Fil d'Ariane
« Je suis née et j’ai grandi à Madagascar. Je suis partie après mon bac pour intégrer une prépa au lycée Condorcet à Paris, puis une école de commerce à HEC Montréal. C’est à l’étranger que j’ai fait un rêve pour mon peuple… J’y suis revenue six mois. Et malgré tous les problèmes du pays, j’ai observé les potentiels qu'il recèle et qui ne demandent qu’à éclore », insiste Miako Rasolondraibe, la plus jeune des intervenantes. A 22 ans, cette brillante étudiante en théologie est la présidente de Madagascar Will Rise, une association qui oeuvre pour la promotion de l’éducation auprès des jeunes Malgaches et cultive aussi l’indépendance économique des villageois par le biais de leurs propres productions agricoles.
Motivée par le même attachement à sa terre d’origine, Zina Raveloson, ancienne cheffe de projet numérique pour Audi France et Philips, s’est elle aussi investie très tôt pour son pays. Elle a organisé des événements culturels dont des concerts d’artistes malgaches à l’Olympia « pour faire rayonner sa culture ». Puis de 2017 à 2018, cette dynamique trentenaire s’est illustrée en tant que présidente de Juniors pour Madagascar. Son but : « accompagner les porteurs de projets qui souhaitent participer à la promotion du pays via l’entreprenariat ». Miako abonde dans le même sens : « Les Dubaïotes, les Chinois et les Thaïlandais investissent beaucoup à Madagascar. Pourquoi pas nous ? »
Avec Madagascar, c’est un peu comme les histoires de couples : parfois, on s’aime plus ou moins.
Aina Kuric, députée
Toutefois, l’engagement pour Madagascar quand on est bi-national n’est pas toujours évident. Il se construit aussi au fil du temps. « Avec Madagascar, c’est un peu comme les histoires de couples : parfois on s’aime plus ou moins », avoue Aina Kuric, députée de la Marne à l’Assemblée nationale française. Née en Picardie, adolescente, elle passera deux ans sur l’île avec ses parents jusqu’en 2002 lorsqu'éclatent des violences suite aux résultats contestés des élections présidentielles. « On a tout quitté en catastrophe. Et pendant longtemps, je n’ai pas voulu y retourner », se remémore la parlementaire.
Aina Kuric revient finalement en 2012 pour « tomber amoureuse de ce pays ». « Dès lors, j’ai accepté le fait d’être bi-nationale c’est-à-dire d’être malgache autant que française », revendique-t-elle fièrement. Et si aujourd’hui son engagement est avant tout celui de défendre les intérêts de la France, cette commissaire aux Affaires étrangères a aussi à coeur de « renforcer les partenariats que nous pourrions avoir avec Madagascar ».
Ces femmes Franco-Malgaches sont la preuve que, même de loin, chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. « La diaspora malagasy est nombreuse (environ 140.000 personnes rien qu’en France, ce qui en fait la principale communauté africaine de l’Hexagone, ndlr.) et très qualifiée. Son action n’est pas inexistante, pourtant on ne la voit pas vraiment", regrette Mireille Razafindrakoto. L’économiste préconise de "plus la mettre en avant" pour qu’elle puisse "redonner espoir" à la population qui, faisant face quotidiennement aux difficultés, ne voit plus les élans positifs et solidaires qui s’opèrent en sa faveur. Analyse de la trajectoire d'échec de Madagascar avec l'économiste Razafindrakoto :
Mais comme le souligne la co-auteure de l’ouvrage L'Enigme et le Paradoxe, Economie politique de Madagascar (IRD Éditions/AFD, 2017), « la diaspora elle toute seule ne pourra rien faire. Il faut qu’elle soit reconnue sur place avec l’appui des instances politiques ». Une tâche qui s’annonce ardue puisque le gouvernement malgache n’accorde que peu de crédit à ses expatriés. « On aimerait un ministère chargé des Résidants à l’Étranger, comme il en existe un au Maroc par exemple. Mais nous n’avons même pas le droit de vote », se désole Lolitah Ralahatrarivo, chargée de communication chez Zama, une organisation qui a pour but d’unir les forces de la diaspora malgache.
Vis-à-vis de la population, aussi, les Malgaches de l’étranger sont souvent taxés de "privilégiés". "C’est vu comme une chance de pouvoir quitter l’île, explique cette jeune femme enceinte de plusieurs mois. Pour ceux qui restent, nous sommes des lâches. Et beaucoup nous reprochent de donner des leçons en étant déconnectés des réalités. Alors que pas du tout. Au contraire !"
A force de dire aux autres : "Allez-y, c’est possible de réussir là-bas", il fallait bien que je montre l’exemple.
