Fil d'Ariane
Madeleine Riffaud, alias Rainer dans la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, est aujourd'hui âgée de 99 ans. Son ancienne aide à domicile est jugée à Paris pour abus de confiance. Elle est soupçonnée d'avoir détourné plus de 140 000 euros.
Madeleine Riffaud, grande résistante durant la Seconde Guerre mondiale, réclame justice, elle a porté plainte contre son ancienne auxiliaire de vie, qui l'a accompagnée pendant des années, accusée de lui avoir volé près de 140 000 euros. Photo publiée sur la page facebook de Madeleine Riffaud (2021).
"Ceux qui me connaissent savent que mon leitmotiv est : "Je ne suis pas une victime, je suis un résistant". Alors certes, je vais résister, mais je dois bien m’avouer que pour la première fois, je suis une victime", écrit Madeleine Riffaud dans une tribune publiée dans la revue Commune. Ancienne résistante, journaliste et poète, aujourd'hui âgée de 99 ans, elle souffre de cécité et bénéficiait d'aide à domicile depuis de nombreuses années.
La prévenue connaissait Madeleine Riffaud depuis 2011. Elle aurait utilisé la carte bancaire de la victime à des fins personnelles, pour des dépenses alimentaires, des séances en institut de beauté, des restaurants, et aurait surfacturé ses heures. "La lecture d'un relevé de compte ayant révélé des dépenses injustifiées et incohérentes avec le mode de vie de la victime, alitée depuis 2018, une enquête a été diligentée sur l'ensemble de la période. Il en est ressorti un préjudice de plus de 140 000 euros", précise le parquet de Paris.
C'est une amie qui m'a trompée. Madeleine Riffaud
C'est une amie de la victime qui a déposé plainte pour abus de confiance en février 2023, entraînant l'ouverture d'une enquête préliminaire. "Le procès, je m'en fiche. C'est une amie qui m'a trompée... Tout ce que je souhaite, c'est qu'elle ne puisse plus exercer", confie Madeleine Riffaud dans les colonnes du Courrier Picard.
La mise en cause était convoquée devant le tribunal correctionnel le 19 décembre 2023. Elle affirme avoir "tout donné" pour cette femme "exigeante", qu'elle "respectait beaucoup". "On peut pas tout me mettre sur le dos, ça c'est pas possible", s'est défendue cette femme de 67 ans, jusqu'à peu à la tête d'une société d'aide à domicile qui emploie 45 personnes et s'occupe de 120 personnes âgées.
Elle est poursuivie pour abus de confiance aggravé par la particulière vulnérabilité de la victime. "Quand bien même il y aurait une seule dépense" injustifiée, "c'est constitutif de l'abus de confiance", énonce la procureure, pointant la "récurrence" et les "sommes affolantes" des achats incriminés.
La peine encourue était de sept ans de prison et 750 000 euros d'amende, selon le parquet. La procureure, elle, requérait un an de prison ferme et deux ans de sursis probatoire avec obligation d'indemniser la victime. Elle demandait également une interdiction définitive de gestion et d'exercer le métier d'aide à domicile.
Restaurants, coiffeur, salon de beauté, vêtements de marque, bijoux, nourriture pour chat et même un sex-toy. Ce dernier achat est la seule "erreur" que concède la mise en cause. "J’ai cliqué sur la mauvaise carte" pré-enregistrée sur un site d'achats en ligne, assure-t-elle. Pour le reste, elle dit avoir utilisé la carte bancaire uniquement "pour (les) besoins personnels" de Madelaine Riffaud, comme des achats répétés chez Chanel et Guerlain. Or "la seule crème" trouvée chez Mme Riffaud, c'est "une marque de crème Clinique", témoigne la directrice d'enquête. Elle utilisait un parfum Diptyque, et pas Chanel, ajoute-t-elle, un point onfirmé par la victime aux enquêteurs.
Les avocats de Madeleine Riffaud réclamaient, eux, 277 231 euros pour le préjudice matériel et 100 000 euros pour la "blessure d'avoir été flouée" par celle qu'elle appelait son "ange gardien". Ils soulignaient sa "souffrance de se retrouver démunie financièrement", contrainte de vendre son appartement alors qu'elle souhaitait le léguer à "une fondation qui ferait vivre la mémoire de la Résistance".
