Mahsa Amini, prix Sakharov des droits de l'homme

Mahsa Amini. Son nom et son visage sont devenus les symboles de la révolte des femmes iraniennes. Morte trois jours après avoir été arrêtée par la police des moeurs à Téhéran pour « port de vêtements inappropriés », c'est à titre posthume qu'elle a reçu le prix Sakharov des droits de l'homme. Un prix remis à deux militantes iraniennes, sans la famille de la jeune Kurde iranienne, tenue à l'écart par Téhéran.

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Mahsa Amini

Mahsa Amini, son visage est devenu le symbole de la lutte des Iraniennes pour leur liberté. Un an après sa mort, elle reçoit à titre posthume le Prix Sakharov décerné par le Parlement européen. 

©Parlement européen
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C'est évidemment un choix hautement symbolique et politique. Les eurodéputés ont choisi de récompenser Mahsa Amini et avec elle le combat des femmes en Iran avec le « prix Sakharov pour la liberté de l’esprit ».

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La famille de Mahsa Amini avait prévu d'assister à la remise du prix Sakharov au Parlement européen à Strasbourg, mais n'a pu partir car ils ont été interdits de quitter le territoire. Cette mise à l'écart a fait bondir la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, qui a appelé "le régime iranien à revenir sur sa décision", dans un message posté sur le réseau social X.

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Plus d'une centaine d'eurodéputés ont signé une lettre ouverte pour dénoncer une décision qui vise à leurs yeux à "réduire au silence" la famille "en l'empêchant de dénoncer la répression scandaleuse des droits des femmes, des droits humains et des libertés fondamentales par la République islamique en Iran".

Ce prix célèbre à nouveau le courage des femmes iraniennes face au régime des Mollahs. Le prix Nobel de la paix a été attribué à une autre figure du combat pour la liberté en Iran : la militante emprisonnée Narges Mohammadi, qui n'a pu se rendre à Oslo recevoir son prix car elle est détenue depuis 2021 dans la prison d'Evin de Téhéran.

La révolte des Iraniennes au nom de Mahsa

Elles se coupent les cheveux en hommage à Mahsa, certaines n'hésitent pas à brûler en public leur hijab. Sur les réseaux sociaux, les vidéos se multiplient. On y voit des femmes iraniennes, ciseaux à la main, braver les mollahs en accomplissant en direct ces gestes hautement symboliques dans un pays où, quand on est femme, montrer ses cheveux dans la rue, peut signer votre arrêt de mort. 

Mahsa Amidi, kurde, morte à 22 ans

Mahsa Amini est née au Kurdistan, dans le nord-ouest de l'Iran, il y a 22 ans. Le 13 septembre dernier, elle est en visite dans la capitale avec sa famille lorsqu'elle est interpellée par la police des moeurs, au "simple" motif d'avoir enfreint les règles strictes du pays en matière d'habillement féminin.

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Après trois jours dans le coma, elle décède à l'hôpital Kasra, au centre de Téhéran. Sur les réseaux sociaux, circulent des photos de la jeune femme, le visage lisse et diaphane, entubée, visiblement sous respiration artificielle. A l'annonce de sa mort, une foule se rassemble spontanément à l'extérieur pour dire son indignation. Tout comme à Saghez, sa ville natale où elle a été inhumée. Des habitants ont jeté des pierres contre le siège du gouverneur et crié des slogans hostiles au régime. Les femmes, qui s'étaient rassemblées dans la rue, ont symboliquement ôté leur foulard en le brandissant en signe de protestation. 

Des témoins ont rapporté que la jeune femme avait été battue dans le fourgon de police, selon The Guardian. La police de Téhéran affirme, elle, "qu'il n'y a pas eu de contact physique" entre les agents de police et la jeune femme. La police des moeurs, chargée de veiller à l'application du voile musulman obligatoire dans le pays, a été critiquée à de nombreuses reprises ces derniers mois pour ses interventions violentes à l'égard des femmes soupçonnées d'enfreindre le code vestimentaire en vigueur dans le pays depuis la révolution islamique en 1979. 
 

