La dernière figure de cette croisade féministe s'incarne dans la maire de Madrid, Manuela Carmena, particulièrement sensible à la cause des femmes. Depuis la mi-juin 2017, une affichette apposée dans les autobus et dans les rames de métro de la capitale espagnole rappelle le savoir vivre à ceux qui en manqueraient.
Esta es la señal de los autobuses de la @EMTmadrid para respetar el espacio de los demás y evitar el #manspreading. https://t.co/dnqdMycgaO pic.twitter.com/Xwcx3bx8DG
— Ayuntamiento Madrid (@MADRID) 7 juin 2017
En France, l'information serait peut-être passée inaperçue sans une chronique bien tournée du philosophe et chroniqueur Raphaël Enthoven, sur la radio Europe 1 : "Que des siècles de domination masculine crétine s’expriment dans ce geste insupportable, c’est une évidence, […] mais ça n’empêche pas que certaines femmes, fait plus rare, beaucoup plus rare, en fassent autant. Masculiniser le terme, essentialiser ce comportement en gravant dans le marbre d’un mot la certitude que par définition il y a que les hommes qui font ça relève du sexisme."
#manspreading : quand les hommes se tiennent mâle. #E1matin #LMDI 8h55 pic.twitter.com/DKOEeWomdZ
— Raphaël Enthoven (@Enthoven_R) 13 juin 2017
Le #manspreading est 1 buzz orienté anti-mec
— burnal (@burnal) 14 juin 2017
Cf logo de madrid=> personne de gêné
cf oser le féminisme parle de "pollution visuelle" pic.twitter.com/Kc94najtlO
Et pourtant, il n'y a pas forcément de quoi rire. En décembre 2016 une élue bruxelloise était partie en croisade, comme nous l'apprenait le quotidien belge francophone La Libre : "Dans l’opposition au parlement bruxellois, la députée Céline Delforge (Ecolo) n’hésite pas à prendre des clichés de ces hommes qui s’étalent lorsqu’elle en a l’occasion." Et elle confie au journal : "Même si le phénomène a été conceptualisé et analysé assez récemment, le problème n’est vraiment pas neuf. Il y a quelques années, j’avais été particulièrement choquée par l’attitude d’un adolescent avec lequel je partageais une banquette pour deux personnes dans le bus. Je lui avais demandé de resserrer ses jambes qui étaient complètement écartées mais il m’a répondu qu’il n’allait pas croiser les jambes comme une p…".
La représentante du peuple prône donc de faire campagne, via des "pictogrammes" ou des annonces, pour sensibiliser les Belges à cette incivilité qui ne ferait que s'accroître : "Dans les bus Tec, il y a souvent des rappels pour dire que l’on ne doit pas utiliser son GSM en haut-parleur par exemple. La Stib insiste beaucoup sur l’obligation de pointer la Mobib et elle oublie parfois qu’il y a d’autres messages à diffuser."
Cuisses ouvertes barrées, cuisses fermées entourées...
Le néologisme #manspreading (littéralement "homme qui se répand") fait florès sur les réseaux sociaux depuis 2013, déjà, lorsque une campagne s'en est emparée aux Etats-Unis. Avant d'essaimer aussi bien au Royaume Uni, qu'au Canada ou en Turquie. Le mot a même été ajouté au dictionnaire anglais d'Oxford en 2015. Jusqu'à présent, seules les villes de New York et de Seattle ont jugé nécessaire de faire campagne contre ce fléau d'un genre nouveau, par voie d'affiches pour que les voyageurs "partagent un peu moins d'eux-mêmes".
La ville de Toronto a répondu par une fin de non recevoir à la requête de plaignantes, parce que l'étalement des cuisses mâles n'est pas le seul problème dans les transports publics : le sac posé sur le siège mitoyen en est un autre, et là ce sont aussi les femmes qui sont visées... Ce que les tenants du manspreadingê appellent désormais "she-bagging", le "elle-et-son-sac", en quelque sorte.

Quelle passagère n'a pas expérimenté ce désagrément : tenter de rester assise sur un bout de banquette tandis que son voisin s'étale confortablement, jambes largement écartées pour que "ses couilles de cristal", comme les appellent certaines féministes, ne se froissent pas. Une expression déclinée et réinterprétée avec imagination...
