Mafille Woedikou Apeafa, première footballeuse togolaise à jouer à l’étranger : portrait d’une battante

Après une première saison à Poitiers, la Togolaise Mafille Woedikou Apeafa s'engage à l’AJA Stade, à Auxerre. Ambitieuse, mais lucide, la meilleure footballeuse togolaise, première internationale de son pays à entamer une carrière à l’étranger, affiche ses ambitions : jouer en première division française. Rencontre.
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Woedikou Mafille facebook
Photo postée par Woedikou Mafille le 12 septembre 2020 sur son compte Facebook.
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Jouer au football pour une fille au Togo, ce n'est pas évident. Il faut que les parents l'acceptent, ne pas avoir peur du regard des autres, être prise au sérieux par les entraîneurs... Pour commencer, il faut surtout une belle persévérance, et Mafille Woedikou Apeafa n'en manque pas. 

Sacrée meilleure joueuse et meilleure buteuse de la saison 2017-2018 au Togo, sélectionnée dans l'équipe nationale féminine, Mafille Woedikou Apeafa s'est imposée dans son pays. Mais elle avait un rêve - jouer en première division française - un rêve qu'elle poursuit obstinément, pas à pas, sans "brûler les étapes", dit-elle.

S'émanciper par le sport, comme Mafille Woedikou Apeafa, c'est le thème de la nouvelle campagne de l'ONG Plan international #ElleJoueOnGagne à l'occasion de la Journée internationale des filles, le 11 octobre 2020.

Cap sur la France

Ambitieuse, douée, déterminée, elle réussit son test de détection de talents à Poitiers à l'été 2019. Mais il lui faut d'abord repartir au Togo pour y effectuer de laborieuses formalités administratives. Elles vont durer six mois ! Enfin, elle peut rejoindre l’Entente sportive des trois cités de Poitiers. Pas facile pour la jeune Togolaise, de débarquer en France en plein hiver : "Je ne connaissais aucune fille, se souvient-elle, mais mes coéquipières et le staff ont pris toutes les mesures pour que je puisse facilement trouver mes marques. J’étais régulièrement en contact avec la famille au pays. Son soutien a renforcé ma détermination."

Difficile aussi de gérer le changement d'alimentation. Peu à peu, Mafille Woedikou Apeafa découvre la cuisine française et les fast-foods en Europe. Pour ne pas prendre de poids et entretenir son son physique rapide et explosif, elle fait très attention : "Du coup, je cuisine. Je fais des courses dans les épiceries africaines et je déguste mes petits plats aux saveurs du pays." raconte-t-elle.

Au Togo, la jeune attaquante s'entraînait tous les jours. Or le programme de son club, à Poitiers, prévoie trois entrainements par semaine, puis un match le dimanche. Alors pour garder le rythme, les jours sans entrainements, elle rejoint une équipe locale masculine. 

Avec la pandémie de Covid-19, la saison, brutalement, tourne court. "Plus d’entrainements collectifs, ni de matchs alors qu’avec mes coéquipières, nous espérions disputer les barrages", déplore-t-elle. Alors Mafille Woedikou Apeafa,  comme d’autres sportifs de haut niveau, s'entraine seule. "J’avais un terrain situé juste derrière chez moi. Avec des séances quotidiennes de 1h30, j’ai pu garder la forme," explique-t-elle.

L'ambition de Mafille Woedikou Apeafa reste intacte : jouer en première division française. Alors elle quitte Poitiers au bout de quelques mois pour l’AJA Stade, à Auxerre, un nouveau pas dans son plan de carrière. "Les dirigeants de Poitiers m’ont comprise. Je les en remercie encore, Poitiers quoiqu’il arrive restera à jamais dans mon cœur." 

Avancer, avancer toujours

A Auxerre, elle retrouve deux internationales africaines affrontées au tournoi régional de l’UFOA B, l'Union des fédérations ouest-africaines de football : l’attaquante ivoirienne Binta Diakité et la défenseure malienne Coulouba Sogoré. A Auxerre, elle découvre aussi un véritable engouement pour le football féminin, de solides infrastructures sportives et une vraie ambition. "Un an après sa création, l'équipe est montée en Régionale 1, l’équivalent d’une troisième division. Les dirigeants recrutent pour avoir toutes les chances de monter en deuxième division la saison prochaine." explique-t-elle.

