Lutter contre les féminicides et allonger le congé paternité : les priorités d'Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Egalité femmes-hommes

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Elisabeth Moreno à l'Elysée pour son premier Conseil des ministres, le 7 juillet 2020.

©AP Photo/Francois Mori
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Dans un premier entretien à la presse, la nouvelle ministre déléguée à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, fait entendre son franc-parler. En pleine polémique sur les nominations de Gérald Darmanin à l’Intérieur et Éric Dupond-Moretti à la Justice, elle s'engage à faire baisser le nombre de féminicides et à allonger le congé paternité. 

Dans un entretien au Parisien mis en ligne ce 18 juillet sur le site du quotidien français, la nouvelle ministre déléguée à l'Egalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno, révèle ses objectifs sur un ton direct et sans ambages qui fait écho à celui de certains collègues du gouvernement Castex.

Priorité numéro 1 : la lutte contre les féminicides, dans le droit fil du Grenelle sur les violences conjugales chapeauté par sa prédécesseure Marlène Schiappa à la rentrée 2019. "Ce que je veux, c'est que les féminicides passent de 170 actuellement identifiés à 10 par an. Alors, je pourrai mourir tranquille", affirme celle qui affirme ne pas être "là pour briller". Elisabeth Moreno s'y engage : "S'il y a une chose que je laisserai de mon passage au gouvernement, ce sera celui-là. Dans 600 jours, on aura réduit le nombre de femmes victimes".

Quant au budget dont elle disposera, il sera à la hauteur de la tâche, affirme la nouvelle ministre. Appelée au gouvernement alors qu'elle était dirigeante de Hewlett-Packard pour l'Afrique, elle rappelle qu'elle sait négocier. "J'avais prévenu le président et le Premier ministre : je ne viens dans ce gouvernement qu'à la condition d'avoir les moyens d'atteindre mes objectifs et ils se sont tous les deux engagés à le faire", poursuit la ministre déléguée qui ajoute : "Je ne suis pas venue faire de la poterie".

"Un caillou dans la chaussure"

"Ma responsabilité est de faire en sorte que des victimes de violences se sentent libres de dire 'je suis violentée'. J'ai récemment attrapé notre ami garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti pour lui dire : 'Je vais être un gros caillou dans ta chaussure. Pas une victime ne doit s'interdire ces démarches et il va falloir suivre'".

Elle fait écho aux inquiétudes exprimées face à la nomination d'Eric Dupond-Moretti à la fonction de garde des Sceaux. Dans un courrier dévoilé ce 17 juillet par Le Parisien, Aurélien Pradié, numéro trois du parti Les Républicains, lui reproche son silence sur les violences conjugales depuis sa prise de fonction. Le député du Lot dénonce aussi les prises de position passées du ténor du barreau sur le mouvement #MeToo et ses critiques sur l'infraction d'outrage sexiste, créée en août 2018.

De son côté, le ministre de la Justice affirme que la lutte contre les violences conjugales comptent parmi ses priorités. Il l'assure au JDD ce 18 juillet : "Je veux que les hommes suspectés de violences conjugales, s'ils ne sont pas déférés, reçoivent un avertissement judiciaire solennel."

Elisabeth Moreno, elle, revient aussi sur l'accusation de viol à l'encontre de son collègue de l'Intérieur Gérald Darmanin. Tout d'abord, elle rappelle que "la France est un Etat de droit et que nous pouvons lui laisser le bénéfice du doute. S'il est reconnu coupable, là, on en reparlera".

Elle explique néanmoins avoir eu avec lui "une conversation de femme à homme". "Je lui ai dit : 'Il faut qu'on se parle, là, parce qu'on est dans la même équipe. Ton sujet va être un boulet à porter pour moi, il faut que tu m'expliques ce qui s'est passé'. Et ce qu'il m'a dit me porte à le croire". Puis elle ajoute : "Je me mets aussi du côté des personnes dont j'ai la responsabilité, en l'occurrence les femmes, et si jamais il m'a menti j'en tirerai toutes les conséquences".

