Fil d'Ariane
Une survivante de mutilations génitales féminines a décidé de ne pas faire exciser ses 5 filles, en Gambie. Elle figure ici avec l'une d'elle, le 26 juillet 2024. Les députés gambiens ont rejeté une proposition de loi qui aurait levé l’interdiction de l’excision et des mutilations génitales féminines en vigueur depuis 2015. Au Mali, aucune loi n'interdit cette pratique.
Au Mali, près de neuf femmes de 15 à 49 ans sur dix ont subi l'excision. Rencontre avec Oumou Salif Touré, fondatrice d'une association qui lutte contre les mutilations génitales féminines dans son pays.
Selon un rapport d'UNICEF de 2022, moins d'une fille ou femme malienne sur cinq estime que les MGF devraient être éliminées. Elles sont ainsi près de 8 millions de filles à avoir subi une mutilation génitale au Mali. Des mutilations pour la plupart réalisées par des praticiens traditionnels. La prévalence des MGF varie selon les ethnies : universelles dans plusieurs groupes ethniques du Mali ; moins répandues chez les Songhaïs et les Touaregs. La forme de MGF la plus radicale, l'infibulation, qui consiste à suturer l'orifice vaginal, touche une fille sur dix à l'échelle nationale. Si les tendances actuelles se maintiennent, neuf filles sur dix seront excisées au Mali en 2030.
Oumou Salif Touré est coordinatrice de l'association féministe FemiLead Mali. Elle est engagée en faveur de la justice sociale en dix ans de lutte contre les inégalités sociales, en particulier celles basées sur le genre.
Terriennes : comment, concrètement, se traduit votre action ?
Oumou Salif Touré : Nous allons dans les communautés pour sensibiliser le maximum de membres, pour que nos projets et nos actions de communication pour le changement de comportement puissent être pérennes.
Comment sensibilise-t-on sur le terrain ?
On est plus efficace si on utilise les médias. Cela fait, on laisse les membres des communautés s'occuper de la sensibilisation et nous nous chargeons des suivis. Parce ce que plus le message est externe, plus les communautés risquent de se braquer. Nous essayons d'éviter ça, d'apprendre à la communauté à s'informer et à s'autosensibiliser.
Nous essayons de mettre en avant que beaucoup de pratiques néfastes ont été délaissées, et que les MGF aussi font partie des pratiques néfastes à abandonner. Oumou Salif Toure
Quels sont les principaux barrages encore aujourd'hui ?
L'inexistence d'une loi et la méconnaissance, qui persistent. Il subsiste encore beaucoup d'ambiguïté autour de ces questions. Difficile de savoir si c'est purement culturel ou si c'est purement religieux. Comme nous sommes dans un pays assez conservateur, les questions liées à la religion et à la culture sont délicates. Beaucoup disent que c'est purement culturel et pas religieux. Or d'un point de vue culturel, nous avons réussi à renoncer à tout ce qui, avant, était dangereux. Dans les questions des MGF, cet aspect-là compte aussi. Nous essayons de mettre en avant que beaucoup de pratiques néfastes ont été délaissées, et que les MGF aussi font partie des pratiques néfastes à abandonner.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les conséquences pour la santé des fillettes excisées ?
Ce sont beaucoup des conséquences à long terme. Dans le pire des cas, c'est une hémorragie qui se solde par un décès. Il y a aussi des cas d'infections sexuellement transmissibles et de frigidité. A long terme, ce sont aussi des séquelles psychologiques et des difficultés lorsque vient le moment d'avoir un enfant.
L'infibulation, encore pratiquée dans certaines régions, malheureusement, est vraiment l'une des pires formes de mutilation qu'on puisse infliger à un humain. Oumou Salif Toure
Les pratiques diffèrent car il existe diverses formes de mutilation sexuelle féminine. L'infibulation, encore pratiquée dans certaines régions, malheureusement, est vraiment l'une des pires formes de mutilation qu'on puisse infliger à un humain. Les conséquences pour la santé sont désastreuses et l'impact psychologique sur la vie des filles et des femmes au Mali est vraiment énorme.
Quand vous en parlez aux femmes, le comprennent-elles ? En parlent-elles facilement ?
Tout ce qui touche à la sexualité, ici, est tabou. Tout ce qui touche à la sexualité, on en parle très peu. Et quand on arrive à en parler, les gens ne font pas toujours le lien et ne mesurent pas l'impact des mutilations génitales féminines sur les femmes. Ils essaient de se remettre en cause, de trouver d'autres solutions. Ils se posent toutes les questions, sans savoir vraiment où est le problème, parce que la plupart du temps, c'est l'excision au berceau qui est pratiquée ici.
Tu ne sais pas quand tu es excisée. Les femmes elles-mêmes ne savent pas toujours qu'elles le sont, mais elles le sont. Les adolescentes, par exemple, même si aujourd'hui au Mali, comme un peu partout dans le monde, il y a les réseaux sociaux et des moyens de communication plus simples.
Sentez-vous quand même une évolution ? Ce message est-il mieux perçu, mieux entendu ?