La défense plaidait, elle, la "relaxe totale". Démentant le portrait d'une Madeleine Ruffaud vivant "frugalement", citant des exemples de l'"extrême générosité" de sa cliente, elle dénonçait une "croisade" contre elle, "à la tête d'une société qui marche bien" et n'ayant aucun intérêt à pratiquer de tels détournements.
La mise en cause a été condamnée le 18 janvier 2024 à huit mois de prison avec sursis et 8000 euros d'amende pour avoir abusé de la confiance de Madeleine Riffaud. Elle est aussi condamnée par le tribunal correctionnel de Paris à payer 5000 euros de dommages et intérêts à la victime au titre de son préjudice moral, ainsi que ses frais d'avocat.
Marie-Madeleine Riffaud, née le 23 août 1924 dans la Somme, fille unique d'instituteurs, est encore mineure quand elle entre en 1942 dans la Résistance. "J’avais dix-huit ans en 1942. Dans les rangs des Francs-tireurs et partisans français, mon nom était Rainer." Dans un ouvrage publié en 1994 chez Julliard, Madeleine Riffaud révèle la vie quotidienne d'un groupe d'étudiants sous l'occupation nazie dans le premier maquis de France : Paris.
Elève sage-femme à Paris, elle devient agent de liaison parmi ses compagnons communistes des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la faculté de médecine. Elle choisit comme nom de code "Rainer" – en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke – pour signifier qu'elle "n'est pas en guerre contre le peuple allemand mais contre les nazis".
Le 23 juillet 1944, elle assassine de deux balles dans la tête un sous-officier nazi sur le pont de Solférino à Paris. Arrêtée et condamnée à mort, elle est libérée le 19 août contre un échange de prisonniers, en pleine libération de Paris. Elle reprendra le combat avec les Forces françaises de l'intérieur (FFI) et contribuera à l'arrestation de 80 soldats allemands dans l'attaque d'un train aux Buttes-Chaumont. Elle est décorée de la Croix de guerre.
Le 22 novembre 2023, à 99 ans, Madeleine Riffaud, signe une tribune "Les héros meurents seuls' dans la revue Commune pour évoquer sa situation personnelle et alerter sur les escroqueries organisées par les entreprises de maintien à domicile sur les personnes vulnérables.
La vieille dame rappelle les circonstances dans lesquelles elle est devenue aveugle, "à la suite d’un attentat à Oran en 1962", et parle de son état de dépendance après un douloureux passage à l'hôpital. Une situation qui l'oblige à confier la gestion de ses comptes à l'organisme d'aide à domicile. Elle parle ensuite du désarroi financier dans lequel elle se trouve aujourd'hui : "Je n'ai plus d'argent !", précisant que l'emploi d'une auxiliaire à domicile 24h sur 24 coûte "très" cher.
Par cette tribune, j’ai encore l’espoir de faire passer ce message de société qui me semble vital : ne laissez pas les personnes âgées, héroïques ou pas, finir seules face à des escrocs. Madeleine Riffaud
"Drôle de monde dans lequel la présumée coupable a de quoi se payer un ténor du barreau, et la victime n’a même pas droit à un commis d’office car, paradoxe de l’administration, mes allocations de Résistante, de victime de guerre, de journaliste et d’invalidité mises bout à bout dépassent le plafond requis", regrette-t-elle.
Son appel est destiné à attirer l'attention sur une situation qui concerne beaucoup de monde en France : "Si cela m’arrive à moi, c’est que ça arrive aussi à beaucoup d’autres ! Et toutes n’ont pas ma voix !.. Par cette tribune, j’ai encore l’espoir de faire passer ce message de société qui me semble vital : ne laissez pas les personnes âgées, héroïques ou pas, finir seules face à des escrocs", conclut Madeleine Riffaud.
Le parcours de résistante de Madeleine est retracé dans un roman graphique en plusieurs tomes publiée aux éditions Dupuis, un ouvrage qui vient d'être récompensé, et qui se trouve au coeur d'une exposition à Lyon. Gageons que cette reconnaissance permettra à cette grande combattante de gagner son ultime combat. Verdict le 18 janvier 2024.
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