Un article à lire sur la police des moeurs en Iran ►
Décès de Mahsa Amini en Iran : comment la police des mœurs surveille les femmes

[Les circonstances ayant conduit à la mort suspecte en garde à vue de la jeune femme de 22 ans Mahsa Amini, qui comprennent des allégations de torture et d'autres mauvais traitements en détention, doivent faire l'objet d'une enquête pénale.]

Sur le site internet IranWire, cité par Le Monde, le frère de Mahsa raconte qu'il a vu une ambulance sortir du commissariat l’emmener à l’hôpital, deux heures après son interpellation. Les autorités l'aurait informé qu’elle avait fait une attaque cardiaque et cérébrale et qu’elle était dans le coma. Il a annoncé son intention de porter plainte : "Je n’ai rien à perdre. Je ne laisserai pas les choses ainsi sans protester".

Le chef du bureau du médecin légiste de Téhéran a déclaré à la télévision d’Etat que des enquêtes sur la cause du décès de la jeune femme étaient en cours mais qu’elles prendraient plusieurs semaines. Le dirigeant iranien Ebrahim Raïssi a demandé l'ouverture d'une enquête. Le même président, qui, il y a quelques semaines, appelait à une application plus stricte du code vestimentaire obligatoire du pays.
 
Tout au long du week-end, des rassemblements de protestation ont eu lieu à travers le pays. À Téhéran, les étudiant-e-s sont massivement sorti-e-s dans la rue, reprenant en choeur un même refrain : "Femme, vie et liberté". Au Kurdistan iranien, les manifestations ont fait plusieurs morts.

 

"La société civile iranienne ne laissera pas passer cela"

"Tous les jours il y a des jeunes filles, des étudiantes qui se font arrêter, soit pour des histoires de tenues, soit parce qu'elles protestent justement contre l'arrestation d'autres étudiantes. Elles sont maltraitées et là, c'est allé jusqu'au meurtre. C'est évidemment innacceptable. Mais je pense que la société civile ne laissera pas passer ça. Il y a énormément de gens en Iran qui protestent", nous confie Fariba Hachtroudi, écrivaine et militante iranienne exilée en France, jointe par Terriennes. 

 
Tous les jours il y a des jeunes filles, des étudiantes qui se font arrêter, soit pour des histoires de tenues, soit parce qu'elles protestent justement contre l'arrestation d'autres étudiantes. Elles sont maltraitées et là c'est allé jusqu'au meurtre.
Fariba Hachtroudi, journaliste, écrivaine iranienne
voile iran
En Iran, le voile est obligatoire depuis la révolution islamique en 1979.
©capture d'ecran/twitter Fariba Hachtroudi
"Ce n'est pas une histoire qui date d'aujourd'hui. - poursuit-elle - Dans les années 2000, la petite-fille de l'Ayatollah Khomeyni avait accordé un entretien dans le New York Times, en disant qu'elle était contre le voile obligatoire. Elle avait refusé de se rendre à la conférence mondiale des femmes à Pékin de 2005 parce qu'on voulait lui imposer de porter le tchador. A la question : 'Vous oseriez enlever votre voile en Iran ?', elle répondait 'Je tiens à ma vie'"

Selon l'écrivaine iranienne, ce n'est pas juste une question de voile, "c'est une question d'imposition des diktats d'un autre temps à tous les niveaux, qui ne vise pas que les femmes".

Quant au changement, il arrivera, selon elle, de la résistance d'"un peuple iranien qui paie extrêmement élevé et qui ne baisse pas les bras, et notamment de la jeunesse". 

Toutes les infos sont à retrouver sur le site internet de Fariba Hachtroudi et ici son article sur le voile en Iran.

Fariba Hachtroudi dans l'édition du 64' de TV5monde ►
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La presse iranienne à double-ton

"Chère Mahsa, ton nom va devenir un symbole", proclame, sous la photo de sa tombe, la une du journal économique Asia à l'unisson d'une grande partie de la presse iranienne choquée par la mort de la jeune femme arrêtée par la police des mœurs.
 