Le manspreading dans les transports en commun. pic.twitter.com/TQm2oxro8o
— Lady Salty Theory (@MissLyzzie) 12 décembre 2016
Agression ou séduction ?
C'est surtout un geste de virilité ostentatoire, voire apprécié, selon certaines universitaires. Tanya Vacharkulksemsuk, chercheuse à l'université de Berkeley (Californie) a consacré plusieurs études à ce sujet : "s'asseoir les jambes écartées révèle une domination masculine qui a pour but et pour effet d'entraîner une attraction sexuelle des femmes vers les hommes." User ainsi de ses jambes et ses bras susciterait le regard et permettrait même de fortifier ses atouts de séduction. La jeune universitaire a enquêté via un important corpus de photos et de vidéos, de femmes et d'hommes, en position d'étalement, et sa conclusion est sans appel : les jambes écartées de ces messieurs attireraient le regard et l'intérêt de 87% des femmes. L'étalement des femmes serait captivant lui aussi. Sauf qu'il est beaucoup plus rare.
Mais d'autres enquêtes montrent l'inverse : la plupart des femmes se sentiraient "vulnérables" face à ces attitudes mâles expansionnistes. Le magazine The Atlantic, l'un des plus anciens périodiques culturels outre-Atlantique, a consacré tout un dossier, en mars 2016, à ce sujet important. Quelques jours plus tard, Le Monde, quotidien de référence en France, énumérait les arguments des un-es et des autres : "Au XXIe siècle, en tout cas, le manspreading a rejoint les conversations téléphoniques et les « frotteurs » au rang des pires calamités des transports en commun. Mais certains hommes assurent que cette posture est avant tout liée à un besoin physiologique de laisser respirer une partie de leur anatomie souvent comprimée et de favoriser ainsi une meilleure ventilation des gonades, ce qui, on le sait, améliore la production de spermatozoïdes."
Mes boules, mes boules je ne veux pas qu'elles collent à mes jambes !
campagne anti manspreading, Etats-Unis
Depuis, la bataille se mène sur les réseaux sociaux à coups de vidéos et de photo-montages, où l'ironie le dispute à l'humour mais aussi à la colère. En novembre 2016, des Américaines se sont mises dans la peau de "manspreaders" durant une semaine, à la maison, dans le métro, n'importe où. Il en résulte une vidéo désopilante de 4'30, avec en guise de leitmotiv rappé : "mes boules, je ne veux pas que mes boules collent à mes jambes !" Une expérience qu'elles ne sont pas sûres de recommencer...
Un "remake" de la guerre entre Gros-boutiens et Petits-boutiens
Assaut d'imagination sur twitter aussi entre les deux camps, qui n'est pas sans rappeler la guerre féroce entre les Gros-boutiens et les Petits-boutiens des Voyages de Gulliver, entre celles et ceux qui décalottaient puis mangeaient leurs oeufs à la coque par le petit ou le gros bout."Ce type là, avec ses jambes aussi écartées, se prend pour une quintessence de la fertilité"... s'énerve l'une. "Et si ce gars là s'arrêtait de jouer à son bidule les jambes écartées, j'aurais plus de place" renchérit une autre...
this dude manspreading so wide he's basically a fertility figure. pic.twitter.com/TFwyaHbGaI
— laia. (@geometricsleep) 8 décembre 2016
Stop #manspreading & playing ur game & make room so I'm not squished into the back of the seat next to me? #blueline .@CTAFails pic.twitter.com/QibjcAJ5Gi
— Maayan Schwab (@MSSchwab327) 9 décembre 2016
Disgusting manspreading in action pic.twitter.com/St7PzaEZg6
— Ethan Klein (@h3h3productions) 18 décembre 2016
Manspreading is literally the literal number one most literal problem in society literally. I can't even right now. https://t.co/Buay3dEpLV
— Des Magic (@DesolatorMagic) 19 décembre 2016
Et vous ? Eprouvez vous ce même ras-le-bol quotidien dans les transports publics ? #onnapasfinidenparler...
Vous pouvez suivre Sylvie Braibant sur twitter @braibant1 https://twitter.com/Braibant1