Au Togo, Mafille Woedikou Apeafa reste une star et un modèle pour les filles et les garçons. Elle sera peut-être même élue Sportive de l'année 2020 en Afrique.


Lise-Laure Etia a rencontré Mafille Woedikou Apeafa, qui lui raconte comme elle est devenue la meilleure buteuse du Togo et comment elle réussit à tracer sa route en France en dépit des obstacles et des préjugés.

Lise-Laure Etia Comment avez-vous commencé à jouer au football ?
Mafille Woedikou Apeafa :
Je n’ai pas de date précise en tête, je sais que très jeune, j’ai commencé à jouer avec les garçons. J’y ai pris beaucoup de plaisir et entre 12 et 15 ans, j’ai trouvé, après des recherches personnelles, une équipe féminine. Le club s’appelait Espéranza. Je n’avais pas de godasses, et un mercredi, j’ai enfilé un maillot et je suis allée à l’entrainement. Quand le coach m’a vue arriver, il m’a demandé si je pouvais jouer, car à l’époque je n’étais pas très grande de taille, (rires) plutôt petite même. J’ai réussi à le convaincre dès mes premières touches de balle. Il a tenu à me raccompagner chez moi à la fin de l’entrainement et a rencontré ma mère. Je redoutais ce moment, car maman était catégoriquement opposée à ce que je joue au foot. Je me rendais aux entrainements en cachette et je prenais bien soin, avant de rentrer, de bien me laver les pieds pour éviter ses colères et ses remontrances.

Comment, finalement, avez-vous réussi à convaincre votre mère ? 
J’ai quatre frères, je suis la seule fille et la benjamine. Je pense que pour ma mère c’était difficile d’accepter que son unique fille se passionne pour le foot, un sport dédié aux hommes, selon elle, et qui en plus, chez les femmes, ne vous assure pas un bon avenir, le foot féminin étant majoritairement amateur. Je voulais convaincre ma mère qu’avec du sérieux, je pouvais espérer mieux.

Dès qu’il arrivait que le club nous paye de modiques primes de matchs, 10 000 ou 5000 francs CFA (soit entre environ 15 et 7 euros, ndlr), je m’empressais d’aller la voir en lui proposant de faire le marché, et je gardais un peu d’argent de poche pour mon transport à l’école et aux entrainements. Ce n’était pas grand-chose, mais j’étais fière de moi. Cette attitude touchait ma mère car elle voyait que je ne faisais pas de folies avec mes sous. Elle a fini par m’encourager au point que si je trainais un soir pour aller aux entrainements, elle faisait tout pour que j’y aille. Elle est même devenue ma masseuse attitrée. Au moindre bobo, j’avais droit à ses soins, ce qui me faisait énormément plaisir.

En juillet 2019, Mafille Woedikou Apeafa racontait ses difficultés pour jouer au football à TV5MONDE Sports :

Comment avez-vous décidé de faire du football votre vie ?
Lors d’une compétition, j’ai été approchée par les dirigeants d’un autre club, l’Athléta FC de Lomé, que j’ai intégré. En 2012 – 2013, un match amical contre l’équipe du Bénin va provoquer un déclic. J’avais marqué un but exceptionnel, (en lobant la gardienne d’une balle du milieu du terrain dès la troisième minute), c’était le seul but de la rencontre. J’ai été touchée par les marques de sympathie du public. A mon retour à Lomé, j’ai eu droit aux félicitations d’un chauffeur de taxi qui m’avait transportée avec mes coéquipières pour rentrer chez moi. Dès qu’il a su que c’est moi qui avait marqué le but, il a tenu à me faire un cadeau en m’offrant la course. J’étais émue et profondément touchée par ce geste et cette reconnaissance. Cette nuit-là, j’ai eu du mal à trouver le sommeil. A mon réveil le lendemain matin, j’avais pris ma décision : devenir footballeuse professionnelle et poursuivre mon rêve en Europe afin de vivre de ma passion. 