Zina Raveloson
Depuis quelques années, de jeunes Franco-Malgaches font le chemin inverse pour s’installer définitivement sur l’île. "Contrairement à nos parents, notre génération est plus motivée au retour, plus préparée aussi", juge Lolitah qui y pense sérieusement. Zina Raveloson a sauté le pas il y a une semaine avec sa fille et son mari. « A force de dire aux autres : "Allez-y, c’est possible de réussir là-bas », il fallait bien que je montre l’exemple", sourit cette nouvelle responsable RSE d’une grande entreprise à Madagascar. Sa principale motivation : "montrer aux sceptiques que cette démarche n’est pas risquée".
Ancienne business manager au sein de multinationales et diplômée d’un triple master, Romy Andrianarisoa peut en témoigner. En 2012, elle quitte Paris avec sa famille : "Très clairement, j’ai perdu le confort de vie que j’avais en France. Mais aujourd’hui je peux dire humblement que j’ai pu améliorer celle d’au moins une famille malgache. Rien que ça, ça me va."
Basée à Antananarivo, cette quarantenaire à la voix apaisante a créé son propre poste : consultante externe en développement durable et RSE auprès de sociétés. Elle accompagne en ce moment une entreprise pétrolière. "Je m’assure que ses activités soient faites conformément au respect de l’environnement et créé de l’emploi pour les Malgaches", détaille l’entrepreneuse qui agit en parallèle au niveau associatif.
On refuse totalement l’assistanat.
Romy Andrianarisoa
"Avoir fait partie de la diaspora est un avantage car on sait comment mobiliser, grâce à notre réseau, les ressources intellectuelles et matérielles pour monter des projets pérennes. Ce n’est pas pour rien que mon association s’appelle Miaro qui veut dire 'protéger' en malgache," explique Romy Andrianarisoa, de passage à Paris pour trouver des partenaires financiers à un programme de formations professionnelles pour sortir de la rue des prostituées mineures. "J’ai eu la chance d’être privilégiée. Aujourd’hui, il me paraît normal de mettre tout ce que j’ai appris dans d’autres pays au service du mien."
Toutefois, elle tient à le souligner : sa démarche n’est pas d’assister les bénéficiaires de ses actions, mais de les rendre contributeurs de leurs propres progrès. "On refuse totalement l’assistanat car dans les pays qui ont été colonisés comme Madagascar la population a tendance à être attentiste et dépendante des aides internationales, constate-t-elle. Or comme dit l’adage : ‘Donne un poisson à un homme, il mangera un jour. Apprends-lui à pêcher, il mangera toujours’."
En 2015, cette quarantenaire volontaire a ainsi mobilisé des ingénieurs agronomes français et malgaches pour apprendre à 220 femmes paysannes à augmenter durablement leurs rendements. "Au bout de deux ans, on a multiplié leur production par deux voire par trois. Et par conséquent leurs revenus, rend-t-elle compte. On les a aussi incitées à se regrouper en associations car la misère isole. Plus autonomes, ces femmes ont aujourd’hui pris confiance en elles jusqu’à s’impliquer davantage dans la vie citoyenne."
De quoi grossir les rangs d’un élan citoyen impulsé par un bloc féminin ? Car, à Madagascar, ce sont bien les femmes qui, sur le terrain, s’illustrent à la tête d’organisations dénonçant la défaillance des élites politiques et économique malgaches. « De 2009 à 2013, période du premier mandat de l’actuel président Andry Rajoelina, Madagascar a connu des années noires. L’indice de perception de la corruption a fait un bond et on en est ressorti avec 92% de la population vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté », rappelle Ketakandriana Rafitoson, directrice de Transparency Madagascar. Une organisation qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Tout comme le Collectif des citoyens et organisations citoyennes, mené par la cheffe d’entreprise Hony Radert ou le mouvement Wake up Madagascar fondé par la militante et journaliste Mbolatiana Raveloarimisa.
« On essaye de créer un élan citoyen au sein de la population, même si beaucoup pensent que les choses ne s’amélioreront jamais. Et le fait d’être une femme jeune n’aide pas… Les gens ne vous prennent pas au sérieux, vous taxe de 'poule qui caquette', selon une expression malgache. Même mes proches me disent de m’occuper de mon mari et de mes enfants plutôt que de pérorer partout", se révolte Ketakandriana, qui a perdu sa mère « à cause de la corruption ». "A Madagascar, tout se monnaye même les soins médicaux dans les hôpitaux publics. Comme on avait pas payé d’extra, ma mère a été moins soignée que d’autres…"
Mais ce qui remotive cette défenseuse des droits humains, c’est de voir que dans cette génération de femmes malgaches agissantes, de près ou de loin pour leur pays, il y a de plus en plus de jeunes filles qui osent et s’engagent. "C’est porteur d’espoir, se réjouit-elle. Car je pense que la clé du changement se trouve avec les femmes. Avec un peu d’empowerment, on leur fera sentir qu’au-delà d’être juste des épouses ou des mères, elles sont des citoyennes à part entière qui ont le pouvoir de changer l’avenir de leur île."