroman veut "casser cette barrière".
En France, les rares journalistes sportives ressentent le "backlash" de plein fouet, comme en témoigne la publication, en 2024, par le journal L'Equipe de séries revenant sur les enquêtes internes déclenchées par le documentaire de la journaliste Marie Portolano. Des enquêtes internes mal menées, dont les hommes avaient été éjectés et dont ils ont souffert, selon le quotidien sportif...
Réseaux, modèle, information, marrainage sont les armes déployées contre le sexisme et la sous-représentation des femmes dans la presse sportive – sur les 3000 journalistes de sport en France, 350 sont des femmes et plus rares encore sont celles qui font du commentaire, le graal dans ce métier.
La représentation professionnelle des femmes à la télévision est pour Carolina Pecharroman un important levier d'action. "Elles doivent être diverses, et pas seulement jeunes, blanches, avec des corps normés. Il faut montrer des femmes âgées, des femmes avec des lunettes…" Il faut aussi veiller à ce que l'intervention des personnes expertes soit équilibrée, dit-elle : "Nous voulons entendre des femmes parler de politique, d'économie, de sport, de sciences. Si vous n’en connaissez pas, cherchez-les. Elles sont là. Il y a des femmes expertes et des journalistes spécialisées dans tous les sujets."
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