Emmanuel Sheyi Adebayor

Le Togolais Emmanuel Sheyi Adebayor pendant la CAN en 2017, au Gabon.

©AP Photo/Sunday Alamba

Qui est votre modèle ?
Mon mentor est plutôt masculin. C’est mon compatriote Emmanuel Sheyi Adebayor. J’ai toujours été impressionnée par ses contrôles, ses amortis, son attitude sur le terrain, sa façon de marquer, il est toujours attiré vers les buts. Je suis attaquante comme lui, il m’a beaucoup inspirée. 

Comment êtes-vous arrivée en sélection du Togo ?
Je suis arrivée en sélection en 2015. Cette année-là, les filles voulaient coûte que coûte participer à la CAN (Coupe d'Afrique des nations, ndlr) au Cameroun. A l’entrainement, on a travaillé dur. Les filles étaient bien décidées à battre l’Algérie, l’une de nos adversaires durant les éliminatoires. A la dernière minute, nous avons appris que le ministère des Sports n’avait pas d’argent pour engager cette campagne des éliminatoires. Nous avons dû déclarer forfait et les Algériennes l’ont emporté sur tapis vert. Vous ne pouvez pas imaginer notre déception. J’étais ravagée. Plusieurs filles, cette année, ont décidé de raccrocher les crampons.

Quelques années plus tard, vous avez pu participer aux tournois de l’UFOA ?
Effectivement. L’équipe nationale s’est relancée et nous étions présentes aux tournois de l’UFOA B (l’Union des fédérations ouest-africaines de football, ndlr) en 2018 et en 2019. Ils se sont respectivement déroulés en Côte d’Ivoire et en Sierra Leone. Cette première expérience régionale a été catastrophique, mais bénéfique. Nous avons pris des cartons face au Sénégal et au Mali. Au total 17 buts en trois matchs, avec une maigre consolation, un but marqué contre le Nigeria pour sauver l’honneur. C’est d’ailleurs moi qui l’avait inscrit. J’étais contente car c’était une promesse que je m’étais faite au départ de Lomé, et Dieu merci, elle s’était réalisée. 

Lors de notre deuxième participation au tournoi de l’UFOA B, nous avons encaissé 12 buts, mais malgré notre élimination lors des phases de poules, nous sommes rentrées à Lomé avec une victoire face au Sénégal. J’étais fière de notre équipe et des progrès accomplis. J’avais à nouveau marqué un but contre les Lionnes de la Téranga et remporté à l’issue de cette rencontre le trophée de meilleure joueuse du match. C’était un souvenir inoubliable.

Vous avez également été élue deux années consécutives meilleure buteuse du championnat togolais...
Effectivement c’était en 2017-2018 et 2018-2019. J’ai marqué une soixantaine de buts en deux saisons. Ces statistiques m’avaient énormément encouragée, mais je réalise qu’avec le niveau du championnat togolais, souvent irrégulier, la marche vers le professionnalisme est encore longue. S’imposer dans des championnats de foot féminin professionnels et réguliers comme le fait la Nigériane Asisat Oshoala en Espagne, c’est une autre affaire. J’espère un jour y arriver.

Qu’est ce qui manque aux Eperviers dames du Togo pour disputer une compétition continentale ?
J’ai toujours dit dans mes interviews que le Togo regorge de talents. Ce qui nous manque, en revanche, ce sont des compétitions régulières, que ce soit au niveau national, régional ou continental. C’est à travers ces rencontres que notre sélection pourra grandir et apprendre. Il n’y a pas encore au Togo de championnat régulier de football féminin. Comment, dans ces conditions, détecter les filles qui jouent, je le rappelle, sans moyens ?  Comment dans ce contexte préparer les éliminatoires d’une CAN ? Forcément tout devient compliqué alors que nous avons des joueuses volontaires, il faut être costaude pour tenir. 