Chère Mahsa, ton nom va devenir un symbole.
Asia, journal économique iranien

"Le public est bouleversé et en colère par ce qui est arrivé à Mahsa Amini", note le journal réformateur Etemad, indiquant que la nation a constaté "à plusieurs reprises la violence de la police des moeurs". Le journal modéré Jomhouri Eslami met en garde contre la "fracture sociale" provoquée par le "comportement violent" des officiers de la police.

une des journaux iraniens
La plupart des journaux iraniens ont mis la photo de Mahsa Amini en Une.
©capture d ecran/twitter

Le ton est tout autre du côté de la presse officielle.
Le quotidien Iran, publication gouvernementale, accuse les réformateurs "d'exploiter les émotions du peuple en utilisant un incident malheureux pour monter la nation contre le gouvernement et le président". Le journal ultraconservateur Kayhan relève que "le volume de rumeurs et de mensonges soulevés après la mort de Mahsa a considérablement augmenté". "Toutefois, la publication des images de cet incident par la police a dérouté les opportunistes qui voulaient utiliser cet incident", indique le journal. Il fait allusion à une courte vidéo de surveillance diffusée par la télévision officielle montrant une femme présentée comme Mahsa s'effondrer dans les locaux de la police après une discussion avec une policière.
"La nation a exprimé son chagrin après la mort triste de Mahsa", écrit enfin le journal ultraconservateur Javan.

#MahsaAmani, une indignation virale

"Voulez-vous vraiment savoir comment la police des mœurs iranienne a tué Mahsa Amini, une femme de 22 ans ? Regardez cette vidéo et ne permettez à personne de normaliser l'obligation de porter le hijab et l'attitude de la police des mœurs. Le roman "La servante écarlate" de @MargaretAtwood n'est pas une fiction pour nous femmes iraniennes. C'est une réalité.", a réagit sur son compte Twitter la militante iranienne en exil aux Etats-Unis Masih Alinejad.

Un soutien moins attendu est venu d'un grand dignitaire religieux iranien. Le grand ayatollah Assadollah Bayat Zanjani a dénoncé comme "illégitime" et "illégal" l'ensemble des "comportements et événements" à l'origine de "cet incident malheureux et regrettable".

Le Coran empêche clairement les fidèles d'utiliser la force pour imposer les valeurs qu'ils considèrent comme religieuses et morales.
Assadollah Bayat Zanjani, grand ayatollah

"Le Coran empêche clairement les fidèles d'utiliser la force pour imposer les valeurs qu'ils considèrent comme religieuses et morales", a déclaré le chef religieux.

Du côté des politiques, l'ancien président et chef de file du courant réformateur Mohammad Khatami s'est aussi exprimé. Il a appelé les autorités à "mettre fin aux actions contraires à la loi, à la logique et à la charia" et à "traduire devant la justice les auteurs de l'incident".
 

Mahsa est aujourd'hui plus vivante que nous car nous sommes endormis, sans réaction face à cette cruauté sans fin, nous sommes complices de ce crime.
Asghar Farhadi, cinéaste iranien, sur Instagram

Sur son compte instagram, le cinéaste Asghar Farhadi, lauréat de deux Oscars du meilleur film étranger, a publié la photo de Mahsa, sur son lit d'hôpital, avec ce commentaire :"Mahsa est aujourd'hui plus vivante que nous" car "nous sommes endormis, sans réaction face à cette cruauté sans fin, nous sommes complices de ce crime".

"Les cheveux de nos filles sont recouverts d'un linceul" ont écrit plusieurs joueurs de l'équipe nationale de football dans une story commune sur Instagram. "Si ce sont des musulmans, que Dieu fasse de moi un infidèle", a lancé Sardar Azmoun, l'attaquant du Bayer Leverkusen. Parmi les hommages publiés sur les réseaux sociaux, de personnalités du monde artistique et sportif, certains prennent la forme d'une chanson, d'un poème ou d'un dessin.

Dimanche 19 septembre, près de 1,5 millions de tweets ont été publiés avec le mot dièse #Mahsa_Amini en persan, des dizaines de milliers d'autres aussi en anglais avec le hashtag #MahsaAmini, #iranienwomen, ou encore #beourvoice ("soyez notre voix"). De nombreux internautes ont également repris le slogan du mouvement "Black Lives Matter" aux Etats-Unis, qui devient aujourd'hui #IranianLivesMatter.