Ce message est véhiculé, et déjà ça, ce n'est pas rien. C'est un grand pas au Mali, le simple fait que ce message ne soit pas censuré. Nous sommes privilégiés de pouvoir utiliser les réseaux sociaux pour faire passer nos messages de sensibilisation. Avant, nous n'avions même pas le courage, dans une communauté, de réunir deux à trois personnes autour de cette thématique. Actuellement, la possibilité est là, et nous avons aussi celle d'aller vers les médias. Nous travaillons beaucoup avec les médias ; nous utilisons beaucoup les réseaux sociaux. Les commentaires peuvent parfois être très, très virulents, mais l'essentiel, c'est que les messages passent. Et sans contradiction, pas de débat, et sans débat, pas de vérité. Nous voulons vraiment lever les tabous autour de cette question-là. Plus on en discute, plus les gens cherchent à comprendre, et plus les chances augmentent que ces personnes-là puissent comprendre.
L'approche privilégiée, maintenant, c'est la discussion avec une génération qui a subi, mais qui n'a pas encore fait subir. Oumou Salif Toure
Malheureusement, on ne peut rien changer pour la génération qui a déjà subi les MGF. L'approche privilégiée, maintenant, c'est la discussion avec une génération qui a subi, mais qui n'a pas encore fait subir. Et ça, c'est vraiment important pour nous.
Dans nos approches de sensibilisation, nous sommes confrontés à un blocage qui vient généralement de parents qui ont déjà fait exciser les enfants. Ils ne veulent pas comprendre que c'est une mutilation. Ils refusent de se dire qu'ils ont fait subir quelque chose de dommageable à leurs propres enfants. Alors la discussion avec les parents reste stérile. Mais il y a aussi une nouvelle génération qui a subi et qui n'a pas encore fait subir, et c'est important pour nous de la sensibiliser à l'arrêt des mutilations génitales féminines.
"Nous rêvons d’un Mali où règnent l’égalité et le féminisme, un pays où chaque femme peut s’épanouir, contribuer activement à la vie sociale et accéder à des positions de pouvoir dans un climat sans discrimination", lit-on sur le site de Femilead Mali.
Cela passe-t-il aussi par les garçons ?
C'est vraiment important, parce que ce qui nous facilite la tâche, c'est quand les deux futurs parents sont impliqués. Il y a une génération qui n'a pas encore conçu d'enfants et qui va le faire bientôt. Il est important d'impliquer hommes et femmes, parce que même si ce sont les femmes qui amènent généralement les enfants à l'excision, les hommes ont totalement leur mot à dire, et c'est avec leur approbation qu'on amène les enfants. Il est donc vraiment important d'impliquer les deux, femmes et hommes. Ce discours-là s'inscrit dans un discours plus global sur l'éducation sexuelle.
Au Mali, l'éducation sexuelle est l'un des sujets les plus tabous. Nous n'essayons pas de réinventer la roue, mais de partir de l'existant. Autrefois, adultes et enfants communiquaient beaucoup, même si cela ne passait pas forcément par les parents biologiques. Il y avait forcément un adulte qui discutait de toutes les questions liées à la sexualité avec les enfants, les pré-adolescents et les adolescents. Il est important de revenir à ces bases-là, d'arriver à discuter de façon très ouverte de ces questions-là, pour atténuer les problèmes liés à la sexualité à l'adolescence.
Lutter contre l'excision passe par des associations, par des militantes de terrain, mais aussi par une prise de conscience plus politique. Sentez-vous qu'il y a une volonté au niveau de l'État, des autorités de santé, par exemple ?
Des efforts ont été faits. Des circulaires existent, qui interdisent, par exemple, la pratique des mutilations génitales féminines au sein des institutions de santé. L'État a vraiment fait des efforts. C'est déjà un grand pas. Quant à une réelle volonté politique d'interdiction totale des mutilations génitales féminines, je pense qu'on n'y est pas encore. Disons que l'État malien a d'autres priorités.
Dès qu'une fille échappe à l'excision, on estime que c'est déjà une vie de sauvée et ce n'est pas rien pour nous. Oumou Salif Toure
Y a-t-il eu des propositions de loi ?
Il y a eu un avant-projet de loi, qui a été assez discuté et qui l'est toujours. On essaie d'aller vers une situation qui arrange tout le monde, mais on n'en est pas encore là. Sur le plan juridique, les prochaines années, ça devrait bouger.
Le combat que vous menez est difficile. Gardez-vous espoir ?
Une fille sauvée, c'est déjà un grand pas pour nous. Il y a des gens qui ont fait ça pendant des dizaines d'années, et nous, on est en train de prendre le relais. Et d'autres prendront le relais après nous. Le message de sensibilisation ne change pas. Par contre, comme la population évolue très rapidement, nous espérons que les mentalités évoluent avec. Nous avons la chance d'avoir la résilience nécessaire et de ne jamais baisser les bras pour défendre ce que nous considérons comme être juste pour les femmes et les filles. Dès qu'on a une fille qui échappe à l'excision, on estime que c'est déjà une vie de sauvée et ce n'est pas rien pour nous.
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