Le comité exécutif de la Confédération africaine de football a décidé le 30 juin dernier d’annuler la CAN 2020 et en 2021 d’organiser la première Ligue féminine africaine des Championnes, quelle a été votre réaction ?
J’ai eu un sentiment partagé. La création d’une Ligue des Championnes est à saluer. C’est une formidable avancée pour le foot féminin africain. La première équipe togolaise du championnat pourra ainsi y participer et hausser son niveau de jeu si nos dirigeants organisent encore un championnat régulier. Vous verrez que les filles seront plus déterminées. 

En revanche, je suis triste pour l’annulation de la CAN 2020. Cette compétition, pour moi qui ne l’ai jamais jouée, me fait rêver. Elle donne envie de se surpasser pour la remporter. Je comprends la déception des grandes joueuses du continent comme les Camerounaises Aboudi Onguené, Ajara Nchout Njoya et de la Nigériane Asisat Oshoala. Il y eu aussi les déceptions d’anciennes joueuses et de responsables de commissions de foot féminin au Mali et au Gabon, d’entraineurs de sélection féminine, mais surtout le soutien inespéré de la FIFA avec les réactions du président Gianni Infantino et de sa Secrétaire Générale Fatma Samoura, qui n’étaient pas d’accord avec cette annulation pure et simple de la CAN féminine 2020 - bref la pilule est dure à avaler.

Attendre trois ans pour disputer la prochaine CAN, c’est difficile pour notre discipline qui déjà manque de compétitions. Je sautais de joie quand j’ai appris que la prochaine CAN allait se dérouler à 12 équipes au lieu de 8. Cela aurait peut-être été une occasion pour un petit pays comme le Togo de participer à sa première compétition continentale. Je comprends parfaitement la gravité de la pandémie du Covid-19, mais pourquoi une annulation pure et simple de la CAN au lieu d’un report. J’espère que la CAF reviendra sur sa décision.

Un mot sur la dernière Coupe du monde féminine en France l’année dernière, qu’est-ce qui vous a marqué ?
Je ne vous cache pas que quand j’ai vu les matchs à la télé, j’avais qu’une seule envie, c’était moi aussi de chausser mes crampons, et aller rejoindre les filles sur le terrain. J’étais triste parce que pour l’instant mon pays ne peut pas participer à ce genre de compétitions. Notre équipe n’est pas à niveau, on doit encore bosser dur. Le fossé est énorme, mais pas impossible à combler. Vraiment, j’insiste. Avec un championnat compétitif au Togo, notre sélection grandira sinon on aura beau crier, ça sera peine perdue pour mes coéquipières et moi qui rêvent un jour de disputer une Coupe du monde, c’est dommage. Mais, durant ce Mondial en France, j’ai particulièrement suivi les équipes africaines, avec l’impressionnante sélection camerounaise qui a arraché sa qualification en huitième de finale au bout d’un suspens incroyable avec ce but d’Ajara Nchout.

Je regardais beaucoup l’équipe de France. Le jeu de la numéro 11 des Bleues, Kadidiatou Diani m’a beaucoup plu. Elle est comme moi attaquante et évolue au Paris-Saint Germain.  Ses dribbles, ses centres, ses appels en profondeur, son énergie me rappelle un peu mon style de jeu, j’aimerais bien atteindre son niveau.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes footballeuses togolaises ?
De continuer à travailler et surtout de ne pas se décourager. J’ai traversé plusieurs obstacles, mais je n’ai pas abandonné. Si on croit en ce qu’on fait, on y arrive. Je ne suis jamais arrêtée de travailler et je continue à bosser dur. Si les filles veulent faire du football leur passion, il faut qu’elles sachent que, pour elles, le tapis rouge ne sera pas déroulé pour qu’elles viennent marcher dessus. Seul le travail sérieux et régulier paie. Je les encourage en tout cas et je suis prête à les aider. Avant de venir en Europe, je pensais aussi comme d’autres que le plus dur était derrière moi, mais mes proches m’ont psychologiquement bien préparée. Je savais aussi qu’une fois arrivée en Europe, je recommencerais à zéro, donc les filles doivent continuer à se battre.