Le regard pétillant, des boucles rousses, un optimisme naturel et une envie de faire sa marque sur cette planète : Lyne Morissette est une biologiste marine qui s’est donnée pour mission de sauver la baleine noire du Golfe du Saint-Laurent, menacée d’extinction. Elle est aussi une vulgarisatrice scientifique pionnière dans son domaine. Rencontre.
Lyne Morissette est née à Rimouski, ville de 50 000 habitants nichée sur la rive-sud du fleuve Saint-Laurent, bercée par ce fleuve majestueux, ses battures et ses marées depuis sa plus tendre enfance. L’un de ses oncles était un géomorphologue de l’Université Laval, à Québec : jeune, elle passe ses étés avec lui à ramasser roches et cailloux sur la grève et c’est avec lui qu’elle découvre la passion des sciences.
« C’était d’un naturel assez évident que j’allais finir par intégrer le fleuve dans ma carrière, de près ou de loin », se souvient la biologiste de 43 ans.
Lyne Morissette, en duplex depuis Montréal, dans le 64' le dimanche 25 août 2019.
Elle complète ses études en biologie pour devenir docteure et spécialiste de l’écologie de conservation. Elle a aussi toujours été intéressée par la philosophie et le journalisme. Qu’à cela ne tienne : elle livre régulièrement des chroniques à la radio et la télévision de Radio-Canada, car elle est une excellente vulgarisatrice.
Il faut parler aux gens et vulgariser les enjeux. Car notre produit final, ce sont des actions pour protéger la nature.Lyne Morissette
« La conservation, c’est un peu tout ça finalement : c’est un peu de philosophie ou de sociologie car c’est vendre aux gens l’idée de changer leurs habitudes pour protéger la nature. La vulgarisation scientifique, ce n’est pas souvent valorisée par les scientifiques. Mais en écologie de la conservation, c’est fondamental : c’est la méthodologie pour faire notre travail, c’est un peu du marketing qu’on fait, il faut parler aux gens, vulgariser les enjeux, parce que notre produit final, ce sont des actions pour protéger la nature, on n’a pas le choix de passer par le public pour le faire. Donc des podcasts, des émissions de télé, des chroniques radios, ce sont mes machines à moi, mon outil de travail », précise Lyne Morissette.
Sauver la baleine noire
Depuis des années, Lyne Morissette et d’autres scientifiques ne cessent de tirer la sonnette d’alarme pour sauver les baleines noires de l’Atlantique Nord , dont la population ne cesse de décroître. Le gouvernement du Canada a mis en place des zones d’exclusion des pêcheurs pour limiter la mort de ces énormes cétacés qui s’empêtrent dans leurs filets. Lyne Morissette, elle, préconise une approche inclusive pour sauver l’espèce : elle estime qu’il faut au contraire intégrer ces pêcheurs dans la dynamique, ainsi que les acteurs de l’industrie maritime, eux aussi directement impliqués parce que les baleines se font blesser par les bateaux dans le golfe.
« Avec les taux de natalité et de mortalité actuels, on a une situation pour la baleine noire où il nous reste environ 20 ans avant que l’espèce ne disparaisse complètement, prévient la biologiste.
Il faut que tout le monde mette l’épaule à la roue, inclure ceux qui font partie du problème comme l’industrie maritime et les pêcheurs. Surtout les pêcheurs qui ont une connaissance du terrain tellement importante. Ils connaissent l’espèce. On n’a pas le luxe de se passer de leurs connaissances, de les montrer du doigt comme étant les coupables et de se les mettre à dos. Car ce sont eux qui ont le pouvoir de faire la différence. Donc ma stratégie, ça a été de rassembler les gens pour travailler ensemble, au lieu de perdre notre temps et notre énergie à dire : c’est la faute à qui ? ».
Lyne dit avoir été très bien accueillie par les pêcheurs :
« Ils ont la même passion que moi et le même niveau d’émerveillement quand ils voient des baleines. Ils ont des idées mais ne sont pas entendus : il est donc fondamental de leur donner une voix. J’ai senti beaucoup de fierté de leur part… Leur saison est finie mais beaucoup sont encore en mer car ils font partie des équipes de sauvetage des baleines empêtrées dans les filets et ils en sauvent ». Cette éternelle optimiste dit qu’elle va le rester, que tant qu’il va rester au moins deux baleines sur le territoire, il y aura quelque chose à faire, même si la situation est critique pour l’espèce.
« Et au-delà, je trouve que les baleines noires sont des incroyables ambassadrices de collaboration entre humains et ça, peu importe l’espèce. C’est ce qu’elles nous auront appris : à travailler ensemble », réfléchit-elle.
Médiatrice environnementale
Cette approche de médiation, Lyne Morissette en fait l’une des principales activités de son entreprise « M expertise marine », basée à Sainte-Luce-sur-Mer :
« c’est un peu comme dans la médiation de couple : on fait asseoir autour de la même table les personnes qui ont ce problème et on essaie de trouver des solutions qui vont convenir à tous. C’est par la médiation environnementale qu’on peut protéger le plus possible la nature et les espèces. C’est un outil pour préserver la nature sur la planète ».