Est-ce que j'ai la tête d'une caution ?
Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l'Egalité entre les femmes et les hommes

Enfin, Elisabeth Moreno se dit "à fond" pour rallonger le congé paternité de 11 jours à un mois. Une mesure restée en suspens puisqu'aucun arbitrage n'a encore été rendu. Elle serait, selon la ministre, un grand pas vers l'égalité des responsabilités domestiques : "Ce serait une vraie révolution. Il faut que l'homme et la femme partagent les mêmes charges à la maison".

Et toujours avec sa mèche de cheveux tombant sur l'oeil droit, elle conclut l'entretien avec une petite phrase offensive : "Est-ce que j'ai la tête d'une caution ?" Sa nomination a pourtant reçu un accueil mitigé des associations féministes pour sa vision du sexisme alors qu'elle était cheffe d'entreprise. Des propos qu'elle tenait alors, les militantes déduisent que l'égalité, pour Elisabeth Moreno, passe davantage par la rémunération et l'orientation que par la lutte contre le sexisme ordinaire. En 2018, la future ministre déclarait qu'il n'était pas nécessaire d'installer "une gêne devant la machine à café" et s'expliquait avec, à l'appui, son expérience personnelle : "J'ai eu le droit à des blagues sexistes, stupides et ridicules. Mais je ne sais même pas si les hommes qui ont tenu ces propos en sont conscients [...]. En ai-je souffert ? Non, parce que je ne me suis jamais laissée faire. Je n'ai pas un caractère à baisser la tête et exécuter. Je dis toujours les choses, sans agressivité, car cela ne sert à rien."

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Fille d'ouvrier et de femme de ménage cap-verdiens, arrivée en France à l'âge de sept ans, Élisabeth Moreno reste, par ce qu'elle est, par son parcours, l'incarnation même de l'émancipation, à la fois en tant que femme et qu'immigrée.  Interrogée sur l'affaire Adama Traoré, la ministre, dont le portefeuille comprend aussi la diversité et l'égalité des chances, rappelle qu'elle a vécu en Afrique du Sud et à ce titre sait ce qu'est un Etat qui a été raciste : "Je m'insurge contre ceux qui disent que la France est raciste ou que la police l'est. Il peut y avoir des individus racistes, c'est autre chose".

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Cap-vert: Elisabeth Moreno Issue du milieu de la tech, Élisabeth Moreno est peu connue du grand public. Originaire du Cap-Vert, elle a été nommée ce 6 juillet à la tête du ministère français de l’Égalité femmes-hommes. Dell, Lenovo, et enfin HP, où elle occupe le poste de directrice-générale Afrique depuis janvier 2019 : bientôt quinquagénaire, Élisabeth Moreno évolue dans le milieu de la tech depuis des années. Son entrée dans le monde des affaires a débuté avec la création d’une entreprise familiale dans le BTP, alors qu’elle n’avait qu’une vingtaine d’années. Née au Cap-Vert en 1970, arrivée en France six ans plus tard, Élisabeth Moreno est élevée par ses parents – illettrés – dans un quartier populaire de Belleville, au nord de Paris. « Si on m’avait dit un jour, de mon petit Cap-Vert natal, que j’aurais la situation professionnelle que j’ai aujourd’hui et que j’aurais la chance d’inspirer les autres… je n’y aurais pas cru », déclarait-elle en 2018 à La Tribune. Une expérience de « fille d’immigrés » qui l’aura amenée à « développer un grand sens d’adaptation et une résistance aux défis ». Elle fonde en 2005 le Cabo verde Business Club, visant à établir des ponts entre des entreprises françaises et cap-verdiennes, puis la Casa Cabo verde, dont l’objectif est de « développer et renforcer les relations et les échanges de toute nature entre la France et le Cap Vert. » « La sodade est là en permanence. Et chacun tente d’apporter à sa manière, sa contribution pour entretenir ses meilleurs souvenirs » #ministre#france#capvert#adaptation#business #caboverde#egaliteshommesfemmes#process #technologie#hightech#objectif#carriere #elitesfutures#afriqueenmarche#visionnaires

Une publication partagée par Forum (@elitesfutures) le 10 Juil. 2020 à 5 :20 PDT