La biologiste fourmille de projets : elle s’est aussi impliquée récemment dans le projet « mission 100 tonnes » qui consiste à demander aux citoyens de ramasser tous les déchets qu’ils croisent sur leur route au cours d’une promenade en forêt, au bord d’une rivière ou d’un lac, etc. Puis de déposer les dits déchets dans des centres qui sont identifiés sur le site internet du projet.
« C’est un projet fou qui a rapidement eu un succès fou, et on en est très fier, explique Lyne Morissette… Au-delà de la quantité, la mission 100 tonnes, c’est le changement qui s’opère dans notre mode de vie quand on réalise à quel point c’est facile de ramasser 100 tonnes de déchets, ça opère un réel changement sur notre consommation et notre façon de regarder le plastique à usage unique ».
Lyne se prépare également à une mission scientifique dans la Mer de Cortès, dans le Golfe de Californie, pour mesurer l’impact du plastique dans l’océan : elle a acheté des caméras sous-marines et des casques de réalité virtuelle pour pouvoir, par la suite, montrer ces images aux jeunes. Avec les casques de réalité virtuelle, elle veut leur montrer que le plastique dans les océans, c'est une réalité qui ne se retrouve pas juste sur Instagram.
« Je les trouve très inspirants, ces jeunes, et on doit les aider à mettre en place les solutions qu’ils élaborent. Ils sont conscientisés, mais nous, les adultes, on doit leur ouvrir les portes, on ne doit pas juste balancer nos problèmes en se disant 'ils vont trouver les solutions…' », prévient-elle.
J’ai travaillé sur des bateaux où j’étais perçue comme de la mauvaise chance par des marins superstitieux !Lyne Morissette
La biologiste se réjouit d’ailleurs qu’un peu partout sur la planète, les citoyens n’attendent pas que leurs gouvernements agissent pour se mobiliser en faveur de l'environnement. Mais si on lui donnait une baguette magique, elle prendrait des photos de notre planète et retournerait cinquante ans en arrière pour montrer à quoi ressemblait la terre et avertir qu’il est plus que temps de ralentir notre consommation.
« Je suis inquiète pour l’avenir de notre planète mais je préfère m’accrocher à l’espoir parce que j’ai l’impression que c’est plus efficace pour la suite des choses, donc je ne passe pas beaucoup de temps à me désoler de ce qui ne va pas bien. Il faut plus que des actions, il faut être optimiste et partager des histoires de succès. J’ai l’impression d’être génétiquement programmée pour bien faire ça… »Faire sa place dans un monde masculin
Pour Lyne Morissette, cela n’a pas été facile de se faire une place dans le milieu très masculin du monde scientifique. Elle a du faire face, comme beaucoup d'autres, à des commentaires sexistes, comme
:
« T’y arriveras pas, t’es juste une fille », ou alors, pendant un entretien :
« Pourquoi on t’engagerait, tu vas tomber enceinte et on va être obligé de payer un congé maternité, sans que tu ne produises pendant ce temps-là »…
« J’ai travaillé sur des bateaux où j’étais perçue comme de la mauvaise chance par des marins superstitieux ! Je me suis déjà fait dire par un prof, quand je cherchais un stage d’été : « T’es rien qu’une fille, qu’est-ce que tu fais ici, tu ne feras jamais rien dans la vie ! ». Mais tous ces commentaires, ces remarques, au lieu de la démolir, lui ont servi de moteur, et de motivation.
« Ah oui, c’est ça que tu penses ? Ben regarde-moi bien aller, raconte-t-elle avec vigueur.
Et à chaque succès que je remporte, chaque distinction ou mérite, je pense à ces gens-là et je me dis : tiens donc, ils avaient tort ! ».
Mon défi ultime de vie, c'est de faire une différence.Lyne Morissette
Ces expériences lui ont donné envie d'agir, aussi sur ce terrain :
« J’ai trouvé dur le chemin que j’ai dû défricher par moi-même, alors je l’entretiens maintenant pour les autres. J’ai toujours été impliquée dans des programmes de tutelles et de mentorat pour les jeunes femmes qui veulent avoir des carrières de scientifiques ou en technologie car je juge que c’est l’une des choses les plus inspirantes que je puisse leur transmettre ».
En 2016, coup de tonnerre dans la vie de Lyne Morissette : on lui diagnostique une tumeur au cerveau. Et la mort se profile soudain dans un avenir rapproché. Celle qui est spécialiste de la résilience des espèces subit à son tour le test ultime de la résilience. Mais contre toute attente, et par une sorte de miracle, elle guérit :
« Quel incroyable bonus je viens d’avoir dans ma vie !, s’exclame cette mère de deux jeunes filles
. Il faut que j’honore ça, je ne peux pas juste vivre, il faut que je rende cette vie la plus significative possible. C’est ce qui m’anime chaque jour depuis 2016, c’est d’utiliser mon temps pour que ce bonus serve à quelque chose. Et donc mon défi ultime de vie, c’est de faire une différence. C’est tout. Que les gens se souviennent de moi parce que j’ai fait une différence. Et je suis exactement là où je dois être pour avoir le plus d’